M. Alain Finkielkraut ou la fatigue du Juif de salon

M. Alain Finkielkraut ou la fatigue du Juif de salon

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Cours HSS avec Alain Finkielkraut invité par Michaël Foessel
Lettre ouverte de Rony Akrich
Un certain temps, je vous avais perçu comme un ami fidèle d’Israël. Votre voix portait alors la gravité de celui qui sait la fragilité d’un peuple entouré d’ennemis. Vous parliez avec émotion de Jérusalem, du droit d’exister sans s’excuser, du drame juif comme d’un destin partagé et non comme d’un sujet d’étude. Vous sembliez comprendre que la survie d’Israël n’est pas un caprice nationaliste, mais la condition même de la dignité juive.
Mais quelque chose s’est éteint. Le courage s’est dissous dans la prudence, la fidélité dans la distance, et la parole dans la peur du jugement. Vous avez cessé d’aimer Israël vivant pour ne garder que son souvenir acceptable. Vous êtes devenu l’ami dont on dit : il nous aimait, tant que l’on mourait, mais il nous supporte mal, depuis que l’on vit.
Vous ne supportez plus la vigueur d’un peuple redevenu libre, armé, bruyant, contradictoire, croyant. Vous préférez le Juif abstrait, douloureux, cultivé mais impuissant. Israël, dans sa vitalité, vous dérange. Parce qu’il vous rappelle ce que vous avez cessé d’être: debout, enraciné, audacieux, porté par la foi en un devenir.
Je vous comprends. Vous êtes las, usé, fatigué, apeuré. Le plus facile, sans doute, est de trouver grâce aux yeux de vos détracteurs, de plaire à ceux qui vous tolèrent tant que vous condamnez les vôtres. Vous avez troqué la fidélité pour la reconnaissance, la vérité pour la nuance, la ferveur pour la bienséance. Vous avez choisi l’estime de vos ennemis plutôt que l’amour de vos frères.
Mais la peur ne rachète pas la trahison. Et l’angoisse du regard des autres ne justifie pas le reniement des siens. Vous vous croyez lucide, mais vous n’êtes que las; vous vous croyez libre, mais vous êtes prisonnier de votre désir d’être aimé par ceux qui ne vous aimeront jamais.
Vous, Alain Finkielkraut, êtes devenu le miroir fatigué d’un judaïsme muséal, d’un humanisme sans souffle. Vous avez troqué la parole vivante pour le commentaire éternel, l’hébreu pour le français, la prophétie pour la posture. Vous aimez la mémoire, pas la promesse ; la Shoah, pas Sion ; le mort qui souffre, pas le vivant qui agit.
Quand vous declarez pouvoir être assassiné par un islamiste comme par un Juif extrémiste, vous ne faites pas preuve de clairvoyance, mais de confusion morale. Vous placez sur le même plan le meurtrier et celui qui défend la vie, l’assassin et le soldat, l’oppresseur et l’homme libre. Cette symétrie est votre refuge: elle vous dispense de choisir, de nommer, d’assumer. Camus l’avait déjà dit : « Je hais, par instinct, les intellectuels qui ne choisissent jamais ». Vous voilà devenu, malgré vous, un serviteur du mensonge élégant.
Vous traitez les habitants de Judée et de Samarie, ces territoires ancestraux de la nation hébraïque, où résonnent encore les pas d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, de colons sauvages et violents. Mais qui sont-ils donc, ceux qui vivent aujourd’hui à Tel-Aviv, dans la plaine du Sharon, sur les hauteurs du Golan ou dans la vallée du Jourdain ?
De quoi sont-ils les héritiers sinon de la même conquête morale, de la même promesse incarnée, du même droit au retour ? Pourquoi le sol de Beersheva serait-il plus légitime que celui de ’Hévron, la terre de ‘Haïfa plus pure que celle de Shilo?
La Bible ne distingue pas entre le centre et la périphérie de la promesse. Elle ne dit pas : “tu reviendras à Jérusalem mais tu abandonneras Béthel.” Elle dit : « Tout lieu que foulera la plante de ton pied, Je te le donne » (Josué 1:3).
Alors, de quel droit les enfants d’Israël, revenus sur leurs collines, seraient-ils des usurpateurs, quand les villes modernes où vous flânez sont bâties sur les ruines d’anciens villages arabes et sur la fidélité de ces Juifs qui n’ont jamais cessé d’espérer ?
Ceux que vous accusez de barbarie ne sont coupables que d’avoir refusé la résignation. Ils n’ont pas colonisé, ils ont poursuivis l’œuvre inexorable de l’histoire d’Israël, celle dont vous vous êtes absenté. Mais ces “extremistes” ont plus de Bible dans le cœur que vos bibliothèques entières. Ils parlent la langue des prophètes pendant que vous récitez Racine. Ils habitent le souffle d’Abraham pendant que vous dissertez sur la laïcité. Vous les méprisez parce qu’ils incarnent la continuité d’Israël, cette chaîne de feu que vous avez laissée se consumer dans les salons de la République.
Vous le dites vous-même : vous ignorez l’historiosophie biblique, la philosophie hébraïque de l’âge d’or espagnole, Maïmonide, Yehouda Halévi. Mais cela ne vous empêche pas de juger le peuple qui s’en réclame. Vous êtes devenu un étranger dans la maison de vos pères. Vous préférez le commentaire sur l’alliance à la vie de l’alliance. Vous avez oublié que la Bible n’est pas une littérature, mais une convocation.
Halévi l’avait pressenti dans le Kuzari : « La vérité d’Israël ne se prouve pas, elle se vit. » Maïmonide, dans le Michné Tora, enseignait que la souveraineté d’Israël est la condition du bien. Amos rappelait que « le Seigneur D’ ne fait rien sans révéler Son dessein à Ses serviteurs, les prophètes » (Amos 3:7). Mais pour entendre ces paroles, encore faut-il ne pas confondre révélation et commentaire.
Votre judaïsme est celui de la commémoration, pas de la création. Vous aimez Levinas tant qu’il reste métaphysique, pas lorsqu’il parle d’élection et de responsabilité concrète. Vous aimez Rosenzweig, mais oubliez qu’il rêvait d’un peuple vivant sa foi dans le monde. Vous êtes resté prisonnier de la France de Descartes, où tout se pense mais rien ne s’accomplit. Vous restez juif, dont tout le signifié est une dimension fractionnelle, mais jamais au grand jamais vous ne redeviendrez cet Hébreu à l’élan vital si vous persistez dans ce deviationisme.
Vous ne voyez pas que c’est votre école spirituelle qui s’effondre. Votre universalisme est devenu abstrait, désincarné, sans peuple, sans souffle, sans épreuve. Vous aimez Jérusalem quand elle est conceptuelle, pas quand elle est armée. Vous aimez la paix quand elle est verbale, pas quand elle exige la défense. Vous aimez Israël comme mythe, pas comme nation.
Alors oui, continuez votre masturbation cérébrale tremblante. Continuez à tourner le dos à la vox populi israélienne, à cette voix populaire, hébraïque, charnelle, biblique, qui n’a rien à voir avec vos camarades progressistes et minoritaires. Continuez à juger de loin ceux qui portent l’Histoire à bout de bras pendant que vous tenez vos micros. Continuez à préférer la nuance des lâches à la clarté des justes.
Mais souvenez-vous d’Ézéchiel : « Je vous prendrai d’entre les nations, Je vous rassemblerai de tous les pays, et Je vous ramènerai sur votre terre » (Ez 36:24). Ce n’est pas une allégorie, M. Finkielkraut, c’est un acte. Et cet acte vous dépasse.
Vous ne serez pas assassiné par un extrémiste juif. Vous serez oublié par l’Histoire, comme tous ceux qui ont préféré la servitude polie à la liberté rugissante. Vous n’êtes pas un ennemi: vous êtes un témoin fatigué qui a abandonné avant la fin du chemin.
Pendant que vous hésitez, Israël agit. Pendant que vous doutez, il combat. Pendant que vous commentez, il construit. Et cela est votre drame : le judaïsme que vous aimiez est devenu hébraïsme, vivant, souverain, prophétique, sans votre permission.

 

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