Grandir avec l’épreuve ou dans la facilité…?

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Grandir avec l'épreuve ou dans la facilité…?

La Grèce, en imposant sa pensée et son mode de vie au peuple d’Israël, tenta de faire tomber dans l’oubli la Tora et ses préceptes. La réaction zélée des Kohanim mit fin à l’influence païenne et parvint même à raffermir le peuple d’Israël. Elle nous offre huit jours de fête pendant lesquels nous avons le pouvoir d’éclairer la plus grande obscurité.

L’épreuve qui forme

Chacun des exils apporta des effets similaires. Même si la souffrance limite l’activité, elle réveille néanmoins des sentiments profonds et permet de révéler des qualités inexploitées. C’est dans l’obscurité que l’on découvre le mieux la valeur de la lumière. Nous avons vu le mois dernier que des mitswoth accomplies dans la pauvreté ou sous les affres de l’exil ont bien plus de valeur ; les époques comme celles de Moché ou de Yehochou’a ne sont pas plus dignes de louanges. D’ailleurs, si nos âmes sont descendues dans le monde matériel avec ses limites physiques, c’est bel et bien pour servir Hachem en dépit de la confrontation avec les contingences de ce monde.
nerOn pourrait conclure qu’on ne devrait pas espérer la fin de l’exil puisqu’il est profitable. Si les difficultés construisent l’homme en le faisant découvrir et exprimer ses forces potentielles, on devrait les accepter avec plaisir voire même les rechercher.
C’est d’ailleurs ce qui ressort a priori de plusieurs enseignements de nos Sages : « La pauvreté est profitable aux Juifs comme la lanière rouge au cheval blanc », indique la Guemara (‘Haguiga 9b). Même la difficulté que nous impose le יצר הרע (les forces du mal) est présentée positivement dans la Tora dans la création de l’homme : le verset y fait allusion par l’expression « טוב מאד » (« très bien »), « Hachem vit tout ce qu’il avait créé et Il considéra comme « très bien ». Si « bien » fait référence au יצר הטוב, le bon penchant, « très » fait allusion au יצר הרע, le mauvais penchant. Car la tentation du mal force à utiliser les forces positives capables de le contrer.
Nous est-il permis d’accepter ou de souhaiter la présence du mal sous ses différentes facettes ? Avons-nous le droit d’élever nos enfants dans un cadre moins facile ou moins religieux justement pour développer leurs facultés de résistance face à l’épreuve ?

Chercher l’épreuve ou l’éviter ?

La réponse est clairement annoncée dans notre prière chaque matin : « אל תביאנו לידי ניסיון », « ne nous amène pas dans une situation d’épreuve ! » L’éventualité de l’échec est si grave à nos yeux que nous ne nous permettons pas de prendre des risques. La Tora relève à maintes reprises la nécessité absolue de fixer des barrières et des garde-fous, et c’est le sens de la plus grande partie des lois d’ordre rabbinique.
Notre devoir ne consiste pas seulement à faire le bien dans toutes les conjonctures, il exige aussi de sélectionner celles-ci en évitant absolument toutes celles susceptibles d’amener à la faute.
Cette idée est énoncée clairement dans la Guemara (Sanhédrin 107a). Rav dit : « Que jamais l’homme n’amène sur lui une situation d’épreuve, car David le roi d’Israël réclama l’épreuve et y échoua. En effet, il dit une fois : « Maître du monde, pourquoi dit-on dans la prière D’ d’Avraham, D’ de Yts’haq et D’ de Ya’aqov et non pas D’ de David ? » Hachem répondit : « Eux furent éprouvés [et ils restèrent fidèles]. Toi, Je ne te mets pas réellement à l’épreuve ». Il dit alors : « Maître du monde, teste-moi en m’éprouvant ». Et David ne réussit pas l’épreuve. A ce propos, David conclut : « זמותי בל יעבור פי », « Il m’aurait été bien préférable que je sois muselé pour ne pas sortir de ma bouche une demande si osée » (Tehilim/Psaumes 17,3) ».

Fuir l’objectif…?

etudierNous aboutissons à un certain paradoxe. Nous évitons à tout prix tout ce qui risquerait de mener à la faute ; nous prions même pour être protégés de toute épreuve. Mais nous savons par ailleurs qu’elle seule nous fait grandir dans ce monde-ci et nous donne le mérite d’accéder au monde futur. Comme nous l’avons vu, c’est par leur comportement fidèle dans les situations les plus difficiles que nos Patriarches ont atteint leur haut niveau. Plus généralement, tout notre passage sur Terre n’a de sens que parce qu’il nous confronte justement dans l’épreuve.

L’épreuve est-elle donc un but recherché ou est-ce un danger duquel il faut s’éloigner ?

Essayons de concilier ces deux vérités. Notre devoir consiste bien à surmonter les pièges que la vie nous présente. Mais seul est assuré de réussir celui qui estime leur difficulté à leur juste valeur, ainsi que la gravité de l’enjeu. Sinon, son manque de vigilance le mènera forcément à l’échec dans maintes situations. Seule la confiance du pouvoir du יצר הרע comme de la responsabilité qui en résulte pour nous sauront donner les armes nécessaires pour se maintenir dans la bonne voie toute la vie.
Cela s’illustre bien par l’histoire suivante : un maître encourageait un élève de grande envergure à recevoir la responsabilité de trancher la Halakha. Celui-là répondit : « Je crains de ne pas être à la hauteur ». Il lui rétorqua : « C’est bien celui qui a peur qui est digne de ce rôle. Si quelqu’un n’a pas peur, c’est qu’il ne réalise pas suffisamment le danger ! »

D’après rav Yts’haq Hutner, cela résoudrait également une apparente contradiction entre deux bases d’éthique fondamentale. Les Sages de la Michna ont conclu après de longues discussions « נוח לו לאדם שלא נברא », « Mieux aurait valu [ou : il aurait été plus paisible] pour l’homme de ne pas avoir été créé » (‘Erouvin 13b). Comment concilier cela avec l’enseignement cité plus haut comme quoi le טוב מאד de la création de l’homme réside dans son mauvais penchant qui le fait grandir ?

En réalité, pour un homme non averti, la possibilité de la faute présente le risque d’en sortir perdant. Celui-ci aurait sûrement préféré ne pas être venu sur terre. Mais celui qui réalise pleinement cela prendra ses gardes et dirigera son mauvais penchant. Il saura se protéger et pourra même accéder au niveau de טוב מאד.
Cela n’empêche pas que notre vie n’a de sens que par les obstacles que nous devons surmonter. Cependant, laissons Hachem mesurer le travail qui nous revient. Lui Seul connaît parfaitement nos capacités et sait nous présenter seulement ce que nous saurons capables de réussir.

Aspirer au meilleur

Finalement, notre souhait est bel et bien et d’être dispensé des épreuves. Evidemment, certaines données de notre vie sont indépendantes de notre volonté et inévitables ; se déconnecter de la réalité et ne pas faire face à nos obligations n’est pas une solution non plus. Mais tout en étant réalistes, nous devons savoir vers quoi nous aspirons. Pour nous rappeler que nous désirons la perfection et non le compromis avec le יצר הרע, mais aussi pour prendre les bonnes décisions lorsque des choix se présentent. Pour le lieu d’habitation ou de travail ou pour le type d’éducation à donner à nos enfants, nous chercherons les dispositions les plus favorables. Sauf nécessité absolue, nous fuirons toute mauvaise influence. Le Rambam enjoint même d’aller vivre dans le désert si aucun milieu n’est satisfaisant. Peut-être est-ce cela la vraie leçon des Asmonéens. On pourrait croire qu’ils voulaient se libérer des Grecs, mais ceux-là n’oppressaient aucunement ceux qui s’accommodaient de leur idéologie. On pourrait penser qu’ils voulaient juste protéger le message de la Tora, mais non, ils cherchaient beaucoup plus. En effet, après avoir nettoyé le Temple de l’occupation grecque, pour allumer la flamme du candélabre, la Halakha permettait d’utiliser de l’huile d’olive impure. Mais ils repoussèrent totalement cette possibilité. Ils étaient bien déterminés à ne reprendre le service sacré que dans la perfection absolue. Leur résolution obtint gain de cause puisque Hachem accorda le miracle de faire durer le contenu de l’unique petite fiole d’huile pure durant huit jours, le temps d’en préparer une autre.

MenoraMême si l’exil nous fait grandir, même si les épreuves nous font gagner beaucoup de mérites, notre aspiration est de servir Hachem sans ces embuches. Au fond, l’essentiel n’est ni le challenge ni la récompense, mais uniquement le devoir de rester fidéles à notre mission. Pour cela, nous tentons de limiter les difficultés autant que possible ; d’autre part, nous prions pour la venue du Messie qui libérera de toute oppression et gêne de la part des non-juifs. Enfin, nous aspirons à l’époque ou le יצר הרע sera effacé totalement : « חדש ימינו כקדם », « Ramène-nous aux jours d’Antan » – « comme avant la faute d’Adam » (Eikha/Lamentations 5,21 et Midrach Eikha). ■

Par Rav Y. Koen.

Magazine numéro 160

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