Entretien avec le psychanalyste Michel Gad Wolkowicz, Tribune juive
Interview réalisée par Frédéric Sroussi
Michel Gad Wolkowicz est psychanalyste et professeur de psychopathologie
Michel Gad Wolkowicz : C’est fondamental. Ce qui s’est passé le 7 octobre est une attaque qui avait pour but de massacrer le plus possible de Juifs en tant que Juifs, en tant que ce qu’ils sont, un massacre de masse qui a un but politico-religieux, idéologique afin de supprimer, d’exterminer le Peuple juif. Ce massacre a été programmé depuis longtemps. Chacun des terroristes avaient reçu un planning et une méthode dont le but était de massacrer de la façon la plus atroce possible : couper les bébés, extraire les embryons des ventres des femmes enceintes, détruire les organes génitaux des femmes après les avoir violées et torturées. Morceler les corps, profaner les cadavres. Ils ont fait en sorte de détruire les corps pour qu’ils soient complètement inidentifiables. Le but était donc de détruire, non seulement le plus de Juifs possible, mais le but était aussi de les déshumaniser pour qu’on ne les reconnaisse plus comme humains. Au travers de la destruction des organes génitaux, ils ont voulu détruire une généalogie, mettre les Juifs « hors humanité ». C’était en fait la répétition de ce qu’ont fait les nazis. Le programme n’était donc pas seulement d’exterminer le peuple juif, mais de le rayer de l’ordre des humains, de le rayer d’une histoire.
TJ : Y compris le fait de brûler jusqu’aux cendres leurs cadavres comme le firent les nazis avec l’utilisation des fours crématoires.
MGW. Absolument, les rendre inidentifiables c’est les déshumaniser en plus de terroriser. Tous les tabous ont été attaqués. On se rappelle le témoignage incroyable de ce Palestinien qui appelle sa mère pour lui dire plein de joie qu’il a tué dix Juifs de ses propres mains, et sa mère exulte au téléphone en regrettant de ne pas jouir avec lui de ce sang juif. On a assisté au meurtre, à la destruction de la généalogie et même à l’inceste de mort. Tous les tabous ont sauté. Alors, en effet, j’appelle cela le déshumain car l’inhumain et l’humain relèvent encore de la dialectique. Quand on parle de l’inhumain, on ne dit pas que la personne est hors de l’humanité, mais que son comportement relève de la perversité, de la violence, de quelque chose qui va à l’encontre de l’humanité. Alors, que le déshumain c’est vraiment rejeter l’Autre, tout un peuple hors de l’humanité, hors de l’espace transsubjectif, hors de l’histoire, hors du monde. Ce massacre n’avait donc pas seulement l’intention d’exterminer, mais de faire comme si les victimes n’étaient pas des humains et qu’on pouvait donc les détruire, leur ôter leur histoire même. C’est comme s’ils n’avaient jamais même existé… La visée du nazisme était millénariste ; pour les nazis, il n’y avait pas de dette, pas d’antériorité, les Juifs n’ont pas existé dans l’Histoire. Dans l’islam c’est la même chose. Pourquoi est-ce si facile de se convertir à l’islam ? L’Islam considère que ne pas être musulman est une erreur de la nature, et même les prophètes de la Bible étaient musulmans, même s’ils ne le savaient pas eux-mêmes…Il y a donc un déni de l’Histoire, un déni de l’antériorité. On est dans une sorte de transmission close, clonique ou clanique qui est une répétition du Même. L’Autre, donc aussi la temporalité, toute différence des générations n’existent plus. Les Juifs doivent être donc mis « hors monde », ce qui a été réalisé. Il s’agit donc, je le répète, de détruire toute généalogie, métonymisé notamment par la destruction des organes des femmes. C’est une rupture anthropologique en ce sens que c’est une attaque du semblable-différent. Le traumatisme a aussi été que pour les Juifs que ce drame s’est poursuivi universellement. Il y a eu les massacres, ensuite il y a eu très vite entre le 8 et 9 octobre les inversions victimes/bourreaux, c’est-à-dire la nazification des Juifs comme si au fond ils n’avaient pas de subjectivité. D’ailleurs, on a assisté au révisionnisme et au négationnisme qui se sont poursuivis de façon extrêmement perverse par ce qu’on appelle le double bind, c’est-à-dire que des injonctions paradoxales furent données en chargeant les Israéliens de s’occuper d’une mission humanitaire vis-à-vis de ceux qui ont voulu et veulent toujours les exterminer tout en les empêchant de le faire. En effet, l’ONU a dans le même temps empêché Israël de se charger de l’aide humanitaire que l’ONU elle-même avait demandé à travers la fondation américano-israélienne à qui cette tâche était dévolue. Tout cela, afin de mettre Israël et les Juifs « hors humanité ». Le «palestinisme», cette religion devenue universelle a même comme but de supprimer la notion même de peuple juif.
TJ : D’ailleurs la notion même de Juif est remise en cause. On prétend sur les réseaux sociaux que les Juifs d’Israël ne seraient pas sémites car venant d’Europe (comme si un arabe né en France ou au Canada n’avait pas comme origine la Péninsule arabique ou les Afro-américains ne venaient pas à l’origine d’Afrique). C’est le paradoxe pour moi de cette nouvelle catégorie d’antisémite qui hait les Juifs tout en disant que les Juifs n’existent pas…
Permettez-moi de revenir sur ce que vous avez dit au sujet de l’islam et de la dette que cette religion a vis-à-vis du judaïsme (puisque l’islam fait sien les prophètes de la Bible hébraïque tout en arabisant leurs noms hébreux et leur histoire). Cette dette est en effet scotomisée par l’islam. Cela me rappelle les propos de Jean-François Lyotard dans son Heidegger et «les Juifs» où il disait au sujet de la Shoah : « Il s’agirait d’éliminer une « autre » pensée, intime et étrangère, non pas destinée authentiquement à la garde de l’être, mais due à l’égard d’une Loi, dont elle est l’otage. (…) Une pensée […] qui n’a jamais fait que raconter des histoires de dettes impayables, que transmettre de petits récits, drôles et désastreux, narrant l’insolvabilité de l’âme débitrice. » Le nazisme aurait essayé de faire définitivement oublier la dette […]. Essayé de déchaîner l’âme de cette obligation, de déchirer le chiffon de papier d’une créance. De désendetter définitivement.»
Votre propos sur la dette de l’islam est donc fondamental. La volonté de détruire les Juifs aurait pour l’islam la même motivation que celle des nazis (ou de l’Occident) : se désendetter définitivement d’une pensée « autre » et pourtant intime et étrangère comme le disait Lyotard. Cette inquiétante étrangeté, le familier qui se révèle inquiétant et dont parlait Freud.
MGW : Le unheimlich effectivement. La question de la dette est fondamentale en effet. Reconnaître la dette et avoir de la gratitude pour les générations qui nous précèdent y compris celles qui sont d’une autre filiation. C’est d’abord accepter de mettre en question notre narcissisme absolu. S’il y a d’autres filiations, il y a conflit psychique évidemment, et donc on n’est pas pur. On n’est pas dans une plénitude d’identité et on doit faire le deuil de la quête d’un narcissisme tout puissant et absolu, et reconnaître la dette, c’est que nous sommes des sujets divisés, que nous sommes le fruit de filiations différentes et de filiations conflictualisables. A partir du moment où l’on reconnaît qu’il y a quelque chose de la conflictualité psychique, nous ne sommes plus dans la toute-puissance narcissique. Reconnaître la dette, c’est donc remettre en question cette pureté narcissique, ce que j’appelais tout à l’heure cette sorte de quête de reproduction du Même, d’une transmission clonique et clanique qui ne soit pas dans un processus conflictualisable de la transmission de la transmission, d’où la haine, la haine de la transmission. Reconnaître la dette, c’est donc reconnaître la différence des générations à travers des filiations différentes, plurielles, et c’est donc reconnaître la question du père. Cela est évidemment fondamental dans le christianisme et dans l’islam, et c’est probablement leur point de rencontre face au judaïsme qui est un monothéisme paternel (et symbolique car D’ n’est pas représentable). Dans le judaïsme, la construction du père vient d’une forme de disjonction du père à travers la circoncision et le sacrifice d’Isaac, le renoncement du père de la horde primitive qu’était Abraham. C’est le renoncement à la toute-puissance par la parole de D’ qui va l’intimer de renoncer à castrer son fils, et qui va finalement va faire rentrer son fils dans la société. Le père va renoncer à la toute-puissance des dieux grecs qui pouvaient disposer des femmes et des enfants comme ils le voulaient. En fait, le sacrifice d’Isaac, c’est plutôt le sacrifice d’Abraham qui renonce à sa propre toute puissance, que ce soit sous le sceau d’un autre supérieur à lui, c’est-à-dire D’, ou que ce soit par sa propre décision, peu importe, selon qu’on est croyant ou pas. Ce qui est important, c’est qu’Abraham, le père, renonce pour quelque chose qui est supérieur à lui. Il renonce à sa toute-puissance narcissique. Il fait donc de son fils un être social : c’est l’Alliance. A partir de là s’inscrit toute une série de principes éthiques qui sont l’élévation, l’élection et surtout la liberté responsable qui fait que le Juif renonce aux autres solutions que vont vouloir lui imposer le christianisme et l’islam, c’est-à-dire la solution chrétienne qui est l’absolution, soit le rejet de toute conflictualisation psychique, de tout travail de culpabilité, et la solution de l’islam qui est la soumission. Ce sont deux solutions qui en fait ne renoncent pas à la pureté narcissique. Ces deux solutions que sont le christianisme et l’islam vont se transformer non pas en religion du père mais en religion du fils et en religion de la mère. Nous sommes dès lors dans l’islam dans la religion des frères. Il y a donc refus de la dette car il y a une résistance à la figure d’un père symbolique qui ne soit pas tyrannique. Tous les jeunes aujourd’hui qui dramatiquement suivent le « palestinisme » – en l’absence d’une société de pères – se tournent soit vers le nihilisme, la société des frères qui vont se coaguler pour se détruire entre eux après, soit vers des tyrans (c’est une autre version de la même chose). Mélenchon en France, nous en 68 c’était Pol Pot ou Mao. En fait c’est l’islam, le «truc» tyrannique… C’est ce que décrivait Freud : il y a les hordes avec père et les hordes sans père. En fait, une horde sans leader. C’est ce à quoi nous assistons avec l’islam. Le déconstructivisme et le wokisme ont entraîné tous les jeunes du fait de l’absence de père… Le déni de la dette, qui est très important, c’est le déni de l’antériorité, le déni de la conflictualisation des filiations, et le déni de la castration symbolique à travers l’existence d’un père symbolique.
T.J : Cela me fait penser à l’ouvrage L’Univers contestationnaire écrit par les deux psychanalystes Béla Grunberger et Janine Chasseguet-Smirgel qui analysaient les ressorts psychiques, religieux, etc. de Mai 68. D’ailleurs avec le wokisme, nous avons l’impression de revivre un Mai 68 à la puissance 10. Elles écrivaient justement, et cela rejoint vos propos : « Éradiquer le père, non pour prendre sa place, mais pour affirmer sa non-existence. C’est là un cas de figure non décrit par Freud ni par les psychanalystes en général. Il ne s’agit pas d’un « conflit de génération », mais d’un déni de l’existence des générations. »
M.G.W : Alors, c’est intéressant d’analyser ça sur plusieurs générations, et c’est cela qui est nouveau. Mai 68, c’était en effet la contestation de l’autorité, du père, etc. Mais, beaucoup de ceux qui n’ont pas élaboré leur conflit psychique avec le père, le conflit œdipien, sont finalement restés dans la haine du père. Cela a donné je pense les enfants que nous avons aujourd’hui. Il y a quelque chose qui s’est construit sur deux ou trois générations depuis Mai 68, et qui n’est pas seulement la volonté de détruire le père, mais de le remplacer non pas en tant que père, mais afin de prendre sa place imaginaire et non symbolique. Au fond, qu’est-ce qui définit l’antisémitisme dans ce qu’on vient de dire ? C’est d’une part l’envie, car ce qui est quand même incroyable c’est qu’on projette sur les Juifs une toute puissance : nous sommes responsables de la guerre, comme nous sommes responsables de la paix, etc. On projette tous les stéréotypes antisémites sur Israël, et Macron le premier.
On dit des Juifs qu’ils sont assis sur une sorte de trésor symbolique qui leur donne une toute puissance d’être que les antisémites ne peuvent pas penser en termes d’être, mais qu’ils ne peuvent penser qu’en termes d’avoir. Il y a l’envie chez les antisémites qui les amènent à être dans l’identification mimétique, on le voit depuis 1948 : ils nous empruntent tous nos signifiants, ils nous empruntent nos ancêtres, ils nous empruntent tous nos mots : la loi du retour, la notion de peuple aussi, car les « Palestiniens» sont un peuple évidemment totalement inventé par les Soviétiques et par les Égyptiens, puis par les pays arabes, à quoi l’Europe a adhéré par ambivalence vis-à-vis des Juifs. Les « Palestiniens » ne se sont jamais construit une culture propre, ni une langue spécifique, ces gens ne peuvent donc qu’être dans l’envie de l’autre. Je résume : envie, identification mimétique, projection de tout sur l’autre (le Juif) qui n’est plus un autre puisqu’on peut prendre sa place.
On revient à cet autre point de rencontre entre le christianisme et l’islam, mais aussi l’extrême gauche qui est la théorie de la substitution. Se substituer aux Juifs, on retrouve la question de la déshumanisation puisque se substituer à quelqu’un c’est devoir le supprimer en tant que témoin, on doit le supprimer de l’Histoire pour effacer totalement la preuve de cette substitution. Ce n’est pas qu’ils veulent supprimer les Juifs, ils veulent effacer le fait que les Juifs aient même pu exister.
Cette théorie de la substitution est très importante à mon avis. L’extrême gauche est d’autant plus touchée par cette théorie qu’elle nie ses origines néo-chrétiennes, pauliniennes, et qu’elle retrouve pourtant les mêmes valeurs, les valeurs d’indifférenciation, ses valeurs dites humanitaires, c’est-à-dire d’amour, valeurs totalement subjectives qui n’ont plus rien à voir avec la Loi et la justice. Le Juif lui est témoin et passeur de la Loi, de la justice, de l’éthique de vérité donc de la réalité. L’extrême gauche est d’autant plus rigide et haineuse vis-à-vis de ce néo-paulinisme qu’elle nie en être l’héritière ; elle nie donc cette origine-là, et essaye de retrouver toutes ses valeurs qui sont des valeurs d’illusions : l’amour, l’indifférenciation, le choix de qui on est nonobstant la réalité, comme on le voit avec le wokisme. C’est là qu’ils retrouvent la notion de substitution paulinienne : c’est nous les vrais Juifs, les Juifs ne sont pas des purs juifs. Mais, comme ils ne peuvent plus le dire comme ça, ils le font par délégation sur un autre « peuple » que sont les « Palestiniens » qui eux ne disent pas « nous sommes les vrais Juifs, mais nous sommes à la place des Juifs, c’est nous qui subissons la « Shoah », c’est nous les victimes universelles, etc. Pour cela il faut mettre les Juifs «hors humain » pour réaliser ce fantasme de substitution. C’est en fait une affaire existentielle et métaphysique.
T.J : Oui, d’ailleurs quand vous dites que cette extrême gauche nie ses origines pauliniennes, elle nie aussi en haïssant les Juifs ses plus grandes figures tutélaires, ses plus grands maîtres à penser qui s’appellent Marx et Trotski, et que ce sont des Juifs, tout comme Paul l’était aussi d’ailleurs !
MGW : Marx et Trotski sont des Juifs qui ont choisi la solution de l’universalisme sur le modèle chrétien. Le marxisme est un retour du christianisme avec ses valeurs d’uniformité et d’indifférenciation.
T.J : En effet ! Quand Paul dit dans sa Lettre aux Galates, « il n’y aura plus ni Juif, ni Grec, ni homme, ni femme, vous ne ferez plus qu’un en Jésus ». C’est bien ce à quoi on assiste aujourd’hui avec le wokisme, même si ce dernier n’est pas à une contradiction près concernant les identités…
MGW : Oui, et pour moi le pire de l’antisémitisme exprimé par Macron, Macron est un bouffon on est d’accord, un pervers narcissique, etc. Mais c’est un antisémite fini. Il a osé accuser les Juifs de France d’avoir renoncé à leurs valeurs universelles. C’est terrifiant. Son universalisme, c’est celui de Paul Ricoeur, dont il se revendique avoir été l’élève alors qu’il n’était que le simple scribouillard de Ricoeur, ce même Ricoeur qui ne supportait pas la notion de Mémoire juive, et il reprend en fait la doctrine polpotiste d’Alain Badiou, qui est quand même le philosophe le plus lu en Sorbonne et dans les universités américaines, et qui en tant que bon polpotiste prônait la dissolution du « nom juif », ce que j’appelle la « Solution douce finale ».
T.J C’est un oxymore osé, mais je vous comprends.
MGW : C’est en fait la dissolution du « nom ». C’est exactement ce que décrivait Lanzmann dans « Shoah « , dans cette scène hallucinante où il montrait les valises des déportés récupérées par les SS à l’arrivée des Juifs dans les camps, où ils inscrivaient sur toutes les valises d’hommes le mot Israël, et sur toutes les valises de femmes ils mettaient « Sarah ». C’est donc la dissolution du nom, le simulacre de l’homonymie juive. Il n’existe donc plus de singularité. Macron accuse en fait les Juifs d’abandonner leurs valeurs d’universalisme au sens où Badiou l’entend alors que les Juifs renoncent à être des foules indifférenciées, alors que l’universalisme juif c’est le « singulièrement universel » ou « l’universel du singulier ». Il y a un « chaque-Juif», il n’y a pas de « nous ». Un Juif ne dira pas « nous les Juifs » en symétrie, ou en miroir à l’antisémite qui dit « vous les Juifs ». Chacun doit s’extraire de la masse, y compris de la masse de sa propre communauté pour devenir singulièrement capable d’inspirer quelque chose aux autres sans faire de prosélytisme, sans unifier tout le monde. Macron se prête donc à cette régression antijuive terrifiante.
T.J : Je ne suis pas d’accord avec vous sur le fait qu’on ne dit pas « nous les Juifs ». Je pense à l’expression juive « est-ce que c’est bon pour nous ? ». Le « nous » juif me paraît au contraire être un pronom refuge qui démontre la solidarité de tout un peuple, mais aussi sa destinée commune.
MGW : La seule grand-mère rescapée de ma famille disait en effet tout le temps dès qu’elle regardait une émission à la télé : « Est-ce que c’est bon pour nous ? », malgré tout, on n’est pas dupe, c’est de l’humour. C’est à la fois vrai, vous avez raison, « est-ce que c’est bon pour nous, le peuple juif ?», mais en même temps on a une distance avec ça. On vit en fait un conflit, cela montre que l’on est toujours dans un conflit psychique entre la tentation de l’unification au sens de la masse, et un peuple pour moi n’est pas une masse, mais on a cette tentation, et en même temps on résiste à cette tentation, et l’humour est une façon de subjectiver quand même cette position qui pourrait être une posture narcissique. Je suis à la fois d’accord avec vous, et en même temps je pense que nous avons plus d’humour que ça.
T.J : Je suis d’accord avec vous sur le fait que cette expression recèle de l’humour, mais un humour désespéré, et pour moi le désespoir et l’humour se retrouvent souvent associés.
Vous avez parlé lors d’interviews précédentes d’une reproduction des traumatismes transgénérationnels vécue par les Juifs depuis le 7 octobre (pogroms, Shoah, négationnisme, inversion bourreau/victimes). Je pense que beaucoup de Juifs qui ne se sentaient pas juifs ont faire un retour à leur judéité, à leur appartenance après le 7 octobre. On dit qu’il existe « les Juifs de Kippour », il existe dorénavant « les Juifs du 7 octobre ».
MGW : Hier, justement j’ai rencontré quelqu’un qui m’a dit qu’il n’avait pas avant le 7 octobre l’impression d’appartenir au peuple juif, mais que depuis il ressent cette appartenance. Le verbe « appartenir » est important car pour moi il sous-tend la définition de la judéité. Au fond, la judéité, ce sentiment d’appartenance au Peuple juif c’est ce qui pourrait transcender toutes les fractures qui existent au sein du Peuple juif et israélien, mais aussi transcender les idéologies, la question des croyances (croyant ou pas), c’est notre rapport à la judéité et donc à l’appartenance. Ce qui veut dire aussi se poser la question de quel Juif on veut être. Il y a effectivement ceux qui ont pris conscience qu’ils appartenaient au peuple juif le 7 octobre, mais pas seulement à cause de la persécution, mais du fait que quelque chose est « remontée », une mémoire que Freud appellerait phylogénétique. Une mémoire transgénérationnelle en tout cas, des traces qui se sont inscrites dans la mémoire de toutes les familles juives. Ces traces peuvent être comparées à une nappe phréatique qui s’est révélée chez beaucoup de Juifs, et pas seulement, je le répète par empathie pour les persécutés, mais parce qu’il y a quelque chose d’une mémoire…



























