Le Hamas est-il au bord de l’éclatement ?

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Gunmen from the Ezzedine al-Qassam Brigades, the armed wing of Hamas, in Gaza City on November 22, 2012. Israeli politicians returned to the campaign trail as the streets of Gaza came back to life after a truce ended eight days of bloodshed, with both sides claiming victory while remaining wary. Photo by Abed Rahim Khatib / Flash 90

GAZA

Alors que le cycle d’élections internes se termine et que les déclarations se multiplient, deux tendances semblent se distinguer au sein du mouvement islamiste.

« Pour schématiser, nous sommes dans une telle situation de crise à Gaza qu’on dirait que les deux options qui restent sont soit aller totalement dans l’hostilité, faire du territoire une terre rebelle, ou même une zone de non-droit façon Tora Bora ; soit rentrer dans le rang et aplanir toutes les sources de conflits, mais cela voudrait dire afficher clairement un discours soutenant la paix… » résume avec humour le journaliste Sawah Abou Seif depuis Gaza.

L’enclave palestinienne semble au pied du mur. Sur les 365 kilomètres carrés de ce petit territoire où résident 2 millions de Palestiniens, dont deux tiers de réfugiés, les conditions de vie sont particulièrement difficiles. Le chômage atteint 44 % de la population active. Plus de 80 % de la population est dépendante de l’aide humanitaire pour sa survie au quotidien.

À cela s’ajoute la pression récemment imposée par le président de l’Autorité palestinienne, opposé à la mainmise du Hamas sur Gaza. Mahmoud Abbas a notamment cessé de payer pour l’électricité fournie par Israël à la bande de Gaza, dont la seule centrale, lourdement endommagée par les bombardements, est désormais à l’arrêt. Depuis, la bande de Gaza ne vit plus qu’avec quatre heures de courant par jour.

Dans ce moment critique, les signaux envoyés par les dirigeants de l’enclave palestinienne sont contradictoires. D’une part, un vent de modération, et même de réforme, semble souffler au terme des élections internes du mouvement. D’autre part, de nombreuses manifestations ont eu lieu dans les rues de Gaza ces dernières semaines, réclamant souvent plus de radicalité à la fois face à la crise politique palestinienne et face au voisin israélien.

Côté modération, le mouvement islamiste a réussi un grand coup médiatique en présentant lundi dernier son nouveau programme politique. Celui-ci vient s’ajouter à la charte historique du mouvement, publiée un an après la fondation de ce dernier, en 1988. Si cette charte a été critiquée par de nombreux pays occidentaux, notamment en raison de son antisémitisme et de son soutien à la lutte armée, le nouveau document, qui ne l’annule pas, présente le Hamas comme un large mouvement de libération palestinien, plutôt qu’un mouvement islamiste. Les références aux Frères musulmans, dont le Hamas est issu, sont abandonnées. Le Hamas a même officialisé son possible soutien à un État palestinien dans les frontières de 1967 ; même si plusieurs dirigeants avaient évoqué le consensus autour de cette solution, choisir d’en faire une position assumée est une première historique. Enfin, le Hamas insiste sur le caractère politique du conflit en écrivant qu’il s’oppose au « projet sioniste et non aux juifs en raison de leur religion ».

Pour le politologue palestinien basé à Gaza, Mkhaimar Abusada, ce texte témoigne d’une volonté de se présenter comme « un partenaire sérieux » et de se dédiaboliser puisque le Hamas est considéré comme une organisation terroriste, notamment par les États-Unis, l’Union européenne et Israël.

Même des soutiens du parti adverse, le Fateh, comme Waël Ahmad, ancien colonel de l’Autorité palestinienne à Gaza, reconnaissent que le texte accepte des positions de consensus jusqu’alors considérées par le Hamas comme « des crimes ».

Haniyeh élu chef du bureau politique

Autre élément d’ouverture, le Hamas a élu Ismaïl Haniyeh à la tête de son bureau politique. Le cinquantenaire né à Gaza est réputé pour son pragmatisme vis-à-vis d’Israël. Il a aussi été un Premier ministre éphémère d’un gouvernement d’union palestinienne entre 2007 et 2008. Il a donc la réputation d’un politicien averti et bien introduit.

« Aujourd’hui, le Hamas s’est rapproché des gens, il les connaît mieux, il a une meilleure expérience de la gouvernance et de la diplomatie, comme tous les partis il évolue », estime Ibrahim Madhoun, éditorialiste de Gaza, proche du Hamas. Ghazi Hamad, ancien vice-ministre des Affaires étrangères du Hamas, abonde : « En 2007 – année de la prise de la bande de Gaza par la force par le mouvement Hamas –, nous ne savions pas gouverner, mais, aujourd’hui, nous faisons le bilan de notre expérience. »

Ce haut gradé du mouvement poursuit : « Nous sommes épuisés par le siège – Israël contrôle trois des quatre frontières de la bande de Gaza, imposant des restrictions massives au mouvement des personnes et des biens ; quant à l’Égypte, elle n’ouvre plus qu’occasionnellement le point de passage de Rafah – et les divisons entre Ramallah et Gaza ; nous voulons simplement parvenir à une meilleure solution pour les Palestiniens. » Enfin, il conclut par une injonction : « Regardez dans nos prisons, vous ne trouvez pas de prisonniers politiques ! »

Pourtant, plusieurs manifestants et activistes ont bien été arrêtés pour avoir exprimé des opinions contraires à celle du Hamas ces derniers mois. En janvier, l’arrestation de l’artiste Adel Meshouki après qu’il eut mis en ligne une vidéo dénonçant la crise de l’électricité que traversait Gaza a aussi attiré l’attention d’associations de défense des droits de l’homme.

Omar Chaker, directeur du bureau de l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW) en Israël et dans les territoires palestiniens, explique que, d’après les enquêtes de HRW, « les forces du Hamas à Gaza continuent de procéder à des arrestations arbitraires, particulièrement à la suite des manifestations liées à la crise de l’électricité en début d’année, de maltraiter et de torturer les détenus, et de mener des exécutions, pas plus tard que le mois dernier ».

En février, Yahya Sinwar, considéré comme partisan de la ligne la plus radicale du Hamas, a été élu chef du mouvement à Gaza. Il est l’un des fondateurs de l’aile militaire du Hamas, et il est précisément connu pour sa rigueur, son intégrité, mais aussi son intransigeance face à ceux qu’il soupçonnerait de collaborer avec Israël ou même de s’éloigner des positions officielles du Hamas. Il serait lié à des exécutions de dissidents du mouvement. Même si Omar Chaker ne fait pas directement référence à cette élection, il se dit inquiet d’une « nouvelle détérioration » de la situation des droits de l’homme à Gaza et ajoute : « Nous espérons qu’il choisira d’aller vers le respect des lois et des droits de l’homme comme le Hamas s’y est engagé récemment. »

Yahya Sinwar est aussi un fervent partisan de la lutte armée contre Israël. Cet ascète qui a passé 23 ans dans les prisons israéliennes pourrait refuser la mue vers plus de progressisme du Hamas, malgré la discipline qui règne dans le mouvement (auquel les membres jurent solennellement loyauté en le rejoignant). Et Sinwar n’est pas le seul à nuancer le tableau d’un Hamas en marche vers la modernité. Selon des médias locaux, d’autres tenants de la ligne dure du Hamas à Gaza auraient émis de sérieuses réserves concernant le nouveau document politique.

Source www.lorientlejour.com

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