Quelle sera la réforme des médias en Israël ?

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Le gouvernement israélien a franchi une première étape vers une réforme en profondeur du paysage médiatique. Dimanche, le Comité ministériel pour la législation a validé un projet de loi initié par le ministre des Communications Shlomo Karhi, membre du Likoud. Le texte, désormais soumis à la plénière de la Knesset, amorce un processus législatif qui pourrait s’étaler sur plusieurs mois. En toile de fond : des critiques virulentes sur une possible dérive vers un contrôle accru des médias par le pouvoir politique.

L’objectif officiel du projet est ambitieux : adapter la régulation du marché des médias aux réalités actuelles, stimuler la concurrence, diversifier les contenus, réduire les coûts pour les consommateurs et étendre l’accès gratuit aux retransmissions sportives. Pour cela, le texte prévoit la suppression des deux principales autorités de régulation – la Deuxième Autorité pour la Télévision et la Radio, ainsi que le Conseil de la radiodiffusion par câble et satellite – au profit d’un nouveau conseil unique. Celui-ci superviserait l’ensemble des plateformes : télévision, radio, câblo-distributeurs, streaming et médias en ligne.

Mais au-delà des réformes structurelles, ce sont surtout les dispositions concernant les médias d’information qui inquiètent les experts et juristes. Deux règles garantissant actuellement un minimum d’indépendance éditoriale sont appelées à disparaître. D’une part, l’obligation de séparer juridiquement les rédactions des groupes audiovisuels commerciaux, en particulier dans les chaînes 12 et 13. D’autre part, l’interdiction des « propriétés croisées », qui empêche une même entité de posséder à la fois une chaîne télévisée et un journal. Ces garde-fous visent à prévenir les conflits d’intérêts et la concentration excessive.

Pour Karhi, ces règles sont devenues obsolètes et découragent les investisseurs. Ses opposants, au contraire, redoutent qu’en assouplissant ces contraintes, le projet n’ouvre la voie à une mainmise de conglomérats proches du pouvoir sur les principaux vecteurs d’information du pays. Le procureur général adjoint pour le droit économique, Meir Levin, a fait part de ses réserves dans un avis officiel, validé par la procureure générale Gali Baharav-Miara. Il y souligne l’insuffisance des garanties d’indépendance, et évoque un « risque réel d’atteinte à la liberté de la presse ».

Parmi les autres points sensibles figure la possibilité, pour le nouveau régulateur, d’intervenir dans la méthodologie de calcul des audiences télévisées. Ces données, essentielles pour les tarifs publicitaires, sont actuellement fixées par un organisme indépendant, en accord avec les acteurs du marché. L’influence gouvernementale dans ce domaine pourrait, selon Levin, se traduire par une instrumentalisation des chiffres à des fins politiques.

Malgré ces avertissements, le ministre Karhi reste déterminé. Dans une lettre adressée à Baharav-Miara, il l’accuse de défendre les intérêts des élites médiatiques, allant jusqu’à la qualifier d’« actrice politique ». Il affirme agir au nom de l’intérêt général, avec l’intention de faire passer le texte en première lecture avant la fin de la session d’été de la Knesset.

Les réactions n’ont pas tardé. L’Association du Barreau israélien (IBA) a exprimé ses craintes dans une lettre publique. Elle rappelle que la liberté de la presse est inscrite dans la Loi fondamentale : Dignité humaine et Liberté. L’IBA insiste sur le rôle de la presse libre comme « chien de garde de la démocratie », soulignant qu’un affaiblissement de son indépendance nuirait à l’ensemble de la société, indépendamment des opinions politiques.

L’organisation met en avant quatre dangers majeurs : la politisation des organes de presse, l’érosion du pluralisme, la disparition progressive de la critique et la perte d’un accès complet à l’information pour le public. Elle appelle à suspendre le projet de loi dans sa forme actuelle et propose la création d’un comité public pour réfléchir à un cadre garantissant la liberté médiatique.

Le Mouvement pour un gouvernement de qualité (MQG) a également pris position. Ori Hess, responsable de sa division économique, compare cette réforme au modèle hongrois de centralisation des médias. Il y voit une stratégie de prise de contrôle : suppression de la séparation structurelle, régulateur aux ordres du pouvoir, et capacité d’infliger des amendes dissuasives. Selon lui, cette réforme s’ajoute à une série de mesures visant à réduire l’influence des contre-pouvoirs en Israël.

La réforme voulue par Karhi, bien que présentée comme une modernisation nécessaire, se heurte donc à une vive résistance. Si elle devait être adoptée en l’état, elle marquerait un tournant pour l’organisation du secteur médiatique israélien – et pourrait redéfinir, pour le meilleur ou pour le pire, l’équilibre entre pouvoir politique, liberté de la presse et information du public.

Jforum.fr

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