Bernard-Henri Lévy condamné à 33 ans de prison en Tunisie

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“La bêtise est infiniment plus fascinante que l’intelligence, infiniment plus profonde. L’intelligence a des limites, la bêtise n’en a pas.”

L’intellectuel a été condamné en appel dans l’affaire dite du « complot contre l’État ». Un procès politique qui a embastillé la quasi-totalité de l’opposition au président Saïed.

Staline et Kafka. Ce qui s’est joué à la cour d’appel de Tunis le 27 novembre relève du procès stalinien et de l’absurdité kafkaïenne. Trente-deux condamnés en première instance ont vu leurs peines alourdies ou nuancées. Trente-deux condamnés qui représentent l’opposition politique et intellectuelle au président Kaïs Saïed, au pouvoir depuis 2019. Parmi les condamnés, Bernard-Henri Lévy. L’intellectuel français a vu sa peine confirmée par contumace : 33 ans de prison ferme.

Le 11 février 2023, la police tunisienne encerclait la maison de Khayam Turki dans la banlieue nord de la capitale avant d’y pénétrer à l’aube et d’arrêter l’ancien directeur de cabinet du président de l’Assemblée constituante (2011), membre d’Ettakatol (variation du Parti socialiste) et homme d’affaires. Ainsi débutait, dans une débauche de présences policières, l’affaire dite du « complot contre l’État ».

Turki sera condamné à 46 ans de prison ferme au terme du premier procès, auquel lui et les 36 autres accusés n’auront pu assister, contraints de ne pas quitter leurs cellules. Après trois jours d’une parodie de justice, le verdict tombera à 5 heures du matin, via l’agence de presse étatique TAP. Les avocats de la défense n’avaient pas plaidé et n’étaient pas présents.

Le déjeuner qui provoquera l’ire du pouvoir

Le président du parti islamiste Ennahdha Rached Ghannouchi, président de l’Assemblée des représentants du peuple jusqu’au coup d’État mené le 25 juillet 2021 par Kaïs Saïed, coup qui mit fin à l’institution démocratique issue de la révolution. L’ancien ministre et député Ghazi Chaouachi, ex-secrétaire général du parti centriste Ettayar, le constitutionnaliste Jawhar Ben Mbarek et des dizaines d’autres furent condamnés à des peines allant de dix à soixante-six ans de prison ferme. Parmi les condamnés, une énigme : Bernard-Henri Lévy.

L’intégralité du procès tient en quelques feuillets, le dossier d’accusation reposant sur deux témoignages improbables et l’exploitation des messageries WhatsApp des accusés. Tout part d’un déjeuner organisé par Khayam Turki à son domicile. Voyant que le président Saïed s’est emparé de tous les pouvoirs depuis le coup d’État de 2021, allant jusqu’à écrire de sa main la nouvelle Constitution, l’homme décide de réunir les chefs de partis politiques qui s’opposent au président afin de jeter les bases d’un projet politique, économique et social pour les futures élections.

L’idée ? Contrer le totalitarisme rampant via une offre politique sérieuse et unie. Vingt personnes sont conviées à ce déjeuner, dix s’y rendront et discuteront autour d’un couscous poisson. Pour le palais présidentiel de Carthage, ce déjeuner est une conspiration contre l’État, un « complot ». Les arrestations commenceront le 11 février. Tous les convives seront arrêtés, mis sous dépôt puis jugés à la hâte. Dans les boucles WhatsApp des convives, les policiers feront leur miel : des ambassadeurs (dont le Français André Parant), des intellectuels, des journalistes…

Une partie d’entre eux seront cités dans l’acte d’accusation et condamnés par contumace. Dans son bloc-notes, le 24 avril 2025, BHL écrivait : « Je suis accusé de “complot contre la sécurité extérieure de l’État”, de “soutien ou encouragement à des actes armés”, de “provocation de troubles et de pillages en lien avec des actes terroristes”, tout cela dans un pays où je n’ai pas mis les pieds depuis dix ans, tout cela, tout ce fatras, en association avec des hommes que je n’ai jamais rencontrés et dont je ne connaissais, jusqu’aujourd’hui, pas le nom. »

BHL, un urticant pour les autocrates

La présence de Bernard-Henri Lévy n’a aucune justification factuelle dans cette affaire montée par la présidence afin de préparer la réélection de son Raïs (qui obtiendra 93 % des voix face à deux candidats sélectionnés). L’utilisation de BHL par le pouvoir est un grand classique dans la région. L’homme avait eu un rôle moteur en Libye lors du Printemps arabe, utilisant à plein régime sa notoriété, ses réseaux d’influence pour convaincre l’Élysée qu’il fallait intervenir pour « sauver Benghazi », que le colonel Kadhafi s’apprêtait à mater dans le sang début 2011.

Le 27 novembre 2025 restera comme l’une des dates les plus sombres de l’histoire judiciaire tunisienne. Au terme d’une procédure disloquée, marquée par les violations les plus graves des garanties constitutionnelles et internationales, la cour d’appel de Tunis a condamné des dizaines d’opposants au Président Kaïs Saïed de façon totalement surréaliste. Parmi eux et de façon totalement surréaliste alors que ni de près ni de loin BHL ne soit apparu dans l’histoire récente de la Tunisie, le philosophe français, jugé en fuite, a vu sa peine en appel portée de 35 à 43 ans de prison. Plus 5 ans de « surveillance administrative ». Et sur la base de rapports des services secrets algériens.

La Cour d’appel de Tunis a prononcé des peines allant de 2 à 45 ans de prison, contre journalistes, avocats, opposants politiques, défenseurs des droits humains, hauts fonctionnaires et citoyens ordinaires. La séance s’est déroulée sous les cris : « Libertés ! Libertés ! À bas la justice des instructions !»
Alors que de nouvelles peines très lourdes ont été à nouveau prononcées en appel, les avocats ont découvert in extremis que le dossier d’accusation reposait largement sur des documents fournis par l’Algérie, a révélé Jeune Afrique.

Un réquisitoire antisémite

Les rapports policiers algériens qui ont servi de preuves aux « magistrats tunisien » sont émaillés d’inepties notamment à l’encontre de BHL. Du genre ce cet extrait mettant en cause les liens du philosophe français et d’un homme d’affaires très influent dans les milieux politiques, Kamal Latif: « ‘L’accusé Kamal Latif entretient une relation directe avec l’accusé Bernard-Henri Lévy, ce dernier ayant des investissements en Tunisie sous de faux noms, appartenant à des Juifs tunisiens, et puisque les services de renseignement algériens ont prouvé, par des enquêtes menées sur place, son lien avec des actes de sabotage et des mouvements séparatistes amazighs en Algérie ».

Une justice tunisienne contrainte d’aller piller les poubelles des services algériens pour disqualifier ses adversaires, voici qui est pathétique

Cette farce judiciaire révèle la réalité politique d’un pays devenu une dictature, et pire que cela, une dictature dénuée de toute capacité à gérer avec un minimum de rationalité et d’expertise le régime ultra répressif imposé à un des peuples les plus civilisés du monde.

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