Le jugement rendu par la Cour suprême concernant la procédure de nomination du Commissaire à la fonction publique (affaire Bagatz 37830-08-24) est d’une portée dramatique. Sous couvert de deux écrans de fumée, le juge Amit a mené une nouvelle révolution constitutionnelle et administrative, hissant l’étendard de la révolte des hauts fonctionnaires contre le gouvernement.
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Le point de départ : L’article 6 de la loi sur la fonction publique stipule que le commissaire est nommé par le gouvernement, sans obligation de concours. Cet article ne précise pas la procédure à suivre pour choisir le commissaire. Depuis la création de l’État, 17 commissaires ont été nommés, les derniers par l’intermédiaire d’un comité d’évaluation de leur aptitude.
En l’absence de clarté procédurale, le gouvernement avait décidé que la conseillère juridique du cabinet du Premier ministre proposerait une procédure permanente à soumettre à l’approbation de la Conseillère juridique du gouvernement, pour éventuelle adoption.
Sans surprise, cette dernière n’a rien fait pendant six ans. Quatre mois avant la fin du mandat du commissaire, elle a proposé (sans surprise) la création d’un comité de cinq membres pour recommander un candidat au gouvernement.
La composition du comité ?
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Un ancien juge de la Cour suprême nommé par le président de la Cour suprême avec l’accord du Premier ministre ;
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La conseillère juridique du gouvernement ou son représentant ;
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Le commissaire sortant ou un ancien DG de ministère nommé avec l’accord de la conseillère juridique ;
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Un universitaire en droit public choisi par les doyens des facultés de droit ;
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Un représentant du public nommé par le DG du cabinet du Premier ministre, avec l’accord de la conseillère juridique.
En somme, les cinq membres sont désignés par l’appareil judiciaire ou avec son consentement. Le rôle du gouvernement se limite à approuver ou, tout au plus, opposer un veto à certains membres.
Le gouvernement a logiquement rejeté cette proposition, non contraignante de toute façon.
Étape suivante : des pétitions ont été déposées demandant à la Cour de trancher et de définir la procédure. Le verdict, rendu hier en même temps que la libération d’un otage israélien, est passé relativement inaperçu.
Sur le fond, le juge Amit a lancé une bombe juridique : la Cour a déclaré ne plus être soumise à la loi votée par la Knesset. Il ne s’agit plus d’interprétation élargie ou téléologique, mais d’interprétation contraire. La Cour a décidé qu’il ne fallait pas suivre la loi explicite, mais une norme nouvelle inventée par les juges. Cela détruit le principe de séparation des pouvoirs et place la législation et l’exécutif sous le contrôle exclusif du judiciaire – en contradiction flagrante avec le principe selon lequel un juge est soumis au droit et non au pouvoir.
La majorité des commentateurs s’est concentrée sur la violation de la séparation des pouvoirs. Mais une lecture approfondie révèle une vision encore plus radicale : le juge Amit affirme que le rôle fondamental des hauts fonctionnaires est d’être des « gardiens » (chomrei saf) – non des exécutants de la politique gouvernementale.
Extrait du jugement :
« Il n’y a aucune raison que le Premier ministre nomme un commissaire selon ses préférences ou avec une affinité idéologique, car il s’agit d’un poste de gardien tenu à une obligation de loyauté envers le public, non envers le Premier ministre. »
Selon Amit, il est interdit de nommer quelqu’un proche idéologiquement du gouvernement – pas seulement politiquement. Une telle considération serait jugée « illégitime » et annulerait la nomination.
Exemple : si la politique du gouvernement est de favoriser les anciens soldats dans les concours publics, nommer un commissaire partageant cette orientation serait, selon Amit, motif d’invalidation.
En résumé, Amit rejette l’idée même que le Premier ministre puisse nommer ce haut fonctionnaire, arguant que celui-ci doit fidélité au public et non au pouvoir exécutif.
Dès lors, pourquoi ne pas transférer cette compétence de nomination directement à la Cour suprême, qui de facto se l’est déjà appropriée ? Amit n’y verrait certainement aucun inconvénient.
En conclusion, ce jugement est une bombe à fragmentation : il ne se contente pas de saper la souveraineté de la Knesset, il contamine aussi les fondations de la gouvernance publique. Le système judiciaire israélien, sous couvert de garantir l’État de droit, organise une subversion du pouvoir législatif et exécutif.
Maître Aharon Hinman est directeur du Forum des anciens hauts fonctionnaires du service public, et ancien juriste au Cabinet du Premier ministre.