Le train de ‘Hafaï à Damas !

Le train de ‘Hafaï à Damas !

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En 1906, l’agence de voyages Thomas Cook & Son s’est mise à vendre des voyages organisés en Terre sainte. Elle proposait un circuit qui comprenait le voyage par train de la vallée du Jourdain jusqu’à Tséma’h, d’où l’on gagnait le lac de Tibériade et les lieux saints chrétiens situés à son extrémité nord par le bateau à vapeur Nordoy […].

À l’arrêt total depuis 1951

Les 87 kilomètres de voies jusqu’à Haïfa avaient été posés en trois ans, de 1902 à 1905. C’était la deuxième ligne de chemin de fer d’Israël – la première étant celle qui reliait Jaffa à Jérusalem. […] Elle a continué à fonctionner pendant la période du mandat britannique, mais a été gravement endommagée lors de la nuit des Ponts, en juin 1946, où la Haganah a fait sauter les ponts de chemin de fer reliant la Palestine aux pays voisins. La guerre d’indépendance de 1948 lui a causé des dégâts supplémentaires et elle a cessé toute activité en 1951.

La ligne a apporté de grandes choses quand elle était en service : elle a permis la construction de la centrale électrique de Rotenberg, à Naharayim, l’acheminement de tuyaux destinés à l’oléoduc reliant l’Irak à Haïfa et a raccordé les communautés de la vallée de Jezreel et de la vallée du Jourdain au centre du pays.

L’exemple le plus célèbre est le “train du lait”, qui apportait tous les matins à Haïfa du lait frais venant des étables du kibboutz Degania et d’autres. Tout ceci est terminé. Jadis proches d’une ligne de transport, Degania, Beit Zera, Afikim, Ashdot Yaakov, Gesher, Tibériade et d’autres sont désormais encore plus éloignés du centre qu’auparavant. Le nouveau chemin de fer israélien semblait y remédier, mais ce n’est pas le cas.

En 2003, le ministre des Transports, Avigdor Lieberman, a annoncé la renaissance du train de la Vallée. Il a fallu treize ans, et 4 milliards de shekels [environ 0,9 milliard d’euros à l’époque], pour pouvoir inaugurer la nouvelle version de l’ancienne ligne, en juillet 2016.

Le photographe Gil Eliahu et moi suivons l’itinéraire du train de la Vallée historique à partir de la gare de Beit She’an. Il y a une trentaine de kilomètres de Beit She’an à Tséma’h. Plusieurs des superbes ponts construits par les Turcs sont toujours là. Parmi les plus remarquables, signalons celui qui franchit l’Yssakhar à 8 kilomètres au nord de Beit She’an et celui qui franchit le Tavor, 7 kilomètres plus au nord. C’est le pont sur le Jourdain, près du Vieux-Pont, à 10 kilomètres au sud de Tzemach, qui nous fait la plus forte impression.

Gesher était la sixième gare des huit que comptait la ligne. Surnommée “la gare la plus basse du monde”, elle était essentiellement utilisée par les habitants de Mena’hamia et du kibboutz Gesher. Celui-ci se trouvait sur la rive droite du Jourdain et a été en activité pendant dix ans, de 1939 à la fin de la guerre d’indépendance. Son ancienne cour est désormais un musée consacré à l’histoire du lieu. Elle a été reconstruite et classée site historique par le Conseil pour la préservation des sites historiques d’Israël.

Des vestiges et des souvenirs

C’est sa situation qui donne au lieu un caractère unique : il se trouve à proximité des trois ponts sur le Jourdain. Le plus ancien est un pont de pierre vieux de 700 ans qui a été rénové. [Le pont ferroviaire, lui, a été construit en 1904.] C’est là que le train de la Vallée franchissait le Jourdain pour aller vers Beit She’an et le nord.

Les frontières, qui semblent aujourd’hui dictées par la nature, étaient différentes à l’époque. Le pont se termine désormais en territoire jordanien, on ne peut plus le prendre. On trouve à proximité une reconstitution d’un caravansérail du XIVe siècle, de l’époque des mamelouks, et le bâtiment des douanes.

La rivière Yarmouk rejoint le Jourdain à l’île de la Paix, à Naharayim, à 5 kilomètres au nord du pont. Le chemin de fer franchissait également le fleuve à cet endroit. Un côté se trouve désormais en Israël ; de l’autre, c’est l’île de la Paix, dont le contrôle a été rendu à la Jordanie en 2019.

De Tséma’h, nous faisons 10 kilomètres vers l’est pour arriver à Al-Hamma. On peut encore voir, près de l’entrée des bains, les vestiges de la gare d’où la ligne continuait vers la Syrie.

Au sommet de la montagne, on a une vue magnifique des 130 mètres de long du pont d’Al-Hamma. Construit en 1904 sur un affluent du Yarmouk, il a été détruit par le Palmach [une unité de choc de la Haganah] lors de la nuit des Ponts et n’a jamais été restauré.

Tous les gens avec qui je discute à Gesher, Naharayim et Tséma’h me font l’effet de rêveurs. Ils parlent du train d’antan avec un amour teinté de nostalgie. Leurs yeux brillent quand ils énumèrent toutes ses merveilles.

Vers une renaissance du train de la Vallée ?

À chaque gare, on me dit qu’il y a quelqu’un à qui il faut “absolument” que je parle. Il s’agit du professeur Shlomo Maayan, directeur du service des maladies infectieuses du centre médical Barzilai à Ashkelon, qui œuvre depuis quatorze ans à la renaissance du train.

Il parle de façon fascinante du train, un “loisir qui a tendance à [le] submerger”. Je constate que le train de la Vallée attire et séduit les rêveurs.

Maayan a commencé à tenter de le faire revivre après la mort de sa fille Lily à la suite d’une maladie. “Pour moi, il s’est développé un lien entre ma perte personnelle et le train, confie-t-il. Je rêve de voir une locomotive à vapeur circuler dans la vallée du Jourdain.”

[Il est parvenu à en trouver une en Grèce, l’a fait acheminer vers un atelier spécialisé en Roumanie et souhaiterait la faire rouler sur 4 kilomètres. Il cherche actuellement un financement pour sa restauration et pour la pose des rails.]

Il aimerait trouver le moyen de coopérer avec la Jordanie et la Turquie sur ce projet. Son rêve serait que le royaume hachémite autorise le train à passer par l’île de la Paix, au sud de la voie existante.

“Il faudra construire un autre pont à Naharayim et restaurer le pont turc qui se trouve en face du kibboutz Gesher. Comme le chemin de fer du Hedjaz était un grand projet de l’Empire ottoman, je vais tenter d’intéresser les Turcs à la restauration de cette partie de la ligne dans la vallée du Jourdain, d’autant que nos relations s’améliorent depuis l’année dernière.”

“Vous êtes un excentrique optimiste, constaté-je.

— Les gens me prennent pour une espèce de don Quichotte. D’un autre côté, on est à 40 millions de shekels [environ 11 millions d’euros] seulement d’un projet d’une importance considérable pour trois pays – Israël, la Turquie et la Jordanie. Un projet multinational qui racontera un grand moment d’histoire. On a aussi essayé d’intéresser des hommes d’affaires et les autorités israéliennes, en vain pour le moment. J’espère qu’on pourra les rallier au projet aussi.”

Ressusciter une histoire “merveilleuse”

“Que proposerez-vous aux passagers ?”

“Les passagers revivront l’histoire. Vous aurez l’histoire du chemin de fer du Hedjaz et du train de la Vallée dans le contexte de la terre d’Israël à partir de 1900. Vous aurez aussi l’histoire de l’Empire ottoman et du royaume de Jordanie. Une histoire merveilleuse pour petits et grands.”

Idan Greenbaum, à la tête du conseil régional de la vallée du Jourdain, soupire quand je lui demande pourquoi il n’y a pas de train de Beit She’an à Tséma’h.

“Ce que les Turcs pouvaient faire rapidement prend beaucoup plus de temps dans l’Israël moderne. Il existe un grand fossé entre la décision et la réalisation. Il y a bien un train pour Tséma’h dans notre schéma directeur et aussi un projet de liaison Tibériade-Afoula, mais il faut que vous compreniez : les infrastructures de transport de la zone du lac de Tibériade sont dans un triste état. La route sur laquelle nous circulons a été pavée par Gdud Ha’Avoda” – une organisation socialiste qui était active dans les années 1920.

“La route n’a rien changé du tout, malheureusement, et nous en sentons intensément les conséquences”, ajoute-t-il.

2 Commentaires

  1. Merci pour cet article à la fois instructif et passionnant, chargé d’Histoire et de paysages uniques, qu’on se plait à imaginer et à faire défiler dans nos têtes.

    Les photos sont-elles disponibles quelque part ?

    • A dire vrai, une partie de ce train existe de nos jours, entre ‘Haifa et Beth Chéan (via Afoula). Les photos sont là !
      Mais on peut trouver certaines choses sur Google.

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