Jeunes Arabes, plus palestiniens ou plus israéliens ?

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Par Francis MORITZ – Temps et Contretemps

Photo : jeunes arabes à l’armée israélienne

Il faut saluer les efforts déployés par le gouvernement israélien vis à vis d’une communauté qui représente près de 20% de la population. Certains critiquent les récentes initiatives, mais on pourrait tout aussi bien critiquer l’absence d’initiative et le statu quo. Il n’en demeure pas moins que la situation de cette partie de la population pose nombre de difficultés. Les gouvernements précédents n’ont pas su anticiper les tensions actuelles. Ce qui n’a pu se résoudre avec les adultes, doit être affronté en urgence avec la nouvelle génération. A défaut, le risque d’embrasement est réel. La pandémie a aggravé le ressentiment et le désespoir de cette jeunesse qui ne se sent pas partie intégrante de la société israélienne.

Sur le papier, la minorité arabe jouit des mêmes droits que les autres citoyens. Dans la pratique, les problèmes sont d’une autre nature et on voit les jeunes arabes revendiquer activement leurs droits. Les évènements de mai les ont vu en colère, descendre dans les rues et attaquer arbitrairement les passants, juifs et arabes. Cependant malgré un apaisement relatif, le fossé s’est creusé entre les deux communautés.

En mai, le rôle des garinim Tora (graines de la Tora) qui ont pour vocation de revitaliser les quartiers défavorisés et d’éliminer les barrières entre les communautés religieuses et laïques (afin de réaliser le rêve sioniste religieux de non seulement s’installer sur la Terre d’Israël mais aussi de  «s’installer dans le cœur des gens») a été globalement néfaste, en raison des violences provoquées au mauvais moment et au mauvais endroit,  à quelques exceptions notables ; car leur présence a ajouté de la violence à la colère.

Il y a un clivage entre l’ancienne génération et la nouvelle, qui subit seulement en partie l’influence de la société israélienne. Elle a intégré le culot, la ‘hutzpa de la jeunesse israélienne et donc réclame haut et fort ses droits. En revanche pour le reste, elle demeure palestinienne. Ce qui vaut également pour ceux qui ont une réussite sociale, tels les médecins, ingénieurs, techniciens, intégrés professionnellement à la société israélienne. Par exception, on constate une certaine coexistence pacifique dans quelques agglomérations. Ce qui est encore loin de refléter un sentiment d’appartenance.

Un premier pas important a été franchi lorsqu’un arabe israélien est devenu membre du gouvernement, mais c’est insuffisant, si on veut réaliser un début réel d’intégration indispensable entre les deux communautés.  Il faut prendre en compte les faits actuels : Près de 20% des Israéliens sont arabes et 12% sont Harédis, pourtant ce tiers des citoyens ne contribue que pour 17 à 18% au produit intérieur brut. D’après les statistiques officielles, 48% des élèves en âge scolaire (première année) sont arabes et ultra-orthodoxes.  Un tiers de tous les délits sont commis par des membres de la communauté arabe qui ne représente qu’un cinquième de la population. Ce qui n’est pas uniquement lié au monde criminel. La situation socio-économique y est aussi pour partie.

Le chômage et le désœuvrement sont les deux plaies qui frappent une large partie de la nouvelle génération. On considère que 30% des 250.000 jeunes des 18/24 ans appartiennent à la catégorie des 3N : No education, No job, No training (Ni éducation, Ni travail, Ni formation). Les facteurs aggravants sont pour l’essentiel : Être une femme est un facteur défavorable, il y a une très faible interaction avec la majorité juive, avoir un niveau d’éducation bas, avoir des parents peu éduqués, on dispose de peu ou pas de moyen de déplacement personnel (véhicule). La majorité de ceux qui cherchent du travail n’ont trouvé aucune proposition ou n’ont pas la qualification requise pour postuler les postes vacants dans leur région de résidence. A titre comparatif, on considère qu’en moyenne 28% de tous les jeunes en Israel sont sans emploi, ce pourcentage est de 37% pour la jeunesse arabe musulmane et de 18% pour les jeunes arabes chrétiens, qui représentent une minorité dans la minorité (3% de la population) qui eux, fréquentent des écoles privées qui sont d’un niveau nettement supérieur à celui offert par le service public. Une jeune fille sur deux et un jeune arabe sur quatre, entre 19/23 ans se qualifient eux-mêmes de «sans aucune activité». En Europe on dirait chômeurs de longue durée.

En fait, immédiatement après avoir terminé leur scolarité secondaire, les jeunes arabes affrontent le marché du travail (job market). Or ils n’y ont pas été préparés et doivent se prendre en main seuls dès 18 ans. Alors, poursuivre des études universitaires ou trouver un emploi devient une tâche insurmontable avec une perspective très limitée. Ils vivent souvent loin des grandes agglomérations, avec peu de moyens de transports et de communications, très peu d’opportunités d’emploi dans ces régions. De plus pour les mères, peu ou pas de structures pour l’accueil des plus jeunes (crèches, garderies). Cela leur interdit d’envisager une activité professionnelle. Très souvent, les jeunes filles qui pourrait faire des études sont contraintes par le milieu familial de se marier jeunes ou de rester à la maison, ce qui n’est pas fait pour les rendre autonomes.

A la différence des jeunes israéliens, qui pendant leur service militaire sont rémunérés même pendant la pandémie, les jeunes arabes subissent de plein fouet un désœuvrement néfaste qui ne peut que déboucher sur la colère et qui les conduit à la violence et au désespoir. Certains basculent même dans le terrorisme.

En s’inspirant de la dispense des obligations militaires pour les orthodoxes, régulièrement débattue en Israel, sans qu’une solution soit réellement appliquée, on pourrait imaginer que pour sortir de cette impasse, l’État proposerait à ces jeunes un service civique obligatoire et rémunéré, des formations qualifiantes. Le tout serait géré soit par les régions ou localement, au service de leur communauté.

La pandémie accentue certainement la crise, mais la situation socio-économique est le cœur du problème. C’est peut-être une réelle opportunité de modifier une trajectoire politique et sociale qui s’annonce périlleuse et peut-être même lourde de menaces ultérieures. L’ignorer serait préparer les conditions d’une nouvelle intifada intérieure cette fois, voire de permettre une jonction politique avec les Arabes qui vivent sous l’Autorité Palestinienne. Ce serait un échec.

L’enjeu est de taille ; fin 2020 la population arabe musulmane était estimée à 1.669.000 âmes soit 33.000 de plus qu’à fin 2019. Un tiers sont âgés de moins de 15 ans. Il y avait 391.607 élèves dans le primaire et le secondaire dont 6.121 seulement intégrèrent des études en hébreu. 10% de tous les diplômés de l’année universitaire 2019/20 en Israël étaient arabes.

Le désespoir ni ne se mesure, ni ne se contrôle. Le gouvernement ne doit pas faire de cette frange de la population des exclus qui conduirait les médias, les réseaux sociaux et les hommes politiques bien-pensants à étiqueter l’État Juif, d’État-apartheid et continueraient à en faire un bouc émissaire responsable de tous les maux.

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