Paris cherche le “mode d’emploi” de la paix

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Un mois et demi après la reconnaissance par la France de l’État de Palestine, Emmanuel Macron reçoit ce mardi 11 novembre 2025 Mahmoud Abbas à l’Élysée. L’objectif affiché n’est plus symbolique mais opérationnel : arrimer la décision française à un calendrier concret — sécurité, gouvernance, reconstruction — et s’assurer que l’aide humanitaire vers Gaza reste soutenue et traçable. Paris entend ainsi transformer un geste diplomatique en levier de mise en œuvre, dans un contexte où les lignes régionales restent mouvantes et la méfiance d’Israël intacte.

Le cadre de la discussion s’inscrit dans la séquence ouverte fin septembre aux Nations unies, lorsque la France a officialisé sa reconnaissance en la liant à la relance d’un processus politique. Depuis, l’Élysée martèle la même équation : cessez-le-feu effectivement appliqué, libération de tous les otages, accès humanitaire massif et reprise d’un horizon à deux États. La visite d’Abbas vise à “ancrer” les volets techniques : dispositifs de sécurité intérimaires, mécanismes de gouvernance à Gaza et en Cisjordanie, et architecture de financement pour la reconstruction, en concertation avec l’Égypte, la Jordanie, l’Union européenne et les bailleurs arabes.

Sur le versant palestinien, Paris pousse une réforme tangible de l’Autorité palestinienne : capacité administrative renforcée, règles budgétaires clarifiées, sécurité intérieure reconfigurée et préparation d’un processus électoral crédible. Ces évolutions sont présentées comme un préalable à la reprise de responsabilités à Gaza une fois le cessez-le-feu consolidé. L’exigence est politique — répondre au déficit de légitimité — autant que pratique : coordonner efficacement l’aide, sécuriser les corridors et éviter le retour d’une économie de guerre.

Côté français, la ligne humanitaire demeure ferme : maintenir un flux d’assistance (alimentaire, médicale, eau, abris) et l’élargir dès que les conditions de sécurité le permettent. Paris plaide pour des garanties d’accès et, sur le terrain, a multiplié les contributions logistiques, tout en rappelant que les airdrops ou ponts aériens ne sauraient remplacer une ouverture régulière et contrôlée des points d’entrée terrestres.

Reste la dimension la plus sensible : la réaction d’Israël. La reconnaissance française a suscité des critiques immédiates à Jérusalem, jugeant la démarche contre-productive tant que le Hamas n’est pas désarmé et que la sécurité d’Israël n’est pas garantie. L’Élysée, lui, insiste sur un double principe : la reconnaissance ne vaut ni blanc-seing politique ni absolution sécuritaire ; elle est un outil pour réenclencher un cadre de négociation et lever des vetos croisés qui paralysent la région depuis des années.

La marge de manœuvre se joue désormais sur trois axes. Premièrement, la crédibilité du cessez-le-feu : sans diminution vérifiable des tirs et une coopération sécuritaire minimale, aucun pilier civil ne tient. Deuxièmement, la capacité de l’Autorité palestinienne à assumer des fonctions concrètes — paiement des salaires, remise en état des services, police civile — en évitant les chevauchements de chaînes de commandement. Troisièmement, la mobilisation financière : la reconstruction exige des promesses fermes et un guichet unique, afin d’éviter la dispersion des projets et le retour des marchés parallèles.

Le pari français est risqué mais clair : faire du tête-à-tête avec Abbas un accélérateur de décisions techniques, plutôt qu’une nouvelle photo diplomatique. S’il se traduit par des jalons mesurables — sécurité aux points de passage, gouvernance clarifiée, calendrier de réformes —, il pourra réduire le fossé entre les grandes déclarations et la vie quotidienne des civils. À défaut, la reconnaissance restera un signal sans relais, exposé aux vents contraires de la région.

Jforum.fr

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