Ces minorités qui se victimisent au miroir du « Palestinisme » inaugurent une forme d’organisation nouvelle : la meute émotionnelle.
Une haine d’Israël s’exprime partout, sans fards, au sein du monde occidental.
Jeudi 6 novembre, à Paris, quatre « antisionistes » ont perturbé à coups de fumigènes le concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël.
Le dimanche 24 août, au festival Rock en Seine, le groupe de rap et de hip-hop irlandais Kneecap a clamé devant une foule en liesse sa solidarité avec le Hamas à Gaza.
La Fédération irlandaise de football s’apprête à demander l’exclusion d’Israël des compétitions UEFA.
Après les élus de La France insoumise, c’est au tour d’Olivier Faure d’accuser Israël de « génocide ». Wikipédia a également officialisé l’accusation de génocide. Le 1ᵉʳ octobre, c’est l’animateur Nagui qui a repris le terme dans son émission « La Bande originale » sur France Inter.
La haine débridée d’Israël qui s’exprime en France se manifeste aussi en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie, aux États-Unis…
Certains observateurs tendent à minorer le phénomène. Dominique Reynié, directeur de Fondapol, professeur à Sciences Po, affirme, preuves à l’appui, que « la société française dans son ensemble n’est pas antisémite ». Si antisémitisme il y a, il est le fait de minorités. Un sondage IFOP d’avril 2024 a aussi montré que, parmi les personnes interrogées, seule « une minorité de 12% pointe Israël comme unique responsable de l’actuel antisémitisme ». Aux États-Unis, un sondage Axios (mai 2024) a révélé que seule une minorité d’étudiants (8%) a participé aux manifestations de soutien au Hamas sur les campus. En Italie, l’institut de sondages Eurispes, confirme également le caractère minoritaire de l’antisémitisme dans ce pays.
Ou Réseau ?
Se rassurer par l’argument de « la minorité » est bien entendu illusoire. Chacun sait depuis Lénine (le Parti comme avant-garde) qu’une minorité active et organisée peut conquérir le pouvoir sans assise populaire réelle. Et des minorités actives comme LFI peuvent, par une lancinante et quotidienne accusation, généraliser l’idée qu’Israël accomplit un « génocide » à Gaza
Il est d’autant moins possible de se rassurer ainsi que le Palestinisme qui se développe aujourd’hui n’est pas l’affaire d’UNE minorité. Il est l’affaire DE PLUSIEURS minorités. Et même de dizaines de minorités. Militants LGBT, militants politiques (LFI, PS, écologistes…), artistes comme Javier Bardem, Susan Sarandon ou Kneecap…, athlètes qui veulent exclure Israël de l’UEFA… chacun exprime, dans le champ qui est le sien, le même soutien au Hamas et la même détestation d’Israël. Les motivations, les objectifs et les langages peuvent varier ; mais, ensemble, sans s’être concertés, tous agissent comme un collectif.
Intersectionnalité
La « Palestine » représente en réalité le premier cas réussi d’intersectionnalité des luttes.
Jusqu’à présent, l’intersectionnalité était demeurée un horizon moral : « Victimes de tous les pays, unissez-vous ! » Mais sur le terrain, LGBT, Noirs, Arabes, Féministes, Antiracistes, Altermondialistes… peinaient à unifier et coordonner leurs combats. La fusion ne durait pas et butait très tôt sur le réel des intérêts particuliers.
Le « Palestinisme » en revanche – soutien au Hamas et haine d’Israël – est une réussite par sa durée. Il constitue aujourd’hui le seul véritable point de convergence global, désintéressé et durable entre une foule d’acteurs dispersés et sans réel rapport les uns avec les autres.
La passion intersectionnelle
Qu’est-ce qui fait agir ensemble ces comédiens, sportifs, groupes de rock, écologistes, islamistes… ? Comme l’écrit l’historien Georges Bensoussan dans Le Point, « nous ne sommes plus dans l’histoire, ni même dans le champ du politique, mais dans celui d’une passion… ». Pierre-André Taguieff, philosophe et spécialiste de la haine des juifs, évoque lui aussi un « espace affectivo-imaginaire » qui mobilise « des représentations, parfois délirantes ».
Mais cette ardeur islamisante n’a en fait rien de nouveau. L’Orient a toujours enflammé l’Occident. Dans son livre « L’Orientalisme[1] », Edward Saïd signalait déjà que la passion de l’Occident pour l’Orient en disait plus sur l’Occident que sur l’Orient. Dans son excellent livre intitulé « Analyse d’un miracle, naissance d’Israël[2] » (1949), l’écrivain Arthur Koestler remarque lui aussi que l’administration britannique a pris le parti des Arabes contre les Juifs en raison de sa fascination pour le djihad. « Nous adorons nous faire peur en imaginant une fanatique armée d’Arabes sortis par millions du désert pour passer au fil de l’épée les Infidèles, au cri d’ “Allah ! Allah !” ».
Le Quai d’Orsay et le Foreign Office britannique, qui s’étaient accaparés le Moyen-Orient entre les deux guerres mondiales, partageaient une vision commune, celle de l’Orient Rédempté. Les diplomates français se prenaient pour Lyautey apportant la civilisation aux Barbares tandis que plusieurs «générations de provinciaux anglais, devenus pachas et beys, avaient consacré leur existence à la cause des Arabes et avaient fini par en faire leur cause. Pour eux, l’aventure sioniste mettait en péril leur grande espérance ; la Renaissance Arabe sous patronage britannique[3] ».
Cette passion orientaliste élitiste est devenue une passion populaire
Ce « fantasme arabe » des élites administratives et politiques de l’Occident a quitté le cercle étroit des élites administratives pour être transféré aux enfiévrés de tous bords, militants, sportifs et artistes du XXe et du XXIe siècle.
Mais en se popularisant, cette passion orientale a muté. Ce n’est plus la terreur du djihad qui ravit les Occidentaux, mais la souffrance christique des Palestiniens.
Les accusations de « génocide », « apartheid », « colonisation » prononcées contre Israël ne sont pas des concepts, mais des extases à partager.
Socialisation des émotions
Le Palestinisme ainsi tué le débat politique. S’installe à la place un socialisme des émotions. Finie la convergence d’intérêts matériels ou stratégiques ! Place au partage des affects !
Les caractéristiques principales du « Palestinisme » sont :
- Chaque groupe minoritaire communique sa douleur à travers une cause commune (ici le Palestinisme).
- À bas les conflits sur des programmes communs. Vive l’empathie envers la Palestine et la haine d’Israël.
- Génocide, apartheid, colonisation deviennent des signifiants affectifs, servant à produire une indignation collective plutôt qu’une analyse politique rationnelle.
- Cette union émotionnelle est souvent éphémère, volatile et médiatisée, mais elle se renouvelle facilement, produisant une sorte de réseau moral tout à la fois permanent et fluctuant.
Certains diront : tout cela n’est pas bien grave
Ces idiots qui se victimisent de concert avec les Palestiniens ne font de mal à personne, diront certains. Mais nous n’en avons pas vu le bout : le socialisme des émotions représente une mobilisation morale planétaire qui place Israël et les Juifs en position de bouc émissaire. Victimiser en meute, c’est appeler à agir. Comme l’écrivait René Girard dans La violence et le sacré (1972) « Les hommes ne savent pas ce qu’ils font, mais ils savent qu’ils doivent tuer pour retrouver la paix. »
[1] Said Edward, L’orientalisme – L’orient Créé Par L’occident, Collection: Points. 580 page
[2] Arthur Koestler, Analyse d’un miracle, Calmann Levy ; 1967
[3] Cf note 1