Les Juifs ne sont plus les bienvenus à Naples

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Affichées la semaine dernière sur les murs de Naples, des pancartes proclamant « Les Israéliens ne sont pas les bienvenus » ont rappelé avec brutalité qu’une frange de la population nourrit une hostilité ouverte envers les Juifs et les Israéliens. Si l’Italie du Sud est réputée pour son hospitalité, l’épisode confirme une évolution préoccupante : le conflit israélo‑palestinien s’invite désormais dans l’espace public, alimentant une rhétorique qui dépasse les cercles militants pour toucher la vie quotidienne.

Témoignage d’un doctorant israélien

Arrivé il y a huit mois pour préparer son doctorat, Benjamin Birli dit n’avoir « rien vu venir ». À mako, il décrit un climat qui s’est dégradé brutalement : « Quand on me demande d’où je viens, je réfléchis désormais avant de répondre. Plusieurs fois, la réaction a été : “Les sionistes ne sont pas les bienvenus.” » À l’université, les questions portent moins sur son sujet de recherche que sur sa position à propos de « génocide à Gaza ». S’il tente d’éluder, la discussion tourne rapidement à l’affrontement. « Le mot “Israélien” est perçu comme synonyme d’oppresseur », déplore‑t‑il.

Pour éviter l’escalade, Benjamin s’appuie parfois sur son accent américain : se dire venu des États‑Unis lui permet d’échapper aux débats stériles. La stratégie illustre la pression qui pèse sur certains étudiants étrangers, contraints de masquer leur identité afin de vivre et d’étudier sereinement.

Une hostilité principalement locale
Contrairement à l’image souvent véhiculée, cette poussée d’antisémitisme n’émane pas seulement de communautés immigrées. Naples compte relativement peu de résidents originaires du Moyen‑Orient ou d’Afrique du Nord ; la plupart viennent d’Asie du Sud‑Est. « La source de la haine est surtout italienne, et très ancrée dans l’extrême gauche », affirme Benjamin. Dans les conversations de bar ou de faculté, le conflit israélo‑palestinien sert de marqueur idéologique : pour certains militants, dénoncer Israël devient un réflexe identitaire.

Ce basculement inquiète les habitants : la « gauche classique », explique‑t‑il, cède du terrain à des courants plus radicaux pour lesquels Israël résume tous les maux du Proche‑Orient. À ce prisme simplificateur s’ajoute la virulence des réseaux sociaux, qui relaient sans filtre images de guerre, slogans et appels au boycott, transformant l’espace civique en arène virtuelle.

Incidents à répétition

L’affaire des affiches n’est pas isolée. Deux mois plus tôt, un couple israélien attablé dans un restaurant napolitain avait été sommé par la patronne de quitter les lieux : « Les sionistes ne sont pas les bienvenus », leur avait‑elle lancé, scène filmée et largement relayée. L’intervention du ministère israélien des Affaires étrangères avait suivi, accompagnée d’une enquête de la police locale.

À Milan, les mêmes affiches hostiles étaient apparues un mois auparavant, près du quartier juif. Les autorités municipales et la communauté juive avaient condamné l’acte sans ambiguïté. Pourtant, la répétition de ces messages laisse craindre une banalisation : chaque nouvel incident s’ajoute au précédent, nourrissant un climat de suspicion et d’intimidation.

Réactions officielles et limites du droit

En Italie, l’apologie de la haine raciale est passible de poursuites. Mais la frontière entre critique politique légitime et discours discriminatoire reste ténue. Certains militants défendent leur liberté d’expression, arguant que dénoncer la politique israélienne ne relève pas de l’antisémitisme. Les juristes italiens soulignent toutefois que refuser un service ou afficher l’exclusion d’un groupe ethnique constitue une discrimination claire, réprimée par la loi Mancino.

La police napolitaine a ouvert une enquête pour identifier les auteurs des affiches. Le maire, tout en appelant au calme, a rappelé que la ville « ne saurait tolérer aucune forme de racisme ». Les responsables universitaires, eux, s’efforcent de protéger la liberté académique, mais se heurtent au défi de maintenir des débats respectueux dans des amphithéâtres polarisés.

Un héritage culturel menacé ?
Naples attire depuis toujours étudiants et chercheurs par la richesse de son patrimoine, sa gastronomie et sa diversité. Pour Benjamin, cette contradiction reste douloureuse : « La ville est magnifique, mais l’ambiance politique rend la vie quotidienne lourde. » Au‑delà de son cas personnel, la situation pose la question de la coexistence dans les grandes métropoles européennes : comment préserver la tradition d’accueil tout en empêchant que des conflits lointains ne se transforment en tensions locales ?

Perspectives

Le ministère italien de l’Intérieur surveille la hausse des actes antisémites depuis le début du conflit à Gaza. Des formations dédiées à la lutte contre la haine en ligne, ainsi que des programmes éducatifs sur l’histoire de l’antisémitisme, sont envisagés. Reste à savoir si ces initiatives suffiront à endiguer une dynamique alimentée à la fois par les réseaux sociaux et par une radicalisation politique.

Face à la multiplication des incidents, la communauté juive italienne appelle à « un sursaut collectif » : protéger la liberté d’expression ne peut justifier le dénigrement d’une identité. Élus locaux, universitaires et leaders associatifs se retrouvent donc confrontés à un défi pressant : restaurer un dialogue devenu quasiment impossible et réaffirmer le principe selon lequel chaque individu, quelle que soit son origine, doit pouvoir circuler et s’exprimer sans craindre l’hostilité.

Jforum.fr

 

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