Les chars de Tsahal entrent à Deir al-Balah

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Israël a lancé, lundi, une opération terrestre d’ampleur inédite dans la ville côtière de Deir al‑Balah, au cœur de la bande de Gaza. Des blindés et des unités d’infanterie ont pénétré simultanément par les quartiers sud et est, quelques heures seulement après la diffusion d’ordres d’évacuation invitant la population civile à gagner l’ouest ou le sud de l’enclave. Dans ce secteur densément peuplé – refuge de milliers de Gazaouis déplacés depuis octobre 2023 – l’armée affirme cibler les infrastructures militaires du Hamas et rechercher des otages toujours détenus dans la région.

Un territoire jusqu’ici relativement épargné

Deir al‑Balah occupe une position stratégique entre la ville de Gaza et Khan Younès. Traversée à l’est par la route Salah‑al‑Din et bordée à l’ouest par la route côtière menant à la zone humanitaire d’al‑Mawasi, la cité se trouve à la croisée des deux principaux axes nord‑sud de la bande. Cette localisation, combinée à la présence de quatre « camps centraux » – Nuseirat, Deir al‑Balah proprement dit, Bureij et Maghazi – en a fait un bastion naturel pour le Hamas, qui y bénéficie d’un solide réseau de soutien issu de l’histoire même des camps de réfugiés créés après 1948.

Jusqu’ici, l’armée israélienne avait évité une offensive terrestre prolongée dans ces camps, privilégiant des frappes aériennes ciblées : premières bombes le 6 novembre 2023, puis séries répétées les 1ᵉʳ janvier, 25 mars, 6 juillet, 20 juillet, 4 août, 4 septembre, 7 octobre et 30 novembre 2024, ainsi que les 13 avril et 8 mai 2025. Seules deux incursions brèves – cinq jours début juin 2024 avec la 98ᵉ division, puis une opération non datée entre la mi‑août et la fin août de la même année – avaient tenté de tester la défense du Hamas.

 

Le facteur otages au centre des décisions

La présence possible d’otages a pesé lourd dans la planification militaire. Quatre captifs avaient déjà été libérés lors d’un raid audacieux à Nuseirat en juin 2024. Les services de renseignement israéliens soupçonnent qu’une partie des quelque quarante personnes encore portées disparues pourrait être détenue dans les souterrains ou les immeubles densément construits de Deir al‑Balah. Cette hypothèse explique à la fois la retenue précédente de Tsahal et l’ampleur des moyens déployés aujourd’hui : l’objectif affiché est de neutraliser les capacités du Hamas sans mettre en danger les otages.

Le Forum des otages et des familles disparues craint toutefois que l’assaut augmente le risque pour leurs proches. Il accuse le gouvernement de « jouer avec la vie des captifs » à des fins politiques, alors même que les négociations de cessez‑le‑feu paraissent dans l’impasse.

Un dernier bastion pour le Hamas ?

Depuis le lancement de l’opération « Chars de Gédéon » en mai dernier, l’état‑major israélien affirme contrôler environ 70 % de la bande de Gaza. Pourtant, des répliques du Hamas à Beit Hanoun au nord et dans plusieurs secteurs du sud ont montré la résilience de ses réseaux. Les camps centraux représenteraient, selon les analystes, « la dernière grande zone de pouvoir cohérente » du mouvement islamiste. Les rues étroites, l’urbanisme dense et le relief côtier offrent un terrain favorable à la guérilla, compliquant toute progression mécanisée.

Dans ce contexte, l’ordre d’évacuation visant la frange littorale entre Deir al‑Balah et al‑Mawasi apparaît comme une manœuvre destinée à réduire la présence civile, à perturber la logistique du Hamas et à créer un couloir de sécurité pour l’avancée des troupes. Mais pour les habitants ayant déjà connu plusieurs déplacements en vingt‑et‑un mois de guerre, la promesse d’une zone sûre reste précaire : au moins trois civils auraient été tués lundi dans des tirs de chars touchant des habitations et une mosquée, selon des sources médicales locales.

 

Une opération à hauts risques

Militairement, l’enjeu est double : démanteler les infrastructures souterraines du Hamas – tunnels, postes de commandement, dépôts d’armes – tout en sécurisant éventuellement des otages. Politiquement, Israël cherche à démontrer que le mouvement islamiste n’a plus de sanctuaire. L’armée s’attend toutefois à une campagne longue et coûteuse : l’expérience de la reconquête de Khan Younès, puis le retour des combattants adverses dans certains quartiers, rappelle la difficulté de « tenir » durablement le terrain.

Humanitairement, la pression sur les organisations d’aide s’accentue. Début avril 2024, une frappe mal ciblée avait coûté la vie à sept membres de l’ONG World Central Kitchen près de Deir al‑Balah, soulignant la fragilité des chaînes d’approvisionnement. Toute intensification des combats pourrait compromettre l’accès à l’eau, à la nourriture et aux soins pour des dizaines de milliers de personnes désormais entassées dans des zones toujours plus restreintes.

 

Une issue encore incertaine

Alors que la médiation internationale tente de relancer des pourparlers de trêve, l’assaut sur Deir al‑Balah pourrait bien être décisif pour la suite du conflit. S’il permet la neutralisation durable du Hamas et la libération d’otages, il renforcerait la position d’Israël. À l’inverse, une opération prolongée, coûteuse en vies civiles et sans résultat tangible pourrait raviver les critiques et compliquer toute sortie politique.

Pour l’heure, Tsahal n’a pas précisé la durée ni l’étendue exacte de la manœuvre. Seule certitude : après plus de vingt mois de guerre, Deir al‑Balah – « Monastère des Dattes » dans une région où les palmeraies ont laissé place aux check‑points – se retrouve désormais au centre de l’échiquier militaire et diplomatique.

Jforum.fr

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