« Une Belgique bientôt sans Juifs ? »

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Tribune

TRIBUNE. Le pays est désormais à la pointe de l’antisionisme en Europe, avec l’Irlande. Les Juifs y sont-ils encore les bienvenus ? demande le président de la Ligue belge contre l’antisémitisme.

Par Joël Rubinfeld

Illustration : Le vice-Premier ministre belge et ministre des Affaires étrangères, Maxime Prévot

En 1966, le philosophe Vladimir Jankélévitch écrivait que l’antisionisme est « une incroyable aubaine », car « il nous donne la permission – et même le droit, et même le devoir – d’être antisémite au nom de la démocratie ! L’antisionisme est l’antisémitisme justifié, mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d’être démocratiquement antisémite. Et si les Juifs étaient eux-mêmes des nazis ? Ce serait merveilleux. Il ne serait plus nécessaire de les plaindre : ils auraient mérité leur sort. »

Ces mots prophétiques traduisent ce qui s’est joué au Parlement belge le 14 août. Sous la pression de la plupart des médias et partis politiques belges, d’ONG droits-de-l’hommistes, des recteurs des dix universités du royaume, d’anciens diplomates en quête de tribune et de la rue antisioniste, la commission des Relations extérieures de la Chambre basse du Parlement fédéral s’est réunie pour débattre de la reconnaissance de la Palestine. Une session glaçante dont l’atmosphère rappelait la fièvre antisémite du procès Dreyfus, des disputations ou des tribunaux de l’Inquisition.

« Génocide », « apartheid », « famine instrumentalisée comme outil d’extermination d’un peuple », « plus grande prison à ciel ouvert au monde », « régime raciste », « crimes contre l’humanité », « camps de concentration », « plus grand cimetière des enfants », « purification ethnique », « phase finale »… Autant d’anathèmes martelés, quatre heures durant, par des députés de gauche, d’extrême gauche, du centre et de la droite flamande, pour nazifier Israël et, dans la bouche de certains, les Juifs dans leur ensemble.

Crachat au visage des victimes du 7 Octobre

Sur le podium de l’outrance, l’écologiste Rajae Maouane s’arroge la troisième place. Celle qui partageait, jusqu’à l’année dernière, la présidence du parti Ecolo avec Jean-Marc Nollet – devenu depuis délégué général des Écologistes français – arbore ostensiblement, ce jour-là, un pendentif représentant une carte de « Palestine » expurgée d’Israël.

À la tribune, elle fustige « un génocide en 4K, une extermination organisée du peuple palestinien », s’indigne « des bébés délibérément affamés », clame que « les vies arabes sont déshumanisées » et réclame l’envoi de forces internationales à Gaza : « Il faut stopper ce blocus par la force s’il le faut. » Toute honte bue, elle conclut son intervention par un « Vive la résistance palestinienne » – crachat au visage des 1 200 victimes du 7 octobre 2023 et des 50 otages israéliens toujours aux mains des terroristes à Gaza.

En deuxième place, le communiste Peter Mertens accuse Israël de « destruction minutieuse planifiée » et d’« épuration ethnique ». Il renvoie l’État juif au Troisième Reich, alléguant des « camps de concentration » à Gaza et affirmant que « depuis la Seconde Guerre mondiale, il n’y a jamais eu une telle planification minutieuse de famine » – famine qui constituerait, selon lui, la « phase finale d’un plan d’Israël depuis le début ».

Pour dénoncer un monde occidental qui « se lave les mains » du « pire génocide du XXIe siècle », Mertens convoque à trois reprises la figure de Ponce Pilate. Ainsi, le député et secrétaire général du PTB consacre le passage de l’accusation fondatrice de l’antisémitisme chrétien – le peuple juif « déicide » – à l’accusation paroxystique de l’antisémitisme contemporain : le « génocide » du peuple palestinien.

À la première place de ce podium de l’infamie, Jean-Marie Dedecker (N-VA, nationaliste flamand), auteur d’un discours saturé de parallèles entre Israël, les Juifs et les nazis. Il compare Gaza à Oradour-sur-Glane et les Israéliens aux nazis. « Ceux qui ont été victimes dans la guerre appliquent les mêmes pratiques nazies à une autre population », « on a tous peur de l’industrie de l’Holocauste »…

En 1948, « nous avons transféré le peuple juif en Palestine. Et qui paie l’addition pour ce que nous, Occidentaux, avons fait subir au peuple juif ? Les Palestiniens. » La guerre contre le Hamas serait « un alibi pour une campagne génocidaire contre le peuple palestinien, avec pour objectif d’imposer la suprématie juive from the river to the sea ». Quant à « ceux qui aiment Israël », il les qualifie de « négationnistes de Gaza ».

Clôturant les débats de la commission parlementaire, la diatribe antisémite du député N-VA ne suscitera aucun émoi. Pis encore, elle sera complaisamment saluée par la présidente de la commission des Relations extérieures, la démocrate-chrétienne Els van Hoof.

Une faillite morale

À droite de l’échiquier politique, quelques voix plus mesurées se sont fait entendre, dont celle de la députée N-VA Kathleen Depoorter. Mais tous s’accordent sur la reconnaissance de la Palestine – conditionnelle pour certains, immédiate pour la plupart –, récompensant ainsi le Hamas pour les pogroms du 7 Octobre. Les sanctions contre l’État d’Israël font, elles aussi, consensus. Elles devraient être décidées rapidement par le gouvernement (coalition dite « Arizona » de cinq partis, en place depuis février 2025, avec comme Premier ministre Bart De Wever, de la N-VA).

Reste l’éléphant dans la pièce. Pas un seul des députés présents n’a réfuté les deux forgeries antisémites contemporaines : l’accusation portée contre Israël de commettre un « génocide » et celle d’orchestrer une « famine » à Gaza. Pas un seul pour mettre en pièces ces impostures habillées dans la langue des droits de l’homme.

Cette faillite morale dit beaucoup de l’état lamentable de la classe politique belge. Dans le meilleur des cas, elle renvoie dos à dos les terroristes du Hamas et tout ou partie du gouvernement israélien. Dans le pire, elle érige les Israéliens en nouveaux nazis, glorifie le terrorisme palestinien, taxe les soutiens d’Israël de négationnistes, fait du « génocide » le nouveau « déicide », et questionne jusqu’au droit à l’existence de l’État juif.

Dans l’Hémicycle, le ministre des Affaires étrangères Maxime Prévot prendra la parole pendant une heure et demie pour exposer la position du gouvernement et la sienne personnelle – pas toujours en phase. Plaidant pour la reconnaissance immédiate de la Palestine, le chef de la diplomatie belge fait preuve d’un amateurisme embarrassant lorsqu’il déclare : « Il ne s’agit pas de reconnaître un gouvernement, on reconnaît un État. »

Ce dernier semble ignorer que, selon le droit international – qu’il brandit pourtant à tout bout de champ –, la Convention de Montevideo sur les droits et les devoirs des États (1933) fixe quatre critères juridiques pour prétendre au statut d’État, dont celui d’« être doté d’un gouvernement ».

Il ne semble pas davantage comprendre que le Hamas, qui a remporté la majorité absolue – 74 sièges sur 132 – aux élections législatives palestiniennes de 2006, sortirait renforcé si des élections libres étaient organisées demain, pour avoir réussi là où l’Autorité palestinienne a échoué : la reconnaissance d’un État par les démocraties occidentales.

L’institutionnalisation d’un antisémitisme recyclé

Prévot se hasarde encore lorsqu’il affirme que « ni la France, ni le Canada, ni l’Australie […] ne se sont exprimés en faveur de la reconnaissance sans balises connexes ». Or Emmanuel Macron, Mark Carney et Anthony Albanese ont tous trois déjà annoncé qu’ils reconnaîtront la Palestine le mois prochain, lors de la 80e Assemblée générale de l’ONU.

Plus grave, Prévot affuble la démocratie israélienne de la livrée des bourreaux passés du peuple juif : « Comment le gouvernement d’un peuple qui a connu tant de souffrances et de privations peut-il se comporter de la sorte aujourd’hui ? » Il accuse Israël de faire « volontairement mourir de faim des enfants » et de doser cyniquement l’aide humanitaire « non pas pour protéger mais pour dominer ». Selon lui, cette guerre contiendrait « tous les éléments susceptibles de constituer des violences clairement génocidaires ».

Ces exemples démontrent une fois de plus que notre ministre des Affaires étrangères est surtout un ministre étranger aux Affaires. Invité le soir même sur le plateau de RTL TVI, il tance Israël quatre minutes durant avant de conclure, à propos de la guerre Russie-Ukraine : « On ne peut pas donner de prime à l’agresseur. » Il semble donc que pour notre champion de la reconnaissance de la Palestine, la guerre Hamas-Israël n’ait commencé que le 8 octobre 2023.

Ces vingt-cinq dernières années, l’antisémitisme a retrouvé des couleurs – celles du drapeau palestinien –, singulièrement en Belgique, pays qui, avec l’Irlande, fait figure d’apostat du monde libre. Mais ce à quoi l’on assiste depuis le 7 octobre 2023 marque un changement de paradigme : l’institutionnalisation d’un antisémitisme recyclé.

En 2015, le Premier ministre Charles Michel déclarait que « la Belgique sans les Juifs ne serait plus la Belgique ». Dix ans plus tard, tout indique que c’est désormais l’horizon. Car si jusqu’en octobre 2023 les Belges juifs se demandaient s’ils avaient encore un avenir dans leur pays, la question qui les hante à présent est de savoir où partir.

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