Qui sont les dictateurs ?

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Jean-Pierre Lledo, cinéaste

Si l’on s’en tient uniquement aux deux éléments principaux de la Réforme judiciaire proposée par le gouvernement israélien actuel : Qui désigne les Juges ? / Qui a la prééminence, le Parlement ou la Cour suprême…

Et si conformément à la phraséologie des leaders de la « révolte » actuelle en Israël, l’on considère qu’Israël n’est une démocratie idéale que depuis la « Révolution constitutionnelle » du juge Aharon Barak au début des années 90, parce que les Juges de la Cour ‘’suprême’’ ont le dernier mot pour l’approbation des lois et qu’ils se sont totalement affranchis de la volonté populaire en s’autodésignant

Alors, on devrait logiquement en conclure que classés comme des pays « démocratiques » les USA, la France, l’Allemagne, le Canada, ou la Nouvelle-Zélande, et bien d’autres, sont plongés dans « l’obscurantisme de la dictature » (imagerie en vogue des « révoltés »).

En effet, un rapide tour d’horizon dans Wikipédia et internet, nous mène à faire un constat implacable que dans les 5 pays précités, répartis sur plusieurs continents, les Juges des Cours suprêmes sont désignés par… les représentants du peuple !

Aux USA, les 9 magistrats sont désignés à vie par… le Président des États-Unis, et doivent être confirmés par le Sénat à la majorité qualifiée des 3/5e.

En France, les 9 Conseillers constitutionnels sont nommés par… les Président de la République, du Parlement, et du Sénat, à raison d’un tiers chacun. Renouvelés par tiers tous les trois ans. Un seul mandat de 9 ans.

En Allemagne, 16 Juges choisis par… les élus du peuple, le Bundestag et le Bundesrat, pour un Mandat non renouvelable de 12 ans.

Au Canada, 9 Juges nommés à titre inamovible par le Gouverneur en conseil (lequel est désigné par le Roi sur proposition du 1er Ministre, lui-même un élu) : 3 juges du Québec, trois de l’Ontario, 2 des provinces de l’Ouest ou du Nord canadien et 1 des provinces de l’Atlantique. Tous sont assujettis à la retraite obligatoire.

En Nouvelle-Zélande, il n’y a tout simplement pas d’organe de contrôle constitutionnel. C’est le Parlement qui fait et adopte les lois !

Quant au deuxième critère – qui a la prééminence, le Parlement ou la Cour suprême – au Canada, une clause dérogatoire permet aux Parlement, gouvernements fédéraux, provinciaux et territoriaux, de contourner ou de supplanter temporairement des lois annulées par les tribunaux. Le pouvoir dérogatoire fait partie du cadre constitutionnel lui-même, puisque l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés a été confirmé et légitimé par la Cour suprême ![1]

Et si les autres pays cités n’ont pas de clause dérogatoire, l’équilibre entre les deux institutions – Parlement / Cour suprême – est rétabli par le fait que les Juges sont désignés par les ELUS du PEUPLE. Voir même aux USA (et ailleurs), par le fait que ‘’traditionnellement, les présidents des Etats-Unis nomment des personnalités politiques ou des professionnels du droit dont ils partagent le positionnement politique et idéologique’’[2].

Ceci dit, dans les pays « démocratiques », le rapport Parlement / Cour suprême, reste une question problématique et largement discutée.

Ainsi en 1985 en France, le Conseil constitutionnel explique que « la loi votée n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution », ce qui provoque un débat parmi les juristes. Par exemple face à Dominique Rousseau qui privilégie la « démocratie par la constitution », qui serait supérieure à la « démocratie électorale » que représente le Parlement, Pierre Brunet se demande si cette prééminence n’est pas en fait un contournement de la volonté politique du peuple, et va même, à propos du terme démocratie, jusqu’à suggérer non sans un soupçon d’ironie : « Dès lors, il serait peut-être plus éclairant de ne pas employer le même mot pour désigner deux réalités aussi différentes ou, du moins, on ne peut employer le même mot sans s’interroger sur les conséquences (pragmatiques) de cet emploi. »[3]

Pourquoi donc tout ce tintamarre en Israël… et ailleurs ?

Pourquoi le fait de vouloir mettre fin à la pratique autocratique de l’auto-désignation des Juges par les Juges, et pourquoi vouloir affirmer la prééminence du Parlement, devrait-il déclencher une telle hystérie, en Israël dans certains cercles de l’opposition, mais aussi auprès des chancelleries de ces pays qui selon les normes des « révoltés » pourraient être classés comme des pays de dictature ? Car si en Israël, on vilipende à tue-tête dans les media mainstream tous acquis à la révolte, en dehors de ses frontières ne se dit-on pas « inquiet »?

Mais qui déroge aux normes démocratiques de par le monde, ce projet de réforme judiciaire, qui n’a pas encore été adopté, qui peut être encore amendé, et qui s’est inspiré de différentes législations de pays qui se proclament « démocratiques », ou plutôt la Cour suprême israélienne et ce depuis plus de 30 ans ?

Qui incarne le mieux la démocratie, un Parlement élu par le peuple, dans les conditions du pluralisme politique et de la garantie d’alternance, ou un comité de juges qui se cooptent, qui ont le dernier mot, et qui sont tellement peu contrôlés, qu’ils peuvent en toute impunité se livrer à des pratiques peu recommandables, comme vient de le révéler Yoav Itshak, un journaliste israélien courageux au sujet de l’ex-Présidente de la Cour suprême Dorit Binish [4] ?

De quelle divinité se réclame une Cour dite « suprême » qui peut non seulement juger les lois, mais les produire, et même prendre des décisions en dehors de toute loi, uniquement basés sur la Raisonnabilité, sur l’Arbitraire devrait-on plutôt dire, de quelques Juges ? Certainement pas de celle de l’Eternel des Juifs, lesquels il y a 30 siècles, malgré les mises en garde de Samuel, le dernier des Juges, préférèrent un Roi… Un Roi qu’ils pouvaient contrôler valait sans doute mieux à leurs yeux que des Juges omnipotents, incontrôlés et incontrôlables…

Face à un Parlement qui représente la majorité, la Cour « suprême » défendrait, nous dit-on, les minorités. S’il n’y a pas de démocratie sans respect des minorités, y en aurait-il sans respect de la majorité ? Les minorités ont le droit d’être protégées, mais la majorité a le devoir d’élaborer une politique et de gouverner en fonction, ainsi que Netanyahou l’a précisé à Scholz qui « s’inquiétait » ces derniers jours :  « La démocratie c’est l’équilibre entre la majorité qui décide et la préservation des droits des minorités ». Donc deux statuts bien différents qui ne peuvent se mettre à égalité sur les deux plateaux de la balance.

Or aujourd’hui en Israël les conseillers « juridiques », sorte de sous-produits de la Cour « suprême » dont la mission devrait n’être que de conseiller, s’arroge le droit d’interdire au ministre de l’intérieur de donner des ordres à la police, et même plus d’interdire au Premier ministre d’intervenir sur le contenu de la Réforme !!!

Où donc dans le monde, les ministres de l’intérieur – en France, Darmanin – sont-ils privés d’agir sur le principal levier à leur disposition, la police et la gendarmerie ?

Où donc dans le monde, un Premier ministre – comme au Royaume Uni ou en Italie – ou un Président de la République – comme en France – est-il empêché d’expliquer et de défendre la politique pour laquelle il a été élu, en Israël par près de 2 millions et demi de voix, et ce avec près de 80% de participation aux élections, score historique en Israël ? !!!

Oui dans quel pays au monde, un conseiller juridique peut-il s’octroyer un tel pouvoir de priver de parole un Président ou un Premier Ministre ?

Nulle part ailleurs qu’en Israël[5] !

Qui sont donc les dictateurs ?

Certes, aujourd’hui, cette tendance à vouloir confisquer au Peuple et donc au Parlement, la réalité du pouvoir, et à la transférer vers des « élites », et notamment vers les Juges et les média propagandistes, soi-disant libres, mais subventionnés par les Etats, n’est pas qu’israélienne.

Quant à ces Européens et ces Américains « inquiets », ne devraient-ils pas plutôt s’inquiéter de ce recours systématique, ces derniers temps, à cette loi d’exception qui ne dit pas son nom, dite ‘’49.3’’, qui autorise le gouvernement français à contourner la souveraineté de l’Assemblée nationale, une grande première pourtant dans l’histoire de la république française ?

Et d’ailleurs, on peut aussi se demander au nom de quelles ‘’valeurs’’ ils se permettent de s’ingérer dans les affaires intérieures d’Israël… Corruption au sein des institutions européennes[6]… Recours « tentaculaire » aux cabinets de conseil dont McKinsey…[7]. Corruption et pédophilie du fils du Président Biden, toujours en liberté[8]. Etc…etc… Les manifestants de Tel Aviv ont-ils été maltraités comme les gilets jaunes éborgnés en France ?

Aux « amoureux de la démocratie »

Ceux qui en Israël s’autoproclament « amoureux de la démocratie », ne devraient-ils pas plutôt se réjouir qu’enfin des représentants du peuple osent secouer le cocotier ? Ne comprennent-ils pas que la meilleure manière de rétablir le respect dû à une Cour « suprême » est de la limiter à la vérification de la constitutionalité des lois votées par le Parlement, et non pas de la créditer de l’infaillibilité papale ?

Et qu’inversement lui concéder, de fait, le pouvoir politique et législatif équivaut à un coup d’état permanent, comme l’a qualifié le juriste israélien, le Professeur Kontorovitch[9] ?

N’est-il pas temps pour eux de se demander si les véritables objectifs de ceux qui dirigent réellement ce mouvement de révolte, ne sont pas de faire tomber un gouvernement qui n’a que 2 mois d’existence et ce par une tentative de coup d’Etat juridique, puisque si un vulgaire conseiller juridique est capable de bâillonner un Premier ministre, pourquoi la Cour Suprême ne pourrait-elle pas décréter la dissolution du Parlement et la destitution du Premier ministre et chef légitime, Benjamin Netanyaou ?

N’est-il pas temps pour eux de comprendre que cette idée qui trotte dans beaucoup de têtes haut-placées, notamment de ces ex-généraux reconvertis en politiciens aigris, verrait se dresser un peuple entier qui jusqu’à présent s’est abstenu de répondre à cette vaste provocation, ce qui nous mènerait inéluctablement vers la guerre civile et vers l’affaiblissement d’Israël, sinon sa disparition ?

N’est-il pas temps pour ceux qui en toute bonne foi participent à ces manifestations bi-hebdomadaires, de se demander s’ils ne sont pas les idiots utiles d’une mise en scène qui ressemble étrangement à ce qui a été appelé, par périphrase, « Révolutions de couleur » comme ce fut le cas en Ukraine en 2004 et en 2014, où avec la participation directe des USA (Biden, Victoria Nuland, l’ambassadeur et les officines de la CIA), l’on chassa le président élu Viktor Ianoukovytch par près de 50% des voix, avec le résultat que l’on sait aujourd’hui :

Direction d’un mouvement qui combine impeccablement, en temps réel, la centralisation de la stratégie, des informations et des directives, et la décentralisation de leur mise en pratique, whatsapp connectant une multitude de groupes par affinités professionnelles ou autres… Direction qui n’en reste pas moins occulte !

Appareil impressionnant de propagande (affiches géantes en couleur et autocollants miniature, drapeaux israéliens de toutes dimensions, déguisements, etc….) avec des mots d’ordre soigneusement évalués repris à l’unisson par tous les groupes, et des symboles, notamment celui du poing brandi, du mouvement Otpor ( « Résistance » en serbe), formé et soutenu par les USA au début des années 2000[10] et que l’on voit apparaitre dans les manifestations de Tel Aviv.

Logistique tout aussi impressionnante (location des bus et de véhicules pour les responsables) qui suppose un financement mirobolant qui dépasse et de loin les possibilités associatives locales…

Tout Israélien, et prioritairement ceux qui participent à ces manifestations, devraient urgemment voir le documentaire « Les États-Unis à la conquête de l’Est », de la reporter française Manon Loizeau, lors de la « révolution des Tulipes » au Kirghizistan, où l’on voit notamment Mike Stone de la Freedom House participer à l’organisation : https://www.youtube.com/watch?v=Oh3A0127xl4

Et celui de Paul Moreira : « Ukraine : les masques de la révolution » :

https://www.youtube.com/watch?v=VLXtWfTcLC4

 Mais aussi à propos de l’origine (américaine) de ce déguisement de manifestantes vêtues de robes rouges et portant des bonnets blancs, on lira avec grand profit la traduction de l’article de Irit Linor dans le quotidien « Israël Hayom » :

https://bokertovyerushalayim.wordpress.com/2023/03/19/robe-ecarlate-et-bonnet-blanc/?unapproved=3879&moderation-hash=079dfcb3ff0ae5582dcc86c29acf931b#comment-3879

A bon entendeur, bon spectateur et bon lecteur, Chalom !

Tel Aviv, 20 Mars 2023

Jean-Pierre Lledo, cinéaste

[1] https://policyoptions.irpp.org/fr/magazines/august-2022/la-clause-derogatoire-et-la-separation-des-pouvoirs/

https://lphinfo.com/la-democratie-israelienne-est-une-institution-fiere-et-forte-par-dan-illouz/

[2] Wikipédia

[3] https://laviedesidees.fr/Constitutionnalisme-et-democratie.html

https://laviedesidees.fr/La-democratie-entre-essence-et.html

[4] https://www.jforum.fr/comment-la-presidente-binish-corrompt-la-justice.htmlYoav Itshak pour News1

[5] Les anglophones regarderont avec profit le débat entre les professeurs Alan Dershowitz et Eugene Kontorovich : https://www.israelunwired.com/alan-dershowitz-these-reforms-will-make-israel-into-a-democracy-like-canada-new-zealand-and-australia/

[6] https://www.liberation.fr/international/europe/corruption-a-la-commission-europeenne-des-soupcons-tres-graves-sinquiete-von-der-leyen-20221212_CC4NAUL7GNE3LNZ2C433MQEE2I/

[7] https://www.bfmtv.com/politique/elysee/affaire-mc-kinsey-emmanuel-macron-pas-sanctionne-par-la-commission-des-comptes-de-campagne_AN-202301270346.html

[8] https://www.causeur.fr/twitter-files-elon-musk-revele-en-direct-comment-twitter-a-censure-les-elements-de-laffaire-de-lordinateur-de-hunter-biden-248336

[9] https://www.jforum.fr/la-gauche-israelienne-ou-le-coup-detat-permanent.html

[10] Le journal britannique The Guardian déclara que USAID, National Endowment for Democracy (NED), l’International Republican Institute, le National Democratic Institute for International Affairs et Freedom House sont intervenus directement dans les révolutions de couleur. Des informations sur les sites Internet de ces organisations (dont les quatre premières sont financées par le budget américain) confirment ses affirmations. Projet pour les démocraties en transition participe également à ce genre d’opérations. (Wikipedia)…

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