Quand la concurrence dérange El Al – Bras de fer aérien
Sous la pression d’une concurrence qui s’intensifie, le transport aérien israélien s’est invité au cœur d’un affrontement ouvert entre le comité des travailleurs d’El Al et le ministère des Transports. En cause : le projet d’autoriser Wizz Air à ouvrir une base opérationnelle en Israël. La réunion tenue dimanche entre la ministre des Transports, Miri Regev, et les représentants du personnel a tourné court. Après que la ministre a confirmé qu’une telle base était bien envisagée, la délégation syndicale a quitté la salle au bout d’une dizaine de minutes.
Le ministère, de son côté, assume une logique pro-concurrence. Miri Regev l’a formulé sans détour : les travailleurs comptent, mais l’intérêt des consommateurs aussi, et il n’est plus question d’accepter une hausse des prix. L’ouverture d’une base Wizz Air, argue le ministère, favoriserait davantage de liaisons, des horaires de départ plus avantageux et des coûts d’exploitation réduits — autant de leviers susceptibles de se traduire par des tarifs plus bas pour le public.
C’est précisément ce point que conteste El Al. La compagnie souligne l’asymétrie structurelle qui pèserait sur les épaules des transporteurs nationaux : contraintes de sécurité spécifiques, procédures et coûts additionnels auxquels, selon elle, les compagnies étrangères n’auraient pas à se soumettre au même niveau. En filigrane, la crainte d’un précédent : accorder une base à un acteur étranger aujourd’hui pourrait ouvrir la porte, demain, à d’autres demandes similaires, au risque d’un effet d’éviction. Le syndicat rappelle aussi que, lors des périodes d’urgence, plusieurs compagnies étrangères ont réduit ou interrompu leurs opérations en Israël, tandis que les transporteurs nationaux sont restés en première ligne. À ses yeux, la « résilience » du pays dépend de la capacité de ses compagnies à maintenir des liaisons, y compris en temps de crise.
Sur le plan opérationnel, une base locale offrirait à Wizz Air des avantages tangibles : stationner des avions à Ben Gourion, héberger des équipages en Israël, densifier le programme de vols et mieux se positionner sur des créneaux de départ recherchés. Cette optimisation logistique abaisserait ses coûts unitaires et, potentiellement, les prix pour les voyageurs. Mais ce qui ressemble à un gain immédiat pour le consommateur soulève une question de fond : quel prix collectif si les parts de marché des compagnies israéliennes se contractent durablement ?
Au-delà des slogans, deux logiques se font face. La première, concurrentielle, postule que la pression des prix profite à la majorité et dynamise l’offre. La seconde, stratégique, défend un noyau dur de capacités nationales — emplois qualifiés, flotte, savoir-faire — jugé indispensable en période d’instabilité. Entre ces pôles, le régulateur doit arbitrer : comment ouvrir le marché sans casser l’outil industriel local ? Faut-il conditionner l’implantation d’une base étrangère au respect d’exigences symétriques (sécurité, obligations de service, maintien des liaisons critiques) afin d’éviter un déséquilibre ?
Dans l’immédiat, les menaces d’actions syndicales exposent le système aérien à des perturbations sensibles : files d’enregistrement allongées, retards en cascade, éventuelles annulations. Une fermeture générale, si elle se matérialisait, toucherait directement les voyageurs et renchérirait le coût politique du dossier. Pour éviter l’escalade, un compromis pourrait passer par des garde-fous : clauses de présence en période d’urgence, engagements d’emploi local, ou mécanismes d’« équité réglementaire » réduisant l’écart de charges entre acteurs.
Le débat est loin de se limiter à un duel El Al–Wizz Air. Il interroge la place d’Israël dans un ciel mondial où les bases avancées, l’optimisation des équipages et les stratégies de coûts sont devenues la norme. L’équation n’a pas de solution simple : protéger la résilience nationale tout en offrant des billets abordables. La décision finale déterminera non seulement le niveau des prix à court terme, mais aussi l’architecture du marché aérien israélien et la capacité du pays à s’appuyer, demain, sur des opérateurs robustes en temps de crise comme en période d’accalmie.
Jforum.fr