Sous les révolutions, l’Iran, et sous l’Iran, l’UE

0
31

Par Liliane Messika, Mabatim

Depuis 1979, le monde a changé d’axe.

L’ordonnée nord-sud du monde est, depuis 1979, complétée par une abscisse est-ouest, qui a fait passer les révolutions de la rubrique économique à celle des religions.

Au quatorzième siècle, la Perse aryenne a été convertie à l’islam chiite par des descendants du calife Ali. Elle a eu des hauts et des bas, mais elle périclitait quand, en 1921, le général Reza Khan, chef d’un régiment de cosaques, a pris le pouvoir, avant de se faire couronner Shah (1926). Il a développé le chemin de fer, favorisé l’industrie et européanisé les institutions.

Comme son voisin Mustafa Kemal, alias Atatürk, il a obligé les hommes à porter le costume et interdit aux femmes de se voiler.

Suivi par son voisin Erdogan, Khomeiny a fait revenir le balancier bien en deçà de son point de départ. En Turquie comme en Iran, les femmes sont désormais voilées, signe de leur infériorité et de leur soumission.

En Iran, elles se sont révoltées et leur mouvement a pris tant d’ampleur qu’il eût suffi d’un petit coup de main occidental pour que le pays tout entier basculât vers la démocratie.

Mais l’Occident a choisi le déshonneur

L’Iran des ayatollahs a régressé au plan social de manière inversement proportionnelle à son développement technologique. Ses avancées vers une bombe nucléaire, dont il ne cache pas qu’elle visera d’abord le « petit Satan » (Israël), puis le grand Satan (les États-Unis), ont été un temps ralenties par la sortie de Trump du JCPOA unilatéral. Ce fameux accord sur le nucléaire n’avait pas été signé par les États-Unis, mais par Obama en son nom propre, puisqu’il n’avait pas l’aval du Congrès. Le traité était donc sans valeur nationale et a fortiori internationale. Sa révocation avait été accompagnée du rétablissement des sanctions économiques.

Sous l’impulsion de la France, l’Europe a créé un mécanisme de contournement de ces sanctions :

C’est Instex (Instrument in support of trade exchanges), organisme de droit français basé à Paris, qui fait office de chambre de compensation pour garantir le « troc » avec l’Iran.

Ce dispositif protège les entreprises qui y recourent des sanctions américaines.

Et il renfloue les caisses des ayatollahs, qui financent les 3H : le Hamas à Gaza, le Hezbollah au Liban et les Houthis au Yémen, mais aussi le Jihad islamique palestinien et d’autres parties dans des conflits susceptibles de déséquilibrer la planète.

Tout le monde y gagne, sauf le monde entier.

Fin 2023, le journal iranien Tasnim News s’en est réjoui en citant Eurostat (l’Office statistique de l’Union européenne) :

« Les échanges mensuels entre l’Iran et l’Union européenne ont enregistré une croissance de 24 %. L’Iran et les États membres de l’Union européenne ont échangé pour plus de 450 millions d’euros de produits en novembre 2023, soit une croissance de 24 % par rapport à novembre 2022.… Les 27 États membres de l’UE ont exporté pour environ 3,5 milliards d’euros de produits non pétroliers vers l’Iran au cours des 11 mois de 2023 (de janvier à novembre).… Eurostat estime que la valeur totale des échanges commerciaux entre l’Iran et les 27 États membres de l’Union européenne de janvier à novembre 2023 s’élève à 4,214 milliards d’euros (Tasnim). »

Le département d’État américain a expliqué à quoi servait l’argent :

« Depuis 2012, le régime iranien a alloué plus de 13 milliards de dollars au soutien de son réseau de mandataires. Selon les estimations du département d’État américain, l’Iran fournit environ 100 millions de dollars par an aux groupes terroristes palestiniens, dont le Hamas. En outre, on estime que 700 millions de dollars par an sont acheminés vers le Hezbollah (Comité Public sur les services financiers). »

Les dirigeants occidentaux ne pourront pas dire qu’ils ne savaient pas.

Majid Rafizadeh, d’origine iranienne, diplômé de Harvard, politologue, président du International American Council on the Middle East, auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam et la politique étrangère des États-Unis, estime que

« L’implication de l’Iran dans l’invasion de l’Ukraine par la Russie souligne une fois de plus l’utilisation malveillante des fonds issus du commerce international (Gatestone). »

De fait, l’Iran ne se limite pas au Moyen-Orient : il aurait fourni à la Russie des centaines de drones (Reuters) et autant de missiles balistiques (Reuters). Cela a plus d’impact sur la stratégie de Poutine que les sanctions européennes.

D’après le chef des Renseignements estoniens, un voisin directement concerné, lui aussi,

« Les échanges commerciaux entre l’UE et l’Iran ne servent pas seulement à financer le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), ils jouent également un rôle essentiel en permettant au régime iranien de réprimer avec une force encore plus grande son propre peuple, les groupes d’opposition et les défenseurs de la démocratie. Les ressources financières substantielles générées par le commerce permettent au CGRI d’étendre son appareil répressif, y compris ses capacités de surveillance, la répression de la dissidence et le soutien aux groupes paramilitaires (Reuters). »

Dis-moi qui sont tes amis…

L’Iran et la Corée du Nord se regardent affectueusement depuis le coup d’État de Khomeiny. En 2007, ils ont signé un accord de coopération dans les domaines scientifique, culturel et de l’éducation, dans une atmosphère cordiale (Archives Internet).

Dans le domaine militaire, la cordialité était déjà de mise depuis les années 1980, quand le tyran asiatique avait pris le parti de l’Iran contre l’Irak. Cette guerre a été, de très loin, la plus meurtrière au Moyen-Orient, avec un bilan de 680 000 morts : 180 000 Irakiens et un demi-millions d’Iraniens, dont un maximum d’enfants, envoyés au shahada (martyre) en se faisant exploser devant les mines, pour épargner les chars. Si certains enfants s’en sont sortis vivants, ils font partie du million et demi de blessés et de mutilés (Cairn).

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, c’est Poutine que les deux compères fournissent en armes : drones iraniens et obus d’artillerie nord-coréens.

Parallèlement, le retrait américain du JCPOA a solidifié les liens entre les deux États voyous : depuis 2018, ils produisent ensemble des missiles balistiques. Comme le vautour déguisé en colombe qui piaille pour une relance du JCPOA maigrit de jour en jour et que le président Ebrahim Raisi ne se cache pas d’être un faucon boulimique, les Occidentaux vont trinquer.

Les Européens financent le terrorisme qui les vaincra, réalisant ainsi la prophétie de Lénine :

« Les capitalistes nous vendront la corde avec laquelle nous les pendrons. »

LM

Aucun commentaire

Laisser un commentaire