Par Amir Taheri
La ligne prévue est déjà surnommée la « Voie Trump vers la paix et la prospérité », car elle met fin à plus de 200 ans de guerres intermittentes entre les Turcs (initialement Ottomans) et les Arméniens (sujets du tsar russe, puis de l’URSS). La désintégration de l’Empire soviétique dans les années 1990 a conduit à l’émergence d’un État arménien enclavé à côté de ce qui a été baptisé la République d’Azerbaïdjan, mais le conflit a perduré.
Le suzerain soviétique étant parti, les deux républiques appauvries ont déclenché une guerre qui a duré plus d’une décennie et a poussé plus de 300 000 personnes à quitter leurs villages ancestraux.
L’Iran possède une frontière de 688 kilomètres avec l’Azerbaïdjan, coupée par la frontière de 44 kilomètres qui sépare l’Arménie de l’Iran. Cette étroite frontière devait constituer le point de départ de ce que l’on appelait le corridor Nord-Sud, reliant l’Iran à la Russie et, de là, à l’Europe via la Géorgie.
Il va sans dire que la situation tendue entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan a empêché la construction de la liaison ferroviaire Iran-Géorgie-Russie-Europe. Néanmoins, la frontière arménienne est restée cruciale pour le transit et le commerce iraniens, avec de longues files de camions transportant des marchandises en provenance de Russie et, avant la guerre en Ukraine, d’une grande partie de l’Europe centrale et orientale.
De plus, deux importants complexes hydroélectriques sont situés dans la zone frontalière, ce qui rend une coopération étroite entre l’Iran et l’Arménie vitale pour les deux parties. À moins de 5 kilomètres de la zone frontalière se trouve également une zone de libre-échange d’une certaine importance pour les provinces iraniennes d’Azerbaïdjan oriental et d’Ardebil. À cela s’ajoutent des installations de gestion de l’eau et des projets environnementaux.
Le patchwork, créé par la politique délibérée de Staline consistant à diviser pour mieux régner, a divisé la République d’Azerbaïdjan en deux parties : la République autonome du Nakhitchevan, à l’ouest, partage des frontières avec la Turquie, l’Iran et l’Arménie, mais pas avec l’Azerbaïdjan lui-même. Ainsi, les contacts entre la Turquie et l’Azerbaïdjan n’ont été possibles que via le territoire iranien.
Si l’Iran n’avait pas été isolé diplomatiquement, le tracé idéal pour la ligne ferroviaire Turquie-Caspienne aurait dû traverser le territoire iranien, car il aurait également pu desservir les provinces du nord-ouest de l’Iran. La ligne théorique passant par l’Iran aurait également pu réduire le coût de la construction de pipelines pour acheminer les ressources énergétiques de la Caspienne vers la Méditerranée via la Turquie.
Le choix de la nouvelle route, connue sous le nom de Zangezur, dans la province arménienne de Syunik, exclut l’Iran d’une ligne commerciale qui pourrait relier l’Anatolie à l’Asie centrale et à la Chine via la mer Caspienne à un moment où l’Iran est également exclu du projet mondial de ceinture et de route de la Chine.
L’agence de presse iranienne Tasnim, contrôlée par le Corps des gardiens de la révolution islamique, craint que, compte tenu des liens étroits de Bakou avec Israël, le projet ne constitue une menace directe pour la sécurité iranienne. Le quotidien gouvernemental iranien titrait l’autre jour : « L’Amérique, devenez notre voisin ! »
En effet, en vertu de l’accord de Trump sur la « voie de communication », la zone frontalière côté arménien, sur une profondeur de cinq kilomètres, est louée aux États-Unis pour 99 ans. Aux termes du protocole d’accord conclu entre Trump, le président azerbaïdjanais Ilham Aliev et son homologue arménien Nikol Pachinian, les postes-frontières seront gardés par des gardes arméniens. Cependant, les États-Unis contrôleront l’intégralité de la frontière en créant une zone de communication, à l’instar de la zone du canal de Panama en Amérique centrale.
Le bail de 99 ans ravive le souvenir amer de la cession par l’Iran de ce qui est aujourd’hui l’Azerbaïdjan, l’Arménie et le Nakhitchevan à l’Empire russe en vertu du traité du Golistan en 1813. Mais lorsque ce bail a pris fin, l’Iran était trop faible pour exiger la restitution de ses territoires perdus et la Russie trop forte pour même envisager de les restituer.
Téhéran est également irrité de n’avoir même pas été consulté sur un changement aussi important le long d’une frontière cruciale. Néanmoins, les dirigeants téhéraniens ont décidé d’accueillir favorablement l’accord négocié par Trump et d’accepter la Voie à suivre, malgré quelques réticences, dans l’espoir que cette nouvelle situation contribuerait à apaiser les tensions avec Washington.
Un signe de la volonté de Téhéran d’accepter son nouveau voisin est la décision d’abandonner le projet de construction d’une nouvelle base militaire à Talesh, près des frontières de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan, en vue d’une éventuelle invasion et d’une annexion du Nakhitchevan. Ainsi, la voie Trump pourrait également garantir le maintien de la paix entre l’Iran et l’Azerbaïdjan.
En tant que « voisins », l’Iran et l’Autorité de la zone Pathway devront coopérer dans un certain nombre de domaines : la sécurité, la lutte contre les contrebandiers et les trafiquants de drogue et d’êtres humains, tout en satisfaisant des projets communs bien établis en matière d’environnement et de partage de l’eau.
La zone américaine aurait également besoin d’une coopération avec l’Iran pour sécuriser une partie de son électricité, ainsi que tous ses besoins en pétrole et en gaz. Autrement dit, les personnels iranien et américain devront apprendre à dialoguer et à collaborer sur les questions pratiques du quotidien plutôt que de se contenter de prendre des otages, d’exporter la révolution, de rayer Israël de la carte et de se doter d’armes nucléaires.
Eh bien. Une question : les barons du Nobel reconnaîtront-ils Trump comme un artisan de paix ?