Comment le Mossad a humilié le régime des ayatollahs

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Comment le Mossad a humilié l’Iran avec une opération d’une audace sans précédent

Déjà légendaire parmi ses pairs, MI6, CIA, FSB ou DGSE, le service de renseignements israélien vient de démontrer qu’il était le « meilleur du monde ». Il place l’action clandestine dans une tout autre dimension et offre à Benyamin Netanyahou une magnifique revanche.

Un acte imbécile de macho irresponsable. La presse n’est pas tendre, c’est le moins qu’on puisse dire, envers Benyamin Netanyahou. Alors âgé de 47 ans, il n’est Premier ministre que depuis un an – le plus jeune de l’histoire d’Israël – quand, le 25 septembre 1997, sur son ordre, deux espions du Mossad tentent d’assassiner, à Amman, en Jordanie, Khaled Mechaal, alors président du Hamas. La méthode choisie ? Un poison vaporisé sur l’oreille du leader palestinien. C’est un échec retentissant. Mechaal survit. Le couple d’agents est ceinturé par son garde du corps, puis remis aux autorités jordaniennes. Le roi Hussein de Jordanie menace de les faire pendre. Pourtant, Israël n’en est pas à son coup d’essai en matière d’assassinats ciblés. Sans remonter à la capture d’Eichmann en Argentine, ils ont éliminé en leur temps, un par un, les membres du commando de l’organisation Septembre noir, responsables du massacre des athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich.

L’assassinat spectaculaire d’Ismaïl Haniyeh

Cette fois-ci, celui qu’on n’appelait pas encore « Bibi » doit, à contrecœur, consentir à livrer l’antidote au poison pour récupérer ses espions. Prix supplémentaire à payer pour cet échec : la libération de centaines de prisonniers palestiniens des geôles israéliennes, dont Cheikh Yassine, le fondateur du Hamas. Ça ne lui a jamais trop réussi, à Netanyahou, les leaders palestiniens. Déjà, en 1968, à l’époque où il faisait son service militaire dans l’unité d’élite Sayeret Matkal de Tsahal, il avait tenté de capturer Yasser Arafat. En vain. Quelques années plus tard, il aura sa revanche lorsque son commando parviendra à libérer cent otages d’un avion de la Sabena détourné sur Tel-Aviv par le groupe terroriste palestinien Septembre noir. Depuis, c’est à couteaux tirés.

« Bibi » n’a jamais oublié Khaled Mechaal. Aussitôt après le 7 octobre 2023, il annonce que plus aucun membre du Hamas n’est désormais à l’abri. Tout le monde a alors en tête Yahya Sinouar, Marwan Issa et Mohammed Deïf, les trois cerveaux des massacres planqués dans les tunnels à Gaza. Netanyahou, lui, pense aussi aux deux chefs politiques de l’organisation : Ismaïl Haniyeh et Khaled Mechaal, qui vivent alors à Doha, au Qatar.

Une efficacité redoutable dans la surveillance électronique

Nous sommes en décembre 2023, la presse israélienne annonce discrètement la naissance d’une unité spéciale d’agents du Shin Bet et du Mossad, baptisée « Nili » en référence au réseau d’espionnage juif qui opérait en Palestine pendant la Première Guerre mondiale, à l’époque de l’empire Ottoman. La mission du nouveau Nili sera de traquer et d’éliminer les membres du Hamas et leurs alliés.

Très vite, les agents israéliens, couplés à un renseignement d’une efficacité redoutable, notamment dans la surveillance électronique, parviennent à éliminer une vingtaine de cibles, des cadres pour la plupart, allant du Hamas au Hezbollah en passant par certains Gardiens de la révolution islamique. Mais pour ces derniers, cela se passe toujours à l’extérieur de l’Iran, notamment à Damas, lors d’une réunion dans une annexe de l’ambassade iranienne. L’Iran estime alors que son territoire est, en quelque sorte, visé. L’élimination de ces hauts gradés déclenche une réponse massive sous forme d’attaques de drones et de missiles le 13 avril 2024.

Cependant, Israël remarque que l’Iran ne réagit pas lorsque les hommes du Hamas ou du Hezbollah tombent. Cette retenue pousse l’État hébreu à aller plus loin et à privilégier, dans un premier temps, les proxys de l’Iran, du Liban, de la Syrie et de Gaza. C’est notamment l’affaire des bipeurs et, en octobre 2023, la guerre au Sud-Liban. Est-ce à dire que si l’Iran avait déployé ses moyens militaires et ses missiles dès les assassinats de ses alliés, s’il avait soutenu de manière plus appuyée Hamas et Hezbollah dans leur confrontation avec Tsahal, Israël aurait été plus prudent ? Rien n’est certain.

Le 31 juillet 2024, c’est le choc. Jamais les Israéliens n’ont réussi un coup d’éclat aussi spectaculaire que l’assassinat d’Ismaïl Haniyeh, chef historique du Hamas. Le compagnon de route de Cheikh Yassine trouve la mort, en plein centre de Téhéran, à l’issue de la cérémonie d’investiture du nouveau président iranien. Pour l’Iran, l’humiliation est particulièrement cruelle. Le pays se montre incapable de protéger un hôte. Haniyeh est éliminé alors qu’il réside à l’intérieur d’un bâtiment du ministère des Affaires étrangères. Or, le chef de la branche politique du Hamas est considéré par les Iraniens, comme par les Turcs, comme un véritable chef d’État.

Le Mossad s’infiltre partout

Dès cet instant, l’Iran apparaît comme vulnérable. Après tout, Israël aurait pu très bien viser la cérémonie elle-même, à laquelle assistait le Guide suprême, Ali Khamenei. C’est un message qu’Haniyeh aurait reçu sur son application WhatsApp qui aurait, en l’ouvrant, installé sur son smartphone un moyen de localiser où il se trouvait dans la pièce de sa résidence. On parle d’une bombe placée depuis longtemps dans l’appartement. Les Gardiens de la révolution islamique évoquent pour leur part une frappe extérieure. Peu importe. Le voile s’ouvre sur les capacités du Mossad de frapper au cœur du pouvoir iranien. Mais on n’est pas au bout de nos surprises…

Comme pour ajouter du sel sur la plaie, le 30 septembre, l’ancien président de l’Iran, Mahmoud Ahmadinejad, fait des révélations surprenantes à CNN Turquie. Il annonce qu’à une époque, le chef de l’unité des services secrets iraniens chargée de lutter contre le Mossad était lui-même un agent du Mossad. Il aurait été repéré en 2021 ainsi qu’une vingtaine d’autres agents doubles qui auraient eu le temps de quitter le pays. Ahmadinejad affirme qu’ils vivent désormais en Israël, mais qu’au cours de leurs missions en Iran, ils ont pu fournir aux autorités des informations sur le programme nucléaire en volant, en 2018, des documents sur l’enrichissement de l’uranium.

En 2020, Mohsen Fakhrizadeh, le responsable du programme nucléaire iranien, est éliminé au moyen d’une mitrailleuse fixée sur un pick-up et déclenchée à distance au moment du passage de sa voiture. En 2023, l’Iran annonce avoir déjoué une opération du Mossad destinée à saboter son industrie de missiles balistiques. En janvier de l’an dernier, quatre hommes, accusés de travailler pour le Mossad, sont pendus à Téhéran.

Mais ce n’est pas tout. Plus récemment encore, on apprend que ce serait une taupe iranienne qui aurait informé les services israéliens de l’arrivée dans son QG du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, dans la banlieue sud de Beyrouth, ce qui a conduit à son élimination. Réputé pour être quasi impénétrable et Nasrallah ayant survécu à trois tentatives d’assassinat, le Hezbollah avait donné du fil à retordre au Mossad pendant des années. L’aide qu’il a apporté à la Syrie de Bachar al-Assad à partir de 2011 l’aura ouvert aux communications syrienne et russe, elles-mêmes sous surveillance des Américains, et donc des Israéliens.

Un régime de plus en plus impopulaire

Les morts subis au cours de cette guerre donnèrent lieu à des enterrements au Liban, tous surveillés par le Mossad. Les services israéliens utilisèrent les images de ces obsèques postées sur les réseaux sociaux par les jeunes combattants du mouvement. Parfois, on y voyait un commandant venu rendre hommage. Cela, ajouté à de l’analyse de type pattern-of-life, une méthode de surveillance qui documente ou comprend les habitudes d’une personne ou d’une population, permit de repérer les cadres, de les pister, jusqu’à les éliminer. Ce fut là le talon d’Achille du Hezbollah. Mais que son chef soit finalement assassiné à cause d’une taupe iranienne est une humiliation supplémentaire pour Téhéran qui ira alors de déconvenue en déconvenue dans sa lutte contre le Mossad. Jusqu’à l’élimination, en particulier, des cadres de sa propre armée et des scientifiques du programme nucléaire. Cette véritable décapitation est résumée par un responsable militaire cité par le journal The Times of Israël : « Ce que nous avons infligé à de hauts responsables du Hezbollah en dix jours, nous l’avons infligé à l’Iran en dix minutes. »

L’attaque du 12 juin a surpris par l’ampleur des moyens déployés

Le Mossad savait par exemple, grâce à son réseau d’informateurs, que les cadres de l’armée et des gardiens allaient se retrouver dans un bunker secret en cas d’attaque aérienne. Ils savaient l’heure et le lieu. Les avions sont entrés en action. Pendant des années, pour espionner le pouvoir iranien, ils se sont appuyés sur des minorités ethniques hostiles au régime. À mesure que le régime devenait impopulaire, de plus en plus d’Iraniens ont rejoint le réseau. Le Mossad a fini par disposer d’une multitude de relais dans l’appareil sécuritaire du pays.

Crise de paranoïa à Téhéran

Le régime iranien n’a jamais ignoré ces activités du Mossad. Il est toujours sur ses gardes, depuis sa création d’ailleurs, en 1979, lorsque Téhéran a désigné Israël comme son ennemi prioritaire lui promettant maintes fois l’éradication et qualifiant les États-Unis de « Grand Satan », selon la formule de l’ayatollah Khomeini. Dans la rue iranienne, cela commence par tout individu montrant une trop grande curiosité pour les bâtiments officiels. Nous avons pu constater cette méfiance instinctive à Téhéran. Nous couvrions, en octobre 2022, le soulèvement des femmes contre le port du voile. En allant visiter le palais du Golestan, centre du pouvoir sous la dynastie Qadjar et l’un des plus beaux musées de la ville, notre groupe est passé à côté d’un bâtiment des bassidjis, la milice chargée de la sécurité intérieure de l’Iran. Attirés par un pochoir sur un mur où figurait une inscription en anglais promettant les foudres du ciel aux bases américaines situées dans la région, nous avions pris quelques photos. Notre guide s’est aussitôt interposé. Un homme nous montrait du doigt. Par précaution, nous avons immédiatement effacé nos photos. Alors que nous demandions à notre guide quelle était la différence entre les bassidjis et les pasdarans, les Gardiens de la révolution, elle devait se figer avant de nous faire signe de hâter le pas. « Ce genre de question ne se pose pas en Iran, sauf à passer pour un espion », nous dira-t-elle plus tard. Aujourd’hui, selon des sources iraniennes, c’est pire encore.

Les gardiens et leurs alliés font preuve d’une véritable paranoïa depuis le 12 juin. On se méfie en particulier des gens qui portent des masques anti-Covid. On chasse les camionnettes car c’est ce type de véhicule qui aurait transporté les drones près des sites sensibles. Il y a aussi les travailleurs indiens, présents en nombre en Iran et suspectés en raison des excellentes relations diplomatiques existant entre Israël et l’Iran. Il y a bien sûr les espions réels ou supposés, qu’on capture pour montrer qu’on agit et qu’on a la main. Une quarantaine d’entre eux aurait été arrêtée. Une rumeur veut qu’en plus des pendaisons, certains aient été attachés aux lanceurs de missiles.

L’attaque conduite le jeudi 12 juin par Israël contre l’Iran n’aura pas seulement surpris par l’ampleur des moyens déployés. Elle réunissait en effet 200 appareils sur les 250 que compte l’Armée de l’air israélienne. Du jamais-vu dans l’histoire de l’aviation militaire. Elle fut appuyée au sol par une action du Mossad d’une ampleur que personne n’avait imaginée. « Ce que vous voyez aujourd’hui, j’ai commencé à le mettre en place il y a dix ans », confiait un ancien responsable du Mossad à Michel Bar-Zohar, spécialiste des services de renseignements israéliens, cité par Le Parisien. La nouveauté réside surtout dans l’exploit réalisé par le Mossad d’installer des bases de drones à l’intérieur de l’Iran. « Des unités de commandos du Mossad ont déployé des armes guidées de haute précision qui ont été activées à distance au début de l’offensive et ont frappé leurs cibles simultanément avec une précision exceptionnelle », écrit Ynetnews, le site du quotidien israélien Yediot Aharonot. Le quotidien ajoute que « des véhicules dissimulés avec, à leur bord, des systèmes de frappe avancés, ont également été introduits clandestinement, neutralisant les sites de défense aérienne [au début de l’opération] et permettant aux avions de chasse israéliens d’opérer librement ». Autrement dit, c’est bien la neutralisation au sol de la défense iranienne qui aura fourni à Israël la maîtrise quasi totale du ciel et ce, dès le début de l’opération. Un avantage de taille…

Trump se doutait peut-être que la liste des éliminés était incomplète

Des déboires de ses débuts comme Premier ministre, Benyamin Netanyahou aura eu sa revanche, probablement au-delà de ce qu’il aurait pu imaginer. Curieusement, Khaled Mechaal, celui par qui « Bibi » fut humilié autrefois, reste le seul personnage d’importance dans la galaxie du croissant chiite à avoir survécu à l’hécatombe du Mossad, si on excepte bien sûr le Guide suprême iranien, Ali Khamenei. Mais ça, c’est une autre histoire…

Le Hamas en lambeaux

Lorsque Netanyahou est allé rendre visite à Trump à la Maison-Blanche, il lui a offert un bipeur en or, en souvenir des prouesses du Mossad contre le Hezbollah. Trump se doutait peut-être que la liste des éliminés n’était pas encore complète. Aujourd’hui, le président américain semble en savoir davantage, lorsqu’on l’écoute disserter sur la planque du Guide suprême à Téhéran. Pendant ce temps-là, Khaled Mechaal est toujours à Doha. Il a sûrement dû changer d’adresse. Son mouvement est aujourd’hui en lambeaux, Gaza dévasté, le grand frère iranien assiégé et de plus en plus vulnérable. Lorsqu’il recevait des visiteurs, Khaled Mechaal avait pour coutume de leur laisser en cadeau un petit cadre en 3D avec la mosquée al-Aqsa, signe que, pour lui, la cause palestinienne sera toujours liée à ce lieu saint de l’islam.

L’infiltration de l’Iran par les renseignements israéliens s’est faite depuis 30 ans.

Une mission réalisée « au nez et à la barbe » des Iraniens, assure Raphaël Jerusalmy, ancien officier du renseignement militaire israélien. L’Iran mène une véritable chasse à l’espion depuis le début du conflit avec Israël, vendredi 13 juin. En huit jours, le pays a arrêté 22 personnes soupçonnées de l’espionner au profit de l’État hébreu. Plusieurs centaines d’agents du Mossad, les services secrets israéliens, pourraient être encore répartis sur le territoire iranien.

« Dès le jour où l’Iran a exprimé sa velléité de détruire l’État d’Israël, les Israéliens se sont mis au travail et donc on remonte à 30 ans en arrière pour les opérations du Mossad, les infiltrations. Et ces quinze dernières années, il y a eu une intensification de l’activité », explique Raphaël Jerusalmy, ancien officier du renseignement militaire israélien. Il a travaillé durant quinze ans au sein des renseignements de l’État hébreu. « Tout a été fait au nez et à la barbe » des Iraniens.

C’est avec ce maillage d’espions sur le territoire iranien qu’« à l’automne 2024 », Israël « a compris qu’il y avait un danger, non pas seulement nucléaire, mais aussi des missiles balistiques qui pouvaient atteindre un arsenal de plusieurs milliers », avec un risque d’attentats.

Les renseignements ont permis à Israël d’assassiner des cibles clés, comme l’entourage de l’ayatollah Ali Khamenei, guide suprême iranien. Ils ont aussi pu cibler les scientifiques travaillant sur le programme nucléaire iranien. « Si nous ne pouvons pas détruire certaines cibles militairement, nous pouvons retarder ou même annihiler le programme nucléaire iranien en éliminant justement les cerveaux, les scientifiques », affirme Raphaël Jerusalmy.

« Il y a une armée invisible israélienne sur le sol iranien », poursuit l’ancien officier de renseignement. « Ce sont des centaines de personnes qui peuvent aussi en recruter des milliers dans un temps record et certaines ont été formées, par le Mossad. Nous avons donc des agents iraniens qui travaillent pour nous. » Une force d’espionnage, estime-t-il, mais aussi d’influence pour Israël, qui souhaite un changement de régime en Iran.

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