De l’indignation et du mensonge par omission. Par Daniel Sibony
Déjà en 2001, l’écrivain portugais Saramago, prix Nobel lors d’un voyage avec Derrida à Ramallah, déclarait : « Ramallah c’est Auschwitz ».
Ceux-là aussi, il faut leur répondre, leur expliquer la différence. Tout récemment, un reportage de France 2 sur les affamés de Gaza montrait des images d’enfants au visage émacié pour suggérer le camp de concentration et graver cette croyance que les Juifs font aux arabes ce que les nazis leur ont fait.
Et pour enfoncer le clou un article du « Monde » titrait « Gaza affamé par deux mois de blocus » ; mais ni la télé ni le journal n’expliquent pourquoi ce blocus.
Moi aussi j’ai dû répondre à quelqu’un qui m’envoie des images d’enfants faméliques. Voici ce que j’ai répondu : « Tu prêches un convaincu, mon cher, et tu as raison, c’est une vraie catastrophe. Due au fait que les Israéliens, dans la foulée du 7 octobre, ont fait deux découvertes traumatisantes : une ville souterraine à Gaza qui est de fait inaccessible et où se cachent les jihadistes ; et un projet exterminateur à très long terme qu’ils ont dénié jusque-là, qui date de 13 siècles et qui s’actualise quand il peut. Tout cela ne rend pas génial, puisqu’on dirait que leurs stratèges n’ont toujours pas trouvé le bon passage et ne savent pas encore résoudre ces deux équations : 1) Tuer des gens du Hamas = tuer des civils. 2) Vouloir nourrir des civils = nourrir le Hamas et le renforcer. Si tu as des solutions ils sont preneurs ».
Donald Trump, lui, répond tranquillement qu’il faut faire parvenir cette aide humanitaire à la population de Gaza et non pas au Hamas qui la confisque ; et donc qu’il y a blocus tant que c’est le Hamas qui reçoit l’aide humanitaire, c’est assez clair. Et il est bien capable de faire livrer cette aide par des entreprises privées, on verra bien.
Pour l’instant, la logique du bouclier humain sur le plan militaire est transposée sur le plan alimentaire. Vous ne pouvez pas riposter sans tuer de civils, vous ne pouvez pas nourrir les civils de Gaza sans nourrir le Hamas, ce qui prolonge la guerre. Et la même logique perverse se reporte dans le journal « Le Monde » et le docu télévisé, mais cette fois par omission : on parle de la famine à Gaza mais on n’en dit pas la cause pour que le poids de cette famine retombe sur les juifs, tout comme le poids des victimes civiles doit retomber sur eux.
Et pour obtenir quoi ? Que le maximum de gens maudisse Israël et donc s’aligne sur la malédiction coranique des Juifs. En ce sens, le reportage de « France 2 », la page du « Monde » et l’action du Hamas approfondissent cette malédiction, cette médisance radicale sur les Juifs, qui est dans l’esprit coranique ; elle prend sa source dans les racines de l’islam relayées par les radicaux.
C’est la même procédure que depuis des siècles
Pendant des siècles cette mécanique de la malédiction grâce aux mensonges par omission a fonctionné. Y compris dans le monde chrétien : un prêtre fait un prêche où il cite dans l’Évangile l’épisode où des Juifs demandent la mort de Jésus, et cela suffit pour qu’au minimum on les regarde de travers ou qu’on les pourchasse ; et le prêtre n’est pas méchant, il a seulement omis de citer les passages où ce sont ces mêmes foules juives qui ont porté Jésus et qui l’ont célébré comme guérisseur et homme inspiré. Du coup, personne ne dit que ce sont les foules juives qui ont fait Jésus.
Il ne faut désespérer de la bonne foi en tant que possibilité
Le peuple juif a été si souvent objet de mensonge et notamment par omission, qu’il en recueille presque une mission : se battre pour la vérité, parler aux gens de bonne foi ; il ne faut désespérer de la bonne foi en tant que possibilité. La bonne foi est infiniment possible alors que la mauvaise foi est calculée pour tuer. Elle n’y arrivera sans doute pas, car en vérité, les Juifs souffrent moralement de ce qui se passe à Gaza, autant que les gens de Gaza en souffrent physiquement. Peut-être même davantage car on ameute contre eux la terre entière, qui heureusement reste calme. Alors que tout le monde, sauf le Hamas, a pitié pour les enfants de Gaza. Les Juifs aussi, mais ils sont empêchés de l’exprimer massivement car ce serait soutenir le Hamas. Toujours la même logique perverse : on ne peut pas les nourrir sans nourrir le Hamas, on ne peut pas leur dire notre compassion sans soutenir le Hamas.
Les Juifs sublimes
Seules des personnalités à qui on tend le micro peuvent le dire, et tant mieux, même si elles en profitent pour leur combat politique qui veut nourrir une gauche israélienne très affaiblie. Pourquoi pas ? C’est de bonne guerre, outre qu’elles ont leur image à défendre, celle de juifs supérieurement moraux. La masse des Juifs, elle, supporte patiemment que ces Juifs sublimes lui fassent la leçon, mais parfois elle se rebiffe quand on lui dit : Et que faites-vous de « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ? » –
Vous voulez dire qu’on doit aimer les gens de Gaza ? Nous on veut bien, mais ils sont collés au Hamas, on ne peut pas les aimer sans aimer le Hamas. À moins d’aimer nos ennemis ? Même les chrétiens qui le disent ne le font pas, voyez l’Ukraine et la Russie. – Mais il y a les femmes et les enfants, les enfants surtout ! – C’est vrai, ils sont comme leur famille les otages du Hamas, mais on se tue déjà assez pour nos otages, vous voulez qu’on se tue aussi pour ceux des autres ?
© Daniel Sibony