Pourquoi la reconnaissance, aujourd’hui, d’un État palestinien est une idée funeste

0
20

Par Bernard-Henri Lévy

Favorable depuis toujours à la solution à deux États, Bernard-Henri Lévy voit néanmoins dans la reconnaissance de la Palestine au lendemain du 7-Octobre une victoire arrachée par le Hamas.

Salle plénière de l’Assemblée générale des Nations Unies (ONU) à New York. Photo : Wikipedia.

J’ai souhaité toute ma vie une solution à deux États. J’ai été personnellement mêlé à quelques-uns des forums de dialogue et, parfois, de négociations qui ont fait avancer cette solution. Et je suis convaincu qu’il n’y a pas d’autre voie si Israël doit rester un État refuge pour les Juifs persécutés du monde. Seulement voilà : je suis aussi persuadé que s’il y avait un moment, un seul, où la reconnaissance de la Palestine n’était pas la solution c’était, précisément, maintenant. Pourquoi ?

Parce qu’il sera désormais difficile, pour un Palestinien de Gaza, mais aussi de Cisjordanie, de ne pas songer : « Depuis le temps que nous en rêvions… depuis le temps que nous observions nos représentants se perdre dans le labyrinthe de leurs petits pas, de leurs compromis, de leurs discussions sans issue… voilà que surgit un mouvement radical et sans concession… voilà qu’arrivent sur le devant de la scène, loin devant une Autorité palestinienne vieillissante et corrompue, des gens coupables d’avoir massacré, dans d’effroyables conditions, 1 200 femmes, enfants et hommes juifs et d’en avoir pris en otage 251… et miracle ! ce qui semblait impossible devient réel ! personne ne nous écoutait, enfin on nous entend ! et l’Occident qui ne cessait de répéter, comme un article de catéchisme, que le terrorisme n’est pas la solution est bien forcé d’en convenir : le terrorisme paie, il fait passer le message et il réussit là où tout le reste avait échoué. » Effacée, la part des uns ou des autres dans l’échec des initiatives de paix. Oubliées, les occasions manquées par les directions palestiniennes successives. On assiste, dans la région et au-delà, à une terrible régression. Ils seront des millions, demain, dans la rue arabe et occidentale, à retomber dans le piège, que l’on croyait conjuré, de la violence « arme des pauvres » et, chez les plus malins, « accoucheuse de l’Histoire ».

Cette reconnaissance, si elle n’est pas assortie de conditions drastiques, est aussi une mauvaise action parce que ses promoteurs et partisans peuvent arguer, tant qu’ils voudront, que le Hamas « ne veut pas d’un État », que c’est son « pire cauchemar » et que cet acte de baptême onusien ne saurait être, pour lui, un « succès » : c’est confondre succès stratégique et tactique ; c’est ne pas comprendre que, quelles que soient ses perspectives à long terme, ce 22 septembre 2025 restera, pour le Hamas, la date d’une grande victoire politique ; et c’est ne pas voir l’aura qui deviendra la sienne, malgré le désastre dans lequel il a précipité son propre peuple, au sein de la société palestinienne : il y avait une lutte à mort, depuis plus de vingt ans, entre lui, ses adversaires du Fatah et ceux des Palestiniens qui commençaient de comprendre, en silence, dans quelle impasse criminelle leurs leaders les avait mis – eh bien, les jeux sont faits ; c’est le Hamas qui, en « tenant tête » à Israël, en versant le sang de ses « martyrs », en « résistant » jusqu’au bout, aura fait plier l’Occident et obtenu ce à quoi nul, avant lui, n’était parvenu ; c’est lui qui aura gagné la partie ; et à lui qu’en reviendront les lauriers… Supposons que les auteurs de cette reconnaissance frivole, sans conditions ni contenu, finissent par se réveiller et se rendent un jour compte qu’il faudrait tout de même, à cet État nouvellement reconnu, un gouvernement et, donc, des élections. Tous les sondages, pour le moment, l’indiquent : c’est lui, le Hamas, en Cisjordanie comme à Gaza, qui, sous un nom ou sous un autre, a les meilleures chances de l’emporter.

Et puis cette reconnaissance est une mauvaise idée pour une dernière raison. Il y a aujourd’hui deux urgences. Ce n’est pas de prononcer un discours à l’ONU. Et, encore moins, de pavoiser nos mairies aux couleurs de la Palestine. C’est de libérer les 48 otages toujours détenus dans les tunnels et d’arrêter la guerre avec son insupportable cortège de victimes civiles. Or, pour ce qui est des otages, on voit à peu près comment une promesse de reconnaissance aurait éventuellement pu peser sur les geôliers ; on ne voit pas ce qui, une fois la reconnaissance acquise, pourrait les inciter à négocier ; et on ne les imagine pas non plus abandonner leur assurance-vie au moment où Israël, trahi par ses alliés et pris de vertige face à sa solitude grandissante, sera tenté d’intensifier son action militaire. Et, quant à l’arrêt de la guerre, il supposait la reddition du Hamas – mais pourquoi le Hamas se rendrait-il aujourd’hui ? pourquoi déposerait-il les armes au moment où, s’adressant à la Grande-Bretagne, à l’Australie, au Canada et au Portugal, il « remercie tous les pays qui ont changé d’avis » et salue ce premier pas « sur la voie de la libération et du retour » ? et de quel levier dispose-t-on, si l’on suit ce chemin, pour exhorter ses parrains régionaux à l’y contraindre ? J’aspire de toute mon âme à la paix. Mais pas cette paix. Pas comme ça.

Aucun commentaire

Laisser un commentaire