La révélation des échanges houleux entre les juges de la Cour suprême et son président, Yits’hak Amit, n’est ni un potin croustillant ni une fuite embarrassante de plus : c’est une véritable alerte. Face au désespoir qui a mené à ce geste inhabituel, une personne doit ouvrir les yeux : le juge Yits’hak Amit lui-même.
Yuval Elbashan | Ynet
Pour un observateur extérieur au monde judiciaire israélien, il peut sembler difficile de comprendre les ondes de choc qui frappent actuellement le système judiciaire, et en particulier la Cour suprême, à la suite des fuites de conversations tendues entre le président Amit et certains juges, publiées récemment par les journalistes Netael Bendel (Yedioth Ahronoth) et Avishai Grintzayg (i24).
Dans un pays comme Israël, où tout fuit et où même le cabinet de guerre ressemble à du gruyère, personne ne s’étonne des citations de conversations privées. Mais ceux qui connaissent le monde judiciaire savent à quel point c’est exceptionnel.
Tout a commencé avec la fuite d’un échange houleux entre le vice-président Noam Sohlberg et le président Amit, au cours duquel Sohlberg a exigé de diversifier les compositions de juges et de mettre fin aux formations « seniority » où Amit dispose d’une majorité automatique. Puis a suivi la publication de la « conversation des cris » entre Amit et le juge David Mintz, après la décision de ce dernier de tenir une nouvelle audience sur la nomination du commissaire de la fonction publique.
Selon les fuites, Amit a accusé Mintz d’avoir « piégé » la composition pour y inclure le juge Yosef Elron, tandis que Mintz reprochait au président une gestion biaisée des débats. Le tout sur fond de discours virulent d’Elron contre ce qui se passe au sein de la Cour suprême et des tensions apparues entre les juges Stein et Steinitz et le président lors du débat sur la nomination du chef du Shin Bet.
Les fuites de conversations privées constituent une double dégradation de la culture organisationnelle au sein de la Cour suprême. Cette fois, on ne peut pas invoquer la délégitimation par les politiciens ou l’incompréhension du grand public. Ce sont les fibres les plus intimes de l’institution : des juges en exercice. De plus, ni Sohlberg ni Mintz ne sont connus pour rechercher la lumière médiatique – et pas même Elron, dont la critique pourrait être écartée au vu de son conflit personnel avec le président.
La dernière fois que quelque chose d’approchant s’est produit remonte à vingt ans, avec la publication du livre de Naomi Levitsky Les Suprêmes : à l’intérieur de la Cour suprême. Cet ouvrage avait dévoilé la politique interne, les intrigues et les luttes de pouvoir. Le choc avait été immense. Beaucoup de juges s’étaient sentis trahis, craignant pour l’avenir d’une institution qui doit maintenir prestige et pureté pour conserver la confiance du public.
Les fuites actuelles sont bien plus graves : elles témoignent d’une opposition vivante et actuelle de certains juges envers leur président. Mintz, qui avait proposé une date où les cinq juges « seniors » étaient disponibles pour l’affaire du commissaire de la fonction publique, s’est entendu répondre par le président qu’il n’était pas libre car il prévoyait… de rester pour une séance de chants publics et de conférences dans un colloque de juges aux affaires familiales. La « conversation des cris » s’est conclue par cette phrase désespérée de Mintz : « Ce que tu fais n’est vraiment pas correct, mais tu es le président et c’est ton autorité. Si tu insistes, je baisse les bras. Assume la responsabilité. »
Ces échanges fuités de Mintz et Sohlberg révèlent une inquiétude et un désespoir profonds. C’est un drapeau rouge brandi au sommet même de la Cour contre son président. Il serait conseillé à Yits’hak Amit de les écouter sérieusement et, plutôt que de chercher un conseil stratégique externe, de faire un véritable examen de conscience sur sa conduite. Au final, la responsabilité est entièrement la sienne.