Dans le nord du Yémen, les signes de crispation s’accumulent au sommet de l’appareil houthi. Ces derniers jours, une vague d’arrestations a frappé l’organisation : des cadres accusés d’« espionnage » ont été interpellés, dont le secrétaire du conseil politique, figure de l’entourage immédiat de la direction. Cette purge, inédite par son ampleur, révèle un climat de suspicion interne alimenté par les revers subis depuis la fin de l’été, lorsque des frappes ciblées ont décapité une partie de la hiérarchie politico-militaire.
Le pouvoir houthi tente de reprendre l’initiative par la répression. Les arrestations ne visent pas seulement des opposants civils : elles touchent aussi des militants associatifs, des employés d’organisations internationales et, désormais, des cadres soupçonnés de « contacts extérieurs ». Cette logique du soupçon reflète une direction aux aguets, soucieuse de colmater des brèches sécuritaires après l’élimination de hauts responsables. L’aveu est indirect mais lisible : si la hiérarchie n’était pas ébranlée, elle n’aurait pas besoin de purger son propre appareil.
Le contexte sécuritaire explique en partie cette fébrilité. Le 28 août 2025, une opération israélienne de décapitation ciblée à Sanaa — baptisée « Lucky Drop » — a frappé un rassemblement d’autorités houthis. Le premier ministre du « gouvernement » de facto a été tué ; d’autres ministres et cadres ont été atteints. Mi-octobre, le mouvement a officiellement reconnu la mort de son chef d’état-major, conséquence directe de ces frappes. Depuis, l’axe décisionnel houthiste fonctionne en mode dégradé : remplacements précipités, contrôles croisés, et multiplication des enquêtes internes qui se transforment en arrestations dès que le soupçon apparaît.
Sur le plan humanitaire, la situation est alarmante. Les incursions dans les locaux onusiens et les détentions de personnels, y compris internationaux, ont conduit à des restrictions de mouvement et à des réaffectations d’équipes hors de Sanaa. Pour les familles yéménites, cela signifie des distributions « à trous », des programmes nutritionnels interrompus et des soins obstétricaux ou pédiatriques différés. L’ONU a réclamé des libérations immédiates et la restitution des équipements saisis : serveurs, moyens de communication et bases de données qui conditionnent la continuité des opérations.
À l’échelle régionale, l’équilibre dissuasif a aussi évolué. Les Houthis revendiquent des tirs réguliers vers Israël et des attaques contre la navigation en mer Rouge ; en retour, Israël cible désormais non seulement des capacités matérielles (pistes, dépôts, ateliers), mais également des centres de commandement et la chaîne politico-militaire qui autorise et coordonne ces attaques. L’idée est simple : rendre coûteuse et risquée la planification d’opérations contre Israël et contre le trafic maritime, tout en limitant les dommages collatéraux via des frappes de précision.
Politiquement, la communication houthie alterne triomphalisme et dénégations tardives. Les annonces fragmentées sur les décès de dirigeants, parfois confirmées plusieurs semaines après les faits, témoignent d’une difficulté à maîtriser le récit. C’est aussi ce qui alimente les luttes d’influence internes : à qui imputer les failles de sécurité ? comment verrouiller les fuites ? La purge actuelle, qui touche jusqu’à des responsables de rang élevé, cherche autant à prévenir de nouvelles brèches qu’à envoyer un message disciplinaire aux échelons inférieurs.
Au milieu de ces manœuvres, un impératif s’impose : protéger l’espace humanitaire. Tant que des employés d’agences onusiennes resteront détenus et que des bureaux seront perquisitionnés, l’accès aux populations vulnérables demeurera conditionnel, donc précaire. Et plus la direction houthie s’enfermera dans la logique du contrôle et de l’intimidation, plus elle s’isolera diplomatiquement, accroissant la légitimité de contre-mesures ciblées de la part des acteurs qui se disent menacés par ses actions.
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