Crise intra-européenne : cinq pays menacent de se révolter contre l’accord migratoire franco-britannique.
« Nous ne serons pas vos esclaves », s’insurgent l’Italie, la Grèce, l’Espagne, Malte et Chypre. L’Union européenne est au bord de l’implosion en raison de la crise des demandeurs d’asile.
Maariv
L’Europe connaît une guerre interne : l’Italie, l’Espagne, la Grèce, Malte et Chypre ont officiellement exprimé leur opposition au projet d’accord migratoire entre la France et le Royaume-Uni, mettant en garde contre le risque qu’il oblige ces pays à reprendre des demandeurs d’asile renvoyés par la Grande-Bretagne.
Dans une lettre commune adressée à la Commission européenne – et obtenue par le Financial Times – les cinq pays méditerranéens font part de leur inquiétude face à l’intention annoncée de la France de signer un accord bilatéral de réadmission avec le Royaume-Uni.
« Nous constatons, avec un certain étonnement, l’intention de la France de conclure un tel accord », ont-ils écrit la semaine dernière.
« Si cela est confirmé, cette initiative soulève pour nous de sérieuses préoccupations, tant sur le plan procédural que sur les implications potentielles pour d’autres États membres, notamment ceux qui constituent les points d’entrée initiaux. »
Ces cinq pays, souvent premières terres d’accueil pour les migrants traversant la Méditerranée depuis l’Afrique, redoutent que la France, en vertu du droit européen, ne renvoie chez eux les demandeurs d’asile, là où leur dossier doit être examiné en premier lieu.
Ils demandent à la Commission de clarifier si cet accord pourrait entraîner des conséquences directes ou indirectes pour les autres États membres.
Un mécanisme d’échange migratoire inédit
Les détails de l’accord franco-britannique restent flous, mais l’idée centrale serait que le Royaume-Uni renvoie en France les migrants illégaux, en échange de l’accueil de demandeurs d’asile ayant des liens familiaux en Grande-Bretagne. Ce serait une sorte de troc : « un entre, un sort », avec des chiffres équivalents, mais des profils différents.
Le Premier ministre britannique Keir Starmer devrait annoncer l’accord dans les prochains jours, à l’occasion du premier anniversaire du retour des travaillistes au pouvoir. Le gouvernement espère que cet accord réduira les traversées illégales de la Manche sur des canots pneumatiques, en dissuadant les candidats à la migration.
S’il est signé, ce serait la première fois que la France de Macron accepterait officiellement de reprendre des migrants refoulés depuis le Royaume-Uni. Mais beaucoup d’incertitudes subsistent quant à la mise en œuvre et aux effets concrets de cet accord.
Un précédent avec la Turquie
Un précédent similaire a existé : l’accord migratoire de 2016 entre l’Union européenne et la Turquie, qui prévoyait un échange entre réfugiés syriens dans les camps turcs et migrants syriens refoulés depuis la Grèce. Bien que peu de transferts aient réellement eu lieu, l’accord a permis d’arrêter le flot de réfugiés, grâce à un financement de 6 milliards d’euros (monté depuis à 12 milliards).
Une situation critique dans la Manche
Depuis l’arrivée des travaillistes au pouvoir, 41 760 migrants ont traversé la Manche – une hausse de 34 % par rapport à la même période l’année précédente. Aujourd’hui, environ 32.000 demandeurs d’asile vivent dans des hôtels financés par les contribuables britanniques. Certains migrants trouvent du travail, comme livreurs de repas, quelques heures seulement après leur arrivée.
Dans le cadre de l’accord de « réinitialisation » signé en mai, l’UE et le Royaume-Uni s’étaient engagés à collaborer sur des solutions « pratiques et innovantes » pour limiter l’immigration illégale. Mais les divergences internes à l’UE et les exigences britanniques ont empêché un accord global.
Le Royaume-Uni a donc préféré négocier des accords bilatéraux, notamment avec la France. Mais les pays du Sud rejettent cette approche unilatérale et estiment que tout accord devrait s’inscrire dans une démarche européenne commune.
Critiques des conservateurs britanniques
Les conservateurs au Royaume-Uni critiquent vivement le projet. Chris Philp, ancien ministre de l’Intérieur et aujourd’hui dans l’opposition, qualifie l’accord de « pathétique » et reproche aux travaillistes d’avoir annulé le plan de la précédente majorité qui prévoyait l’envoi des migrants illégaux au Rwanda.
« Nous payons les Français un demi-milliard de livres pour qu’ils arrêtent les bateaux à Calais, et en échange, nous obtenons un manège de migrants : au final, le même nombre de personnes arrive ici. Les Français échouent à arrêter les embarcations en mer, contrairement aux Belges. Et au lieu d’exiger une vraie application de la loi, les travaillistes nous sortent un tour de passe-passe : ‘un entre, un sort’ ».
Le Premier ministre Starmer a annulé dès son entrée en fonction le projet d’envoyer les migrants au Rwanda, préférant concentrer ses efforts sur le démantèlement des réseaux criminels organisant les traversées. Objectif affiché : écraser les mafias qui embarquent les migrants sur des canots surchargés et dangereux.
Une lettre de protestation et un sommet en vue
La lettre des cinq pays opposés à l’accord intervient après que le Premier ministre britannique a consulté son homologue italienne Giorgia Meloni sur la lutte contre l’immigration clandestine.
La Commission européenne a confirmé avoir reçu la lettre et déclaré : « Nous sommes en contact avec les autorités françaises et britanniques afin d’obtenir des clarifications sur les modalités et conséquences de l’accord proposé. »
Elle ajoute qu’elle travaille avec Paris, Londres et les autres États membres pour trouver des solutions respectueuses du droit européen.
Elle conclut que la hausse du trafic de migrants dans la Manche est « préoccupante » et nécessite « une réponse ferme pour dissuader ces traversées dangereuses ».
Le président Emmanuel Macron devrait se rendre à Londres le 8 juillet, une visite durant laquelle l’accord devrait être finalisé. La ministre britannique de l’Intérieur, Yvette Cooper, serait en phase finale de négociation.