Ce que nous dit cette indignation sélective, presque hystérique, qui s’abat exclusivement sur Israël

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FILE PHOTO: Israeli soldiers operate in the Gaza Strip amid the ongoing conflict between Israel and the Palestinian Islamist group Hamas, in this handout picture released on January 21, 2024. Israel Defense Forces/Handout via REUTERS THIS IMAGE HAS BEEN SUPPLIED BY A THIRD PARTY/File Photo

Ce que nous dit cette indignation sélective, presque hystérique, qui s’abat exclusivement sur Israël. Par Charles Rojzman

Tribune Juive

Pourquoi un antisionisme radical et obsessionnel prospère-t-il aujourd’hui à la croisée de la gauche occidentale et du monde arabo-musulman ?

Le rejet en bloc d’Israël, sa délégitimation systématique, sa diabolisation obsessionnelle n’ont plus grand-chose à voir avec une critique politique ordinaire. Ils relèvent d’un phénomène idéologique profond, émotionnel, passionnel, qui s’est installé dans une partie croissante des élites intellectuelles d’Europe, des Amériques, et bien sûr dans le monde arabo-musulman, où il est devenu une vérité d’évidence, un réflexe identitaire.

Ce rejet ne peut pas être honnêtement expliqué par les seules politiques des gouvernements israéliens. À ce compte, il faudrait haïr bien d’autres régimes — infiniment plus répressifs, autoritaires, ou génocidaires — avec une intensité égale, voire supérieure.

Or, cette indignation sélective, presque hystérique, qui s’abat exclusivement sur Israël, trahit autre chose : un déplacement, une obsession, un besoin de diaboliser, de purger, de simplifier. Et cela, historiquement, a toujours une cible préférée : le Juif.

L’antisionisme radical n’est pas une simple critique d’État. C’est une posture idéologique, rigide, sourde aux faits, imperméable à la raison. C’est une passion haineuse, construite sur une image mythifiée du « Palestinien-victime » et du « Juif-bourreau », où toute nuance est abolie, toute complexité balayée. Il ne s’agit pas de pointer les erreurs, parfois graves, d’un gouvernement israélien. Il s’agit de nier le droit d’un peuple à disposer de lui-même. Il s’agit de contester la légitimité même de l’existence d’Israël.

Cette haine est totale, systémique, déconnectée de la réalité, comme toutes les grandes passions politiques qui ont ensanglanté l’histoire moderne. On ne débat pas avec un démon. On ne dialogue pas avec une entité maléfique. On l’exorcise. On le détruit.

C’est exactement la logique qui gouverne aujourd’hui le discours dominant sur Israël dans de nombreux cercles militants, universitaires, médiatiques : une volonté de délégitimation absolue, un refus d’entendre, de contextualiser, de penser. Le mécanisme est ancien. Il répond à un besoin psychologique fondamental : faire porter à un autre la responsabilité de notre impuissance, de nos échecs, de notre confusion. Dans l’Europe chrétienne du Moyen Âge, c’était le diable — et très souvent sous les traits du Juif — qui incarnait ce mal diffus. Aujourd’hui, c’est Israël qui endosse cette fonction. L’histoire bégaie, et les déguisements changent peu.

Les théories du complot ne sont pas des lubies marginales : elles structurent l’inconscient collectif. Elles apportent un réconfort empoisonné. Elles donnent une cohérence à un monde devenu trop complexe. Et dans cette mise en scène, les Juifs — aujourd’hui les Israéliens — sont encore une fois placés au centre du dispositif accusatoire. Le rapprochement entre les Juifs et le diable n’est pas un fantasme moderne. Il est enraciné dans la tradition chrétienne la plus ancienne : des évangiles à Luther, en passant par les conciles et les légendes populaires. L’image du Juif traître, corrupteur, déicide, a modelé des siècles d’imaginaire occidental. Elle s’est ensuite sécularisée, recyclée dans les grandes idéologies modernes, du nationalisme au communisme, jusqu’à l’antisionisme contemporain. Le monde musulman, quant à lui, n’a pas été épargné. Certains versets du Coran, certains hadiths, ont été interprétés et instrumentalisés pour faire des Juifs des ennemis ontologiques, perfides, éternels.

Si tous les musulmans ne haïssent pas les Juifs, il est difficile d’ignorer que l’antisémitisme — politique, religieux, culturel — est profondément enraciné dans de nombreuses sociétés musulmanes, où il s’enseigne souvent dès l’enfance, dans les familles, dans les manuels scolaires comme dans les prêches. Il est d’ailleurs significatif que cette haine, obsessionnelle, ne soit pas présente dans les religions de l’Asie, comme le bouddhisme ou l’hindouisme.

C’est donc bien un produit d’une histoire spécifique : celle des monothéismes abrahamiques qui se disputent la légitimité spirituelle. Le conflit israélo-palestinien est devenu, dans de vastes pans du monde musulman, une scène de théâtre symbolique. On y joue une pièce millénaire : celle du Bien contre le Mal. Hamed Abdel-Samad l’a dit avec force : « Ce n’est pas Israël que nous détestons. Ce sont les Juifs ».

Et si Israël cédait Jérusalem, Haïfa, Tel-Aviv ? L’inimitié cesserait-elle ? Non. Car le combat n’est pas territorial, il est existentiel. Tant que les Juifs existeront librement, avec une terre, une armée, une culture, un État, ce combat ne cessera pas. Ce que l’inconscient collectif musulman — et parfois chrétien — ne pardonne pas aux Juifs, ce n’est pas la domination. C’est d’avoir survécu. D’avoir refusé la conversion. D’avoir reconstruit une souveraineté. D’avoir échappé au statut de minorité humiliée.

Leur renaissance est une offense. Leur résilience, une menace. Leur victoire, une insulte. Une partie des élites progressistes occidentales, héritières à la fois du christianisme et du marxisme, ont trouvé dans l’antisionisme un exutoire à leur propre culpabilité. Elles expient la Shoah, la colonisation, l’esclavage en dénonçant Israël comme un État raciste, colonial, ségrégationniste. C’est une perversion de la morale, une inversion symbolique majeure : les victimes millénaires deviennent des bourreaux ; les agresseurs, des martyrs. Ces élites, prisonnières de ce que Chesterton appelait des « vertus chrétiennes devenues folles », refusent de voir que leur indignation sélective est un déni de justice. Elles cautionnent l’hostilité la plus brutale tant qu’elle est dirigée contre Israël. Elles ferment les yeux sur les appels au meurtre, les incitations à la haine, les idéologies théocratiques, les crimes commis au nom d’un antisionisme qui n’est qu’un masque.

Un monstre a été recréé. Israël, aujourd’hui, est accusé des mêmes crimes qu’on imputait aux Juifs au cours des siècles : tuer des enfants, détester l’humanité, vouloir dominer le monde. Rien de nouveau. La haine se recycle. Le vocabulaire change, l’accusation reste. On accuse Israël d’ambitions impérialistes démesurées : du Nil à l’Euphrate, demain peut-être jusqu’à Tombouctou ou Paris.

Cette folie est une pure projection, au sens freudien du terme. Ceux qui rêvent de domination religieuse, ethnique ou idéologique, imputent à Israël leurs propres fantasmes de puissance. Ceux qui n’ont pas digéré leurs fautes historiques rejettent sur Israël le fardeau de leur culpabilité.

C’est l’alliance du refoulé et du délire. D’un côté, les héritiers des empires arabes, ottomans, islamiques, humiliés par l’histoire, qui voient en Israël une offense vivante à leur déclin. De l’autre, les Occidentaux rongés par la honte, paralysés par le souvenir de leurs crimes, qui cherchent un nouveau bouc émissaire. Et ils l’ont trouvé.

Israël n’est pas haï parce qu’il est fort. Il est haï parce qu’il existe. Parce qu’il est juif. Parce qu’il a refusé de disparaître. Voilà l’impensé fondamental. Voilà le scandale. Et tant que ce mensonge ne sera pas arraché à la racine, l’antisionisme radical restera, comme l’antisémitisme dont il procède, un poison toujours prêt à tuer.

© Charles Rojzman

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