L’État tunisien continue de confisquer en silence le patrimoine culturel juif

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Bien loin de toutes les caméras, des altercations, et sans bruit médiatique, l’État tunisien à travers le ministère de l’Intérieur continue de confisquer le patrimoine culturel juif.

L’Institut national du patrimoine en Tunisie a refusé les demandes d’information sur le sort réservé à un manuscrit de la Tora, en hébreu, datant du 15ème siècle.

Le manuscrit est une pièce archéologique d’une valeur inestimable. Il a été rédigé à la main sur de la peau de veau en utilisant une encre spéciale, employée uniquement pour l’écriture de textes sacrés.

L’établissement public tunisien a refusé aussi une autre demande d’exposition au public, et de le partager avec d’autres musées du monde (France, Italie, Allemagne, Canada, USA, Israël, etc.).

Le rouleau en cuir de veau, qui fait une longueur de 37 mètres sur une largeur de 47 centimètres, a été saisi en mars dernier par une brigade de la garde nationale à la ville de Ben Arous. Les autorités prétendent avoir empêché sa fuite vers « l’entité sioniste. »

Aucune réponse sur le sort du manuscrit pour mieux dépouiller le patrimoine juif

Pour pouvoir rendre compte des techniques multiformes tunisiennes pour dissoudre l’identité juive, les responsables de l’Institut refusent même de partager la moindre information sur le sort de ce manuscrit de la Tora. Il s’agirait d’un vol à la communauté juive que de cacher cette précieuse richesse culturelle.

Ainsi, des membres de la diaspora au Canada et en Israël comptent bientôt interpeller publiquement les responsables de l’UNESCO afin qu’ils favorisent des discussions avec le gouvernement tunisien, à propos du sort de ce manuscrit, et mener à pouvoir l’exposer dans différents musées du monde.

«Nous devons pouvoir assurer à notre communauté que ce manuscrit restera dans le patrimoine juif, et nous attendons la collaboration des responsables tunisiens en ce sens », a déclaré le professeur David Galula, spécialiste d’histoire de l’Afrique du Nord à l’université américaine de Youngstown de l’État de l’Ohio.

« Nous allons obtenir l’appui de nos députés, qui vont exercer, tout comme nous, des pressions auprès des autorités en Tunisie. Nous les interpellons pour demander que ce manuscrit revienne aux Juifs», indique-t-il.

«Il est inadmissible que les autorités concernées en Tunisie, c’est-à-dire les ministères de l’Intérieur et de la Culture, de même que l’Institut national du patrimoine, nous laissent sans nouvelle et dépouillent les Juifs de leur patrimoine et de leur histoire, sans dire un mot», a conclu le professeur Galula.

De son côté, un membre de la communauté locale (qui souhaite conserver l’anonymat) rappelle que c’est « l’Institut du patrimoine qui détient les droits sur ce manuscrit et c’est cet organisme étatique qui aura le dernier mot ».

« La direction de l’Institut est fermée à la discussion et il est clair qu’elle ne veut pas donner de détails sur le sort de manuscrit. Nous avons demandé de nombreuses fois que cette pièce historique reste disponible au public, mais il n’y a aucune ouverture de leur part pour la négociation», a mentionné notre source.

Timidement, en Tunisie, le rabbin Daniel Cohen de la synagogue de La Goulette (Beth Mordekhai), reconnait n’avoir aucune nouvelle, mais il avoue qu’il s’inquiète aussi de l’avenir d’un joyau du patrimoine.

Figure parmi les plus anciens de La Goulette, le rav goulettois déplore (mais en privé) que les autorités occultent de cette façon le sort de « ce joyau qui témoigne de plusieurs siècles d’histoire juive.»

La dernière fois qu’il a été vu, c’était le 10 mars 2017.

C’est dans le contexte des expropriations liées aux biens des Juifs, ayant causé un tort considérable à la communauté, qu’André Nahum, avant sa mort, s’est désolé sur sa terre natale… la Tunisie :

« Favoriser la protection de notre héritage de grande valeur au profit de la collectivité serait le moins que les autorités tunisiennes puissent faire pour honorer un devoir moral de réparer les erreurs du passé. » (1)

Ce n’est pas la première fois que les gouvernements, dans ce pays soi-disant modéré, exproprient un morceau du patrimoine juif. On sait que les autorités tunisiennes, depuis l’indépendance en 1956, s’en prennent au patrimoine culturel et religieux de cette communauté qui date de 3 000 ans.

L’État tunisien veut effacer, progressivement et surtout en silence, les traces civilisationnelles de cette communauté qui localement se meurt lentement.

Déjà, dans sa nouvelle constitution de 2014, il a écarté toute référence à l’histoire juive et berbère, perpétuant ainsi un « génocide culturel » au nom de l’islam.

Loin d’apparaître aux Juifs tunisiens de la diaspora comme un thème accessoire ou un souci secondaire, le patrimoine est un héritage qu´ils entendent préserver et transmettre à leurs enfants. Car cet héritage fait partie intégrante de leur identité.

Le patrimoine culturel et religieux des Juifs appartient déjà aux souvenirs

En Tunisie, où c’est toute une appartenance civilisationnelle juive qui a été remise en cause, la question du patrimoine juif est un tabou. Pourtant, la considération immense dont a joui la Tunisie pour de nombreux peuples en a fait un lieu de rencontres et de passages.

Plusieurs éléments du patrimoine de cette communauté sont en phase d’être détruits. Sans compter les actes quotidiens qui visent ce patrimoine culturel, plusieurs exactions clandestines sont commises en toute impunité pour changer fondamentalement, voire effacer, ce patrimoine historique.

Plusieurs facteurs sont à mettre en évidence : volonté délibérée du gouvernement de vouloir gommer le passé juif et berbère des villes et de réinventer les villes où seuls les éléments reliés à l’islam et à l’histoire arabe sont visibles, surpopulation, absence de cadre légal, désir de modernité, corruption des autorités…

En Tunisie, les écoles, bibliothèques et les cercles d’études juifs font partie du passé. A la Goulette par exemple, en 1980, il y avait 14 synagogues, aujourd’hui, une seule a survécu.

La municipalité a confisqué les synagogues pour les vendre à des particuliers ou les transformer en bâtiments publics, et ne parlons pas de l’ensemble des livres et des bibliothèques juifs ainsi que le contenu des synagogues, qui ont été placés dans des endroits inconnus.

Les responsables tunisiens refusent toute initiative qui vise à mettre en valeur l’histoire juive. Ce n’est pas l’aspect historique des documents juifs qui les intéresse. Ils cherchent effectivement un moyen pour mettre la main sur les biens et propriétés juifs.

En 1964, lorsque le président Habib Bourguiba ordonna la saisie de certains biens possédés par des Juifs de La Goulette, ces derniers prirent le chemin de l’exil. Les quelques vestiges du passé juif de La Goulette tombèrent dans les mains de l’État tunisien.

Cette ville cosmopolite, qui fut un havre de la petite communauté juive de Tunis, a perdu aussi l’an dernier son dernier restaurant cacher, un des seuls du monde arabe !

La révolte de 2011, qui a fait naître de nombreuses hostilités, a accéléré le processus de destruction du patrimoine culturel et religieux des Juifs de La Goulette. La ville subit un viol et un vol caractérisés pour effacer ce patrimoine et islamiser l’héritage juif.

Le ministère tunisien de la Culture impose, de sa part, une censure draconienne sur les publications juives et leur diffusion alors que plusieurs ouvrages et documents anciens furent confisqués.

La confiscation des documents et des manuels juifs de la ville de La Goulette par exemple, comprennent des documents et des renseignements extrêmement importants concernant les habitants de la ville ainsi que leur vie, depuis 1868.

© Ftouh Souhail pour Dreuz.info.

(1) André Nahum est un chroniqueur radio et écrivain originaire du quartier juif de Tunis. Médecin de formation, il continuera à exercer, jusqu’en 1987. Spécialiste du Moyen-Orient, ses prises de position furent toujours très tranchées (et très commentées), comme celle sur sa terre natale… la Tunisie.

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