Professeur Michael Ayache
Israël traverse actuellement une crise constitutionnelle sans précédent qui illustre parfaitement les dérives d’un système judiciaire qui s’arroge des prérogatives politiques au détriment de la souveraineté populaire et de la légitimité démocratique. La tentative de révocation de la procureure générale Gali Baharav-Miara par le gouvernement Netanyahu, immédiatement suspendue par la Cour suprême, révèle l’ampleur d’une véritable dictature judiciaire qui paralyse l’action de l’exécutif élu.
Cette affaire met en lumière une perversion fondamentale du système démocratique israélien, où une oligarchie judiciaire non élue s’arroge le droit de défier systématiquement les décisions d’un gouvernement légitimement constitué. L’analyse du professeur de Droit Constitutionnel Moche Cohen Eliya dévoile avec une lucidité remarquable les ressorts véritables de cette justice politique : loin de s’appuyer sur l’application rigoureuse du droit, les décisions de la Haute Cour dépendent désormais essentiellement de la composition stratégique des panels de juges et de leurs calculs tactiques personnels.
La procureure générale Baharav-Miara incarne parfaitement cette dérive institutionnelle. Chargée de superviser les poursuites contre Netanyahu pour corruption, elle s’oppose systématiquement aux orientations politiques du gouvernement, notamment concernant l’exemption du service militaire pour les Juifs orthodoxes. Cette attitude révèle une conception pervertie de sa fonction, transformant une charge administrative en tribune politique opposée à la volonté populaire exprimée dans les urnes.
L’article 5 de la loi sur les nominations dans la fonction publique confère explicitement au gouvernement le pouvoir de déterminer les méthodes de nomination et de révocation du procureur général. Cette disposition légale claire devrait suffire à trancher la question, mais la Cour suprême persiste dans son entreprise de sabotage institutionnel, démontrant son mépris pour la séparation des pouvoirs et la primauté de la loi écrite sur l’interprétation subjective des magistrats.
L’analyse de Cohen Eliya révèle avec cynisme les manipulations dont se rendent coupables certains juges, notamment les manœuvres d’agenda destinées à influencer la composition des formations de jugement. Ces pratiques frauduleuses, qu’il qualifie sans ambages de « manipulations frauduleuses de la composition », témoignent de la politisation extrême d’une institution censée incarner l’impartialité et la neutralité.
Le précédent de janvier 2024, lorsque la Cour suprême a invalidé par une majorité de 8 voix contre 7 une partie de la réforme judiciaire voulue par le gouvernement illustre parfaitement cette dérive autoritaire. Une majorité d’une seule voix suffit désormais à une poignée de magistrats non élus pour annuler les décisions d’un parlement démocratiquement élu, vidant de sa substance la souveraineté populaire.
La perspective de voir David Zini prendre la direction du Shin Bet introduit une dimension supplémentaire dans cette crise. Si le gouvernement devait ignorer une éventuelle décision de maintien de la procureure générale, cela révélerait l’impuissance fondamentale d’une Cour suprême qui a outrepassé ses prérogatives constitutionnelles. Le « test des agents de sécurité » évoqué par Cohen Eliya symbolise cette réalité : face à l’autorité légitime de l’exécutif, les injonctions d’une justice politisée perdent toute force contraignante.
Cette situation témoigne d’une inversion complète des principes démocratiques fondamentaux. Alors que la légitimité politique procède du suffrage universel et de la responsabilité devant les électeurs, la Cour suprême israélienne prétend substituer sa propre vision politique à celle du peuple souverain. Cette usurpation caractérise précisément ce que l’on peut qualifier de dictature judiciaire : un régime où les juges, affranchis de tout contrôle démocratique, imposent leurs conceptions idéologiques à l’ensemble de la société.
L’ironie de cette crise réside dans le fait qu’en prétendant défendre la démocratie contre les réformes gouvernementales, la Cour suprême détruit en réalité les fondements mêmes du système démocratique. En s’érigeant en pouvoir constituant permanent, elle nie la souveraineté populaire et transforme Israël en une oligarchie judiciaire où quelques magistrats non élus dictent leur volonté à une nation entière.
Cette dérive israélienne offre un exemple saisissant des dangers que représente un pouvoir judiciaire émancipé de tout contrôle démocratique et constitutionnel. Elle démontre avec éclat que la défense de la démocratie passe nécessairement par la restauration de l’équilibre des pouvoirs et la subordination de l’institution judiciaire à la volonté souveraine du peuple, exprimée par ses représentants élus.