Victoire de l’Iran à Alep : une étape dans la campagne chiite contre les Etats du Golfe et Israël

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Ill : La citadelle d’Alep

Les récents événements d’Alep jouent un rôle décisif dans le plan stratégique de l’Iran visant à établir un corridor terrestre qui lui donnerait accès à la côte méditerranéenne. Depuis la chute de la ville, Téhéran exhorte les acteurs terroristes non-étatiques à se mettre sous son aile en échange d’un soutien massif. L’intensification du conflit chiite-sunnite constitue une barrière entre l’Iran et ses clients potentiels.

La République islamique d’Iran a proclamé la victoire décisive sur les rebelles à Alep comme décisive et le retour de la ville au pouvoir du gouvernement syrien, un tournant qui transformera non seulement la crise en Syrie, mais aussi d’autres centres de conflit régional. Le principal conseiller du chef suprême Khamenei, Ali Akbar Velayati, et le secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale, Ali Shamkhani, ont déclaré que la victoire d’Alep reflète le triomphe de Téhéran sur la coalition sunnite occidentale. L’Iran se présente comme prenant le dessus sur les États occidentaux, dirigés par les États-Unis, et les États sunnites dans la région, dirigés par l’Arabie Saoudite et la Turquie.

La victoire a bien sûr été largement gagnée grâce à l’intervention militaire russe, mais Téhéran semble avoir bénéficié de l’événement plus de Moscou. Alep est un carrefour sur le couloir terrestre vers la côte méditerranéenne que l’Iran tante de construire depuis 2014. Le corridor envisagé passerait par Bagdad, la ville kurde de Sinjar, la région kurde du nord-est de la Syrie, Alep, Idlib et Homs, et culminerait sur la bande côtière stratégique de Lattaquié.

Il n’est donc pas surprenant que Téhéran ait exprimé un grand enthousiasme pour le retour d’Alep au sein du régime syrien, ce qui a placé la ville dans la sphère d’influence iranienne. Au cours de son sermon du vendredi (la plate-forme des déclarations de propagande de la République islamique), le conducteur de la prière de Téhéran, Kazem Sediqi, a proclamé que la victoire d’Alep ne signifiait pas simplement la libération de la ville mais le triomphe de la foi chiite et de la révolution islamique. Le commandant des Gardiens de la Révolution, Mohammed Ali Jafari, a également déclaré Alep être la première ligne de défense de l’Iran. Depuis la formation de la République islamique, a-t-il dit, Téhéran a cherché à établir les marges de défense les plus larges possibles contre l’Occident, Israël et les États sunnites dans la région.

Pendant la campagne d’Alep, Téhéran a utilisé un vaste réseau de milices chiites agissant sous les auspices des Gardiens de la Révolution. Le commandant de la campagne, Javad Ghafari, a été nommé par le commandant des forces al Quds, Qassem Soleimani. Ces forces incluaient le Hezbollah libanais et d’autres milices parrainées par Téhéran, comme l’al-Nujba’a irakienne, la Fatemiyoun afghanne, la Zainabiyoun pakistanaise et les milices locales établies par les Gardiens de la Révolution et le Hezbollah. Selon diverses estimations, le rôle du Hezbollah dans ces batailles est allé bien au-delà de ses effectifs (il a envoyé environ 5 000 soldats en Syrie). Naim Qassem, secrétaire général adjoint de l’organisation, a ainsi affirmé que cinq militants du Hezbollah en Syrie agissent comme commandants de 25 groupes armés non libanais.

Encouragés par la victoire d’Alep, Téhéran et le Hezbollah ont commencé à tirer parti de l’importance de l’événement. C’est un tournant non seulement en ce qui concerne la Syrie, mais aussi en ce qui concerne les autres foyers de conflit à travers le Moyen-Orient – d’abord à Bahreïn, mais aussi en Arabie saoudite et au Yémen.

Depuis la Révolution islamique, Téhéran a appliqué une stratégie de soutien aux milices arabes et autres qui ont accepté  son patronage pour en faire des outils contre les gouvernements sunnites et pro-américains dans la région, ainsi que contre Israël et les Etats-Unis. À l’heure actuelle, l’intention iranienne est d’utiliser le «modèle syrien», selon lequel les milices et les forces sous les auspices iraniens agissent en tandem avec les forces locales contre les factions sunnites dans la région.

Le 9 décembre 2016, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a déclaré que la victoire d’Alep influencerait «toutes les campagnes dans la région». De son côté, Hossein Salami, commandant des Gardiens de la Révolution, a envoyé une invitation publique aux chiites de Bahreïn pour reproduire le modèle utilisé par Téhéran à Alep, déclarant que cette victoire était le «premier pas» vers la libération de Mossoul, de Bahreïn et du Yémen. Ramazan Sharif, responsable des relations publiques pour les Gardiens de la Révolution, a également déclaré que la victoire d’Alep aurait un impact sur la solution des crises au Yémen et à Bahreïn. Naim Qassem a souligné le rôle significatif du Hezbollah dans la stratégie subversive de Téhéran en exprimant la volonté du Hezbollah d’aider les mouvements de libération potentiels chaque fois qu’il croyait au bien-fondé de leur lutte.

La politique iranienne d’exportation de la révolution islamique se poursuit donc à plein régime, Téhéran utilisant la menace de l’Etat islamique comme prétexte pour maintenir une présence militaire offensive dans d’autres pays et dans les zones sunnites. L’accord nucléaire, qui est favorable à l’Iran, doit être considéré dans ce contexte. Parce que l’Occident considère l’Etat Islamique de Daech comme une menace, il est prêt à tolérer les forces iraniennes et pro-iraniennes dans les zones sunnites.

C’est pourquoi Téhéran s’attend à ce que la victoire d’Alep encourage les cercles chiites au Bahreïn et en Arabie saoudite à répondre à ses propositions d’aide subversive. Le quotidien Kayhan, qui est proche du chef suprême Khamenei, a anticipé que cette victoire augmenterait l’attraction pour la révolution islamique parmi les acteurs non-étatiques dans la région.

Cependant, la réaction hostile du Hamas à l’assassinat systématique et à l’expulsion massive des sunnites d’Alep montre le défi auquel fait face la tentative de l’Iran d’exporter la révolution. Le Hamas a exprimé sa solidarité avec les sunnites d’Alep, soulignant une fois de plus son différend avec Téhéran sur qui est l’opprimé en Syrie. Ce différend remonte à l’indifférence de l’ayatollah Khomeini face aux plaidoyers des Frères musulmans syriens face à l’offensive de Hafez Assad qui a abouti aux massacres de Hama en 1982.

Rejetant ce type de critiques et d’autres critiques formulées contre Téhéran à la suite de la bataille d’Alep, y compris l’accusation d’Al-Jazira selon laquelle les Iraniens avaient soumis les sunnites de la ville à une nakba similaire à celle vécue par les Palestiniens en 1948, des responsables du gouvernement iranien et des journalistes ont lancé une campagne sur les médias sociaux intitulée «D’Alep à Jérusalem». Cette campagne présente la victoire anticipée des forces iraniennes à Jérusalem serait la une continuation des  victoires de Téhéran à Khoramshahr dans le sud de l’Iran en 1982 pendant la guerre Iran-Irak et à Alep en 2016. Le commandant en second des Gardiens de la Révolution, Salami, a déclaré que l’expérience acquise par le Hezbollah dans les combats dans les agglomérations d’Alep serait extrêmement utile lors de sa future campagne contre Israël.

Alors que Téhéran semble avoir tourné son attention vers d’autres régions en Syrie depuis la chute d’Alep, une éventuelle campagne iranienne contre Israël n’est pas impossible. Téhéran envisage d’exploiter la crise syrienne comme un moyen de se déployer du côté syrien des hauteurs du Golan. Cela élargirait considérablement le front nord face à Israël et constituerait une menace substantielle. Khamenei a exprimé publiquement cette intention en déclarant que «l’Iran est fier aujourd’hui d’avoir des forces près des frontières du régime sioniste», car «l’ennemi doit être détruitdans ses propres frontières».

Source : BESA Center Perspectives Paper No. 415, February 27, 2017, By Yossi Mansharof

Yossi Mansharof est doctorant au Département d’histoire du Moyen-Orient à l’Université de Haifa et chercheur au Centre Ezri pour l’Iran et les études du Golfe Persique.

 

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