Ces paroles sont dédiées pour la guérison complète et rapide de Réfaël ben Sim’ha. Que le mérite de l’étude de ces enseignements lui apporte un prompt rétablissement, avec la miséricorde divine. Amen.
Extrait du Scoop Chel Torah – OVDHM
« Ce sont là les paroles que Moché adressa à tout Israël, de l’autre côté du Jourdain… » (Dקvarim 1, 1)
Avec l’aide de Hachem, nous entamons le Séfer Dקvarim, le dernier livre du ‘Houmach. Ce Séfer, appelé aussi Michné Tora, est un long discours d’adieu de Moché Rabénou au peuple juif, peu avant sa disparition. Le premier verset, apparemment technique, recèle en réalité un profond message.
Rachi, en s’appuyant sur la tradition orale, explique que ces noms de lieux étranges et mystérieux (Paran, Tofel, Lavan…) ne sont pas des étapes de voyage, mais des allusions aux fautes du peuple d’Israël dans le désert. Moché évoque leurs erreurs… mais avec délicatesse, en les insinuant à travers des noms de lieux plutôt qu’en les énumérant brutalement.
C’est là une leçon précieuse : réprimander, oui, mais avec tact et respect.
Comme le dit la Tora : « Tu réprimanderas ton prochain, et tu ne porteras pas de faute à cause de lui » (Vayikra 19, 17).
Réprimander l’autre, c’est une Mitsva. Mais la faire mal, c’est une faute. La faire avec amour, c’est une Mitsva qui construit. Moché l’a fait avec douceur, avec retenue, pour préserver l’honneur d’Israël.
Mais si l’on a souvent le zèle de « réprimander » les autres, sommes-nous prêts à recevoir une remontrance ? À entendre qu’on a fauté, qu’on aurait pu mieux faire ? C’est peut-être là le plus grand défi : ne pas se vexer. Ne pas se fermer. Ne pas tout prendre contre soi.
Et cela nous ramène directement à une histoire bien connue, tristement célèbre, que rapporte la Guémara (Guitin 55b) — celle de Kamtsa et Bar Kamtsa.
L’histoire en bref :
Un homme organise un grand banquet. Il souhaite inviter son ami Kamtsa. Mais par erreur, le messager apporte l’invitation à Bar Kamtsa, son ennemi.
Bar Kamtsa, croyant à un geste d’apaisement, accepte l’invitation. Mais le jour du banquet, l’hôte, furieux de le voir, le chasse avec humiliation, malgré les efforts de Bar Kamtsa pour rester discret (il propose même de payer tout le banquet !).
Pire encore : personne n’intervient, pas même les sages présents. Cette humiliation et cette indifférence poussent Bar Kamtsa à se venger. Il calomnie les Juifs auprès de l’empereur romain, et c’est ainsi que commence la destruction du deuxième Beth Hamikdach.
La Guémara dit clairement : « Yerouchalaïm a été détruite à cause de Kamtsa et Bar Kamtsa. »
Mais une question se pose : que vient faire Kamtsa dans cette histoire ? Il n’était même pas présent !
Le Maharcha répond : Bar Kamtsa était le fils de Kamtsa. (En araméen, « Bar » signifie « fils de… »)
Kamtsa était donc l’ami de l’hôte, et le père de celui qu’on a humilié. Il aurait pu — il aurait dû — faire quelque chose pour apaiser les tensions. Mais il n’a rien fait. Pourquoi ?
Parce qu’il n’avait pas reçu d’invitation.
Il s’est vexé. Il s’est enfermé dans sa fierté.
Il n’a pas cherché à comprendre.
Il n’a pas imaginé qu’il pouvait s’agir d’une simple erreur.
Et c’est là qu’est la racine du mal.
Combien de conflits, de douleurs, de haines sont nés… simplement parce que quelqu’un s’est vexé ?
Tu n’as pas été invité ?
Tu n’as pas été salué ?
On a « oublié » ton nom ?
On ne t’a pas remercié ?
Et tout de suite tu penses : « C’est intentionnel. Ils m’ont exclu. Ils me méprisent. »
Et si tu avais pris une minute pour penser autrement ?
Et si tu avais dit : « Peut-être une erreur. Peut-être un oubli. Peut-être un malentendu. »
Une simple invitation manquée peut déclencher une tragédie, quand on choisit la vexation au lieu de la compréhension.
Kamtsa aurait pu se dire : « Mon ami ne m’a pas invité ? C’est étrange. Peut-être un oubli. Je vais y aller quand même. » Il aurait été sur place. Il aurait vu son fils humilié. Il aurait pu intervenir. Calmer le jeu. Sauver la situation.
Mais non… il ne s’est pas senti invité. Alors il s’est retiré. Froissé.
Et c’est ainsi qu’il est devenu indirectement responsable de la destruction du Temple.
Et nous, aujourd’hui, sommes-nous bien différents ?
On se vexe pour un rien.
On boude.
On coupe les liens.
On alimente la rancune.
Et tout cela pour des broutilles, pour des maladresses, pour des erreurs humaines.
Et c’est ainsi que nous entretenons les ruines du Beth Hamikdach.
Oui, on pleure devant le Kotel. On récite les kinot. On parle de reconstruction…
Mais dans nos actes, dans nos relations, on reste dans une logique de destruction.
Comme le dit rabbi Chimon bar Yo’haï : « Toute génération qui n’a pas mérité de voir la reconstruction du Beth Hamikdach, c’est comme si elle l’avait elle-même détruit » (Yerouchalmi Yoma 1, 5).
Et il parle bien de génération, et non d’individu.
Car ce sont nos comportements collectifs — notre manière de vivre ensemble — qui déterminent si nous méritons la Gueoula ou non.
Alors à quoi bon rester figé dans la vexation ?
À quoi bon être susceptible, pointilleux, orgueilleux ?
N’est-ce pas là un comportement puéril, alors qu’on prétend vouloir la grandeur spirituelle ?
Le Cha’aré Techouva écrit que l’oreille humaine a été créée pour écouter les remontrances.
Il cite une parabole : « Un homme blessé a besoin de bandages à plusieurs endroits. Mais le pécheur, lui, peut être guéri par un seul “pansement” : l’oreille qui écoute. » (Chemoth Rabba, Yitro 27).
Cette période de l’année — les semaines qui mènent au 9 Av — est justement celle où il faut écouter, se remettre en question, adoucir son cœur.
C’est le moment de travailler sur l’interprétation favorable, sur le lâcher-prise, sur la réconciliation.
En refusant de se vexer, on reconstruit le Beth Hamikdach.
En acceptant la Tokhakha avec humilité, on avance.
En choisissant la paix, on sort enfin du deuil.
Qu’Hachem nous aide à dépasser nos susceptibilités, à ouvrir nos cœurs, et à poser, chacun à notre niveau, une pierre dans la reconstruction du Beth Hamikdach.
Et que ce Ticha’ BeAv soit le dernier deuil que le peuple juif ait à vivre, avant la rédemption finale, Amen.
C’est ainsi que l’on transformera un Ticha’ BeAv de deuil en un jour de réjouissance, bimehéra beyaménou, Amen.
Chabat Chalom !
Rav Mordekhaï Bismuth, OVDHM