Tsahal 7 octobre : Tentatives de dissimulation
Par Gadi Taub, MIDA, [6 août 2025]
Interview du général de brigade Oren Solomon, Chef des enquêtes internes de Tsahal et en particulier celle concernant la division Gaza et son action le 7 octobre 2023.
Ma nomination à ce poste a été validée par le chef d’état-major, par le commandant de la région sud, dont dépend Gaza. J’ai centralisé toutes les enquêtes spécifiques concernant les événements dans des kibboutz, le festival Nova et autres combats du pourtour de Gaza.
Je réserve la primauté des conclusions de ces enquêtes à l’armée, le Premier ministre et le ministre de la Défense.
Par la suite, elles seront présentées au public israélien. Toutefois aujourd’hui, me basant sur des milliers de documents, sur l’écoute des dizaines d’heures d’échanges radio et des dizaines de conversations avec les acteurs des tragiques événements du 7 octobre, je peux affirmer que l’échec de Tsahal, ce jour funeste, est d’une telle ampleur, que le peuple d’Israël mettra des années à le comprendre.
Dans nos enquêtes, nous avons mis au jour des faits d’une gravité inimaginable, qui figurent dans nos conclusions et dont évidement, je ne parlerai pas aujourd’hui.
À mon grand regret, je n’ai pas pu enquêter sur le fonctionnement du Shabak (sécurité intérieure d’Israël), car cet organisme a refusé de coopérer avec les enquêteurs de Tsahal, dont j’avais la responsabilité.
Je possède beaucoup de documents, enregistrement et témoignages, qui mettent gravement en cause les responsables et le fonctionnement opérationnel du Shabak. Cette branche du Renseignement devra répondre sur des faits et de lourdes de conséquences, probablement à l’origine de la catastrophe du 7 octobre 2023.
En conclusion de cette partie de mon exposé, j’affirme que beaucoup de hauts gradés, qui ont de lourdes responsabilités dans tout ce qui est arrivé ce terrible 7 octobre, sont malheureusement toujours en fonction.
Pire, les enquêtes de l’armée réalisées sous la responsabilité du chef d’état-major précédent, Hertzi Halevi, sont incomplètes et mensongères.
Leur seule fonction était de décharger la responsabilité de l’état-major et des hauts gradés, dont l’échec patent a amené la catastrophe.
Ces « enquêtes » s’efforçaient de rejeter la responsabilité de l’incurie sur le peu d’officiers et soldats, qui ce jour néfaste étaient les seuls à défendre le sud du pays.
La plupart de ces galonnés étaient partisans la doctrine de défense qu’on appelle aujourd’hui « kontseptsya », c’est-à-dire une totale incompréhension de l’ennemi en face de nous et la certitude que le Hamas est « dissuadé » d’attaquer Israël.
Voici un exemple de cet aveuglement : depuis 2006 le Hamas met en œuvre les principes de sa charte : rayer Israël de la carte du Moyen-Orient. Pour cela il a construit une véritable armée : terrestre, maritime et balistique. Une armée entraînée aguerrie dans les six affrontements majeurs avec Tsahal. De ces affrontements il a tiré des leçons, qui lui ont permis d’améliorer ses capacités organisationnelles, logistiques et opérationnelles.
Et Israël pendant ce temps-là ?… Tous les organes de défense d’Israël, Tsahal, Shabak, Aman (renseignements de l’armée), ne juraient que par la kontseptsya et comme cela ne suffisait pas, durant les 20 dernières années, les principes de la kontseptsya ont réduit les effectifs de l’armée de moitié et autant pour les chars et les canons. Donc, pour réformer l’armée, il va falloir se séparer de tous ces éléments.
J’en viens à mon histoire personnelle de ce terrible 7 octobre. J’habite dans une localité du pourtour de Gaza. A 6h30 du matin je suis réveillé par les premières explosions des roquettes, qui pleuvent sur le pourtour de Gaza. Les salves de roquettes étaient si intenses, que j’ai tout de suite compris qu’il se passait quelque chose d’énorme.
Un tel barrage de roquettes ne pouvait signifier qu’une chose : le nettoyage du terrain avant une attaque terrestre. Je réveille ma femme et les enfants et leur demande de s’enfermer dans l’abri de ma maison. Ensuite, mon fils aîné de 25 ans lieutenant dans les Renseignements et moi, armés de deux pistolets nous sortons de la maison. Nous nous engouffrons dans notre voiture et prenons la route vers l’état-major de la division Aza à côté du kibboutz Réïm. Dès notre sortie du village, nous sommes ciblés, depuis le village Aloumim où se trouvent des terroristes, par un feu nourri de mitrailleuse, des balles sifflent au-dessus de nos têtes. Je décide de continuer toujours sous le feu nourri, mais cette fois-ci les terroristes tirent depuis kibboutz Béeri. Par miracle nous ne sommes pas touchés. Nous arrivons sur le terrain du festival Nova. Je vois des centaines de jeunes qui ne comprennent pas ce qui se passe. Nous décidons de rester sur place, pour essayer d’aider au sauvetage des participants du festival. D’ailleurs je ne savais rien du festival. Je vois des centaines de voitures, remplies de jeunes en panique complète.
Là, je vois deux policiers, qui essaient sans succès, de canaliser l’énorme bouchon vers l’unique route de sortie. Devant leurs efforts vains, je leur demande de se joindre à nous pour intimer aux jeunes de sortir de voitures et s’échapper à travers champ, seule chance de quitter les lieux. Je ne vais pas raconter ici la suite des événements, car c’est une longue histoire à elle seule.
Bref, durant une heure avec deux pistolets et quelques chargeurs et les armes des policiers, nous nous battons, dans un combat face à face, pour sauver nos vies et des jeunes autour de nous. Ne pouvant plus tenir nous nous replions à travers champs.
Et là, nous arrivons à un char abandonné dont je récupère la mitrailleuse MAG calibre 7,62. Près du char (pour disposer de ses munitions MAG), nous organisons une position de résistance et avec les armes et les munitions dont nous disposons, nous repoussons plusieurs attaques de terroristes. Les deux policiers extraordinaires, Michael et Oron, ont combattu héroïquement à nos côtés. Quelques d’autres policiers, se sont joints à nous. Nous avons tenu nos positions presque 10 heures.
Vers 10 h du matin, avec mon portable, j’arrive à joindre le commandement des forces aériennes et j’exige le soutien d’un hélicoptère Cobra et je l’obtiens.
Après quelques minutes l’hélicoptère arrive. Un officier de liaison, qui fait l’interface entre moi et le pilote, lui transmet mes consignes. L’hélicoptère passe au-dessus de nous, puis monte de quelques dizaines de mètres, ensuite il exécute deux ou trois cercles et… s’en va !!! L’officier de liaison me dit que le pilote ne distingue pas les otages des terroristes, par conséquent il n’a pas ouvert le feu et de crainte d’être abattu, il a rebroussé chemin. L’histoire de cet hélicoptère est un sujet à part.
En effet, durant une année, je croyais naïvement que le pilote ne pouvait pas différencier les terroristes des otages et c’est pour cela qu’il ne voulait pas tirer. Mais il y a quelque temps j’ai participé à un forum de l’armée de l’Air, où on présentait des enregistrements vidéo des combats d’hélicoptères, et par hasard on y a présenté l’image du viseur de l’hélico que j’avais demandé le 7 octobre à 10 h du matin.
On y voit une dizaine de véhicules pleins de terroristes et en même temps on entend le pilote dire : « je n’arrive pas à distinguer si ce sont les terroristes ou les otages israéliens, je romps le contact ». Sauf que dans le viseur on voit clairement que sur les véhicules tender « Toyota » tout terrain, remplis de terroristes, avec les kalachnikov et habits de camouflage. On voit aussi sur les véhicules les mitrailleuses russes « Douchka », si caractéristiques et si prisés par tous les terroristes du monde entier.
Par conséquent je demande la parole. On m’octroie trois minutes. Mais compte tenu de ce que je dis, personne ne m’interrompt et je parle durant 15 minutes. Et je dis : « Compte tenu de ce qu’on voit dans la vidéo, vous devez absolument mener une enquête concernant cet épisode, car c’est moi qui ai demandé cet hélicoptère, alors qu’on était en plein combat contre les terroristes sur le site du festival Nova ».
D’un seul coup, dans la salle se fait un silence gêné, car les pilotes présents se rendent compte que les enquêtes qu’on leur présente sont pour le moins inexactes, voire carrément mensongères.
Je voudrais donner mon explication au comportement de ce pilote, que je n’accable pas, car l’un des principaux phénomènes, qui est apparu lors de notre enquête, c’est l’influence du juridique sur la façon de mener la guerre et comportement des soldats lors des combats.
Le chef d’état-major Hertzi Halevi donne l’ordre à l’armée de procéder en priorité aux « attaques évacuatives », c’est-à-dire pr
Alors qu’on sait déjà au milieu de l’après-midi du 7 octobre, que dans les kibboutz se déroulent des massacres, le chef d’état-major se préoccupe surtout des dégâts collatéraux à Gaza.
Notre esprit combatif a pratiquement disparu, car se poser la question avant de tirer : « Est-ce que je ne vais pas toucher un civil », est une « castration mentale » de l’esprit de combat.
Attention, entendons-nous bien : les soldats de Tsahal ne tirent pas délibérément sur les civils, mais si l’ennemi se sert, dans un site militaire, de civils comme bouclier, alors suivant les lois de la guerre, l’objectif devient légitime.
D’autant plus, que le « bouclier humain » est l’une des tactiques principale du Hamas : écoles, hôpitaux, et quartiers résidentiels. Comme dit le comique israélien Roï Idan : « Tsahal est peut-être l’armée la plus morale du monde, mais elle est la seule dans cette compétition ».
Normalement, l’armée doit être « le tigre en laisse » et le rôle du politique devrait être de tirer sur la laisse pour le retenir. En Israël c’est exactement le contraire.
Dans cette guerre, nos politiques donnent à l’armée des objectifs et missions stratégiques ambitieux, mais c’est le chef d’état-major et les hauts gradés, qui de leur propre chef, n’appliquent pas les directives du politique.
Pire, nos généraux sont très pressés de terminer cette guerre, même par-dessus les têtes des politiques.
Les généraux nous affirment, que le Hamas est pratiquement détruit, que c’est suffisant pour terminer la guerre.
Évidemment, cette stratégie boiteuse, non seulement éloigne la victoire sur le Hamas, mais aide objectivement l’organisation, à déployer sa propagande,
– d’abord sur les « crimes contre l’humanité » de Tsahal ;
– et maintenant sur la famine dans l’enclave, comme suite au « génocide » et au « nettoyage ethnique » perpétré par l’État d’Israël.
Or, c’est la première fois dans l’histoire des conflits armés modernes qu’un pays, sous la pression internationale hypocrite, est obligé de nourrir, de fournir l’eau, l’électricité et le gaz à son ennemi. Le comble de cette assistance humanitaire est le rétablissement, organisationnel, militaire, quantitatif… du Hamas. De plus, le Hamas vole toute l’assistance fournie par l’ONU, l’Europe et les pays arabes, et remplit ses entrepôts souterrains.
Les Renseignements israéliens estiment les stocks de tous les biens pillés par le Hamas, à deux ans d’auto suffisance et par sa propagande mensongère, tournée surtout vers l’occident, il fabrique la légende d’une famine.
Pourquoi Israël s’est-elle retrouvée dans cette situation ?
Parce que depuis des années, ce n’est pas le politique qui dirige notre pays, mais l’institution judiciaire.
Cette institution, par ses jugements droits-de-l’homistes,
– castre l’armée ;
– introduit dans l’esprit de nos jeunes le défaitisme ;
– combat notre ethos à savoir le judaïsme ;
– et dans sa déconnexion du réel, considère Israël comme un pays européen, voisin de la Suisse ou de l’Allemagne.
Nos ennemis nous observent, ils nous étudient et ils analysent très bien ce qui se passe à l’intérieur d’Israël. Ils adaptent leur stratégie à tous les développements intérieurs de l’armée, de la société, de l’économie, bref à tout domaine de vie en Israël.
Ne nous y trompons pas, ils ne rêvent que d’une seule chose, nous infliger un nouveau 7 octobre et si possible, nous anéantir.
Gadi Taub (notre photo), MIDA
Traduit et adapté pour « MABATIM » par Édouard Gris