Les 44 enfants de la Maison d’Izieu pouvaient-ils être sauvés ?

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La maison d’Izieu, un drame affligeant.

                          1943-1944.

 

Les 44 enfants assassinés n’auraient-ils pas pu être dispersés à temps.

 

Par André Charguéraud

 

Izieu lieu emblématique choisi pour perpétuer la mémoire des 11 600 enfants juifs assassinés par les nazis.[1] Un des principaux mémoriaux consacrés à la Shoah en France. « Les enfants d’Izieu sont le symbole même de l’innocence massacrée », écrit le président Mitterrand.[2]

Le jeudi 6 avril 1944, des hommes de la Gestapo dirigés par Klaus Barbie accompagnés de soldats SS arrêtent et déportent vers la mort 44 enfants et 7 adultes de la maison d’accueil d’Izieu. On comprend difficilement qu’en avril 1944, quelques mois avant la Libération, les enfants n’aient pas été dispersés. La tragédie n’aurait-elle pas pu être évitée ?[3]

Sabine Zlatin « la Dame d’Izieu » est au centre de ce drame. Une femme exceptionnelle qui s’est consacrée pendant les premières années de l’occupation au sauvetage des enfants juifs, puis après leurs arrestations et la perte de son mari, oeuvra de manière exemplaire dans la résistance.

En 1941 Zlatin est congédiée comme juive de l’hôpital Saint Eloi de Lyon où elle travaille comme infirmière.[4] Elle est alors engagée par l’Oeuvre de secours aux Enfants OSE comme assistante sociale. Munie de papiers officiels, elle est autorisée par la préfecture de Montpellier à sortir quatre à cinq enfants du camp d’internement d’Agde à chacune de ses visites.

Zlatin rencontre des difficultés à placer ces enfants rapidement. Sous l’égide de l’OSE, elle ouvre alors pour eux un centre de « transit » à Palavas-les-Flots.[5]  L’OSE ferme cette structure d’accueil au printemps 1943. Après l’occupation allemande de la zone libre en novembre 1942, les responsables des maisons de l’OSE, qui regroupent quelque 1 200 enfants, jugent qu’elles sont devenues de véritables guet-apens et procèdent à leur liquidation et à la dispersion clandestine des enfants.[6]

Zlatin est sur le départ lorsque M. Fridérici, secrétaire général de la préfecture de Montpellier, lui demande de s’occuper de 17 enfants qui se trouvent abandonnés, semble-t-il, dans un camp de l’OSE près de Lodève. Pour fuir les rafles allemandes, « nous choisissons la sécurité de la zone d’occupation italienne où les Juifs sont protégés », écrit-elle.

Les responsables de la commune de Lodève délivrent à Zlatin un certificat demandant aux autorités de « faciliter l’accomplissement de sa mission ».[7] Fridérici lui fournit tous les papiers nécessaires, alerte le Secours National pour assurer le transfert et assurer l’accueil à Chambéry. Il demande au sous-préfet de Belley, Pierre Marcel Wiltzer, de trouver un bâtiment dans l’Ain. Izieu est choisi avec l’accord du maire M. Tissot. Par la suite Wiltzer aidera à plusieurs reprises la nouvelle maison d’enfants. Il intervient auprès du ministère de Vichy pour qu’une enseignante soit déléguée à Izieu.[8]

Izieu est peut-être « oublié au bout du monde, loin des villes où la Gestapo est implantée », mais de trop nombreuses organisations administratives de Vichy sont au courant de l’existence de la Maison d’Izieu pour espérer conserver un anonymat protecteur.[9] Lorsque les Allemands remplacent les Italiens en septembre 1943, la protection de Rome disparaît, le danger allemand tant redouté par Zlatin est de nouveau présent. Des pages ont été écrites détaillant les différentes personnes qui auraient pu dénoncer aux Allemands la colonie juive d’Izieu, sans conclusions certaines. On semble oublier que le centre d’ Izieu a été légalement constitué et se trouve enregistré et identifié à la préfecture de l’Ain comme une organisation juive s’occupant de Juifs français et étrangers. Les Allemands ont accès à cette information décisive.[10]

L’OSE poursuit activement la fermeture de ses centres pour enfants. Dans un rapport daté du 30 mars 1944 à ses correspondants suisses, l’organisation estime que « la liquidation des homes d’enfants est terminée. Tous les enfants ont pu être mis en lieu sûr. Depuis octobre plus de 1 000 enfants ont été transférés en placements familiaux ».[11] 1000 enfants passés en clandestinité en six mois. Ce chiffre éloquent  montre que, même s’il n’est pas aisé, le placement des 44 enfants d’Izieu n’aurait pas poser un problème majeur.

La maison d’Izieu n’est pas oubliée par l’OSE, mais elle ne dépend pas directement de cette organisation. C’est une structure indépendante créée et gérée par Sabine Zlatin et son mari Miron. Les rapports avec l’OSE sont fréquents et confiants. Zlatin est membre de l’OSE devenue « direction santé » de l’UGIF-Sud. Les relations deviennent toutefois de plus en plus tendues et le 13 décembre 1943, Zlatin envoie sa lettre de démission. « Un geste lourd de conséquences, et encore inexpliqué dans un contexte très défavorable », écrit Pierre-Jérôme Biscarat. [12] Il entraîne en décembre 1943 la fin de la contribution financière de l’OSE à l’entretien de ces enfants.[13]

Entre-temps l’OSE et d’autres organisations ont dirigé vers Izieu des enfants qu’elles « ne savaient pas où placer ». « Nous nous sommes retrouvés avec quatre-vingt enfants ». « Nous avons pu réduire les effectifs en faisant passer les aînés par une filière vers la Suisse, et en plaçant quelques enfants dans des institution catholiques et protestantes (…) Le 6 avril il restait quarante-quatre enfants ».[14]

Les alertes se sont multipliées. Le 20 octobre 1943 à la Maison de la Verdière près de Marseille, 28 enfants et 9 mères ainsi que leur directrice Alice Salomon sont arrêtés et déportés.[15] Courant décembre des opérations de police allemande ont lieu dans le département de l’Ain. Elles s’intensifient début février 1944 avec la participation de 5 000 soldats. 184 personnes sont arrêtées, 42 fusillées et 38 maisons incendiées. Simultanément, le 8 février 1944, la Gestapo arrête dix membres de l’OSE dans le bureau UGIF de Chambéry. Dans la nuit du 22 au 23 mars, la Gestapo rafle le home de la Martillière. 18 enfants de l’Association des Israélites pratiquants sont arrêtés et transférés à Drancy.[16]

Zlatin est consciente du danger. Elle est au courant de la fermeture des centres de l’OSE et des arrestations. Absente d’Izieu la majorité de son temps, elle multiplie les contacts pour cacher les enfants.[17] Elle a pensé liquider le centre comme en atteste la lettre d’une collaboratrice datée du 14 janvier 1944.[18] La décision est malheureusement remise. Il faut attendre mars qu’un médecin voisin juif soit pris et déporté par la Gestapo pour que l’alarme s’impose et que s’organise l’évacuation de la maison. Zlatin a compris selon ses propres mots « qu’il était grand temps de dissoudre la maison ».[19] Trop tard !

Pourquoi a-t-elle attendu « six longs mois » après l’arrivée des troupes allemandes pour disperser les enfants dont elle a la charge et éviter la tragédie ?[20] Elle connaissait alors le danger imminent et fatal qui menaçait « ses enfants ». Son expérience à Palavas-les-Flots, la dispersion accélérée des enfants des maisons de l’OSE, le signal de la répression donné par les rafles de la Gestapo ne lui commandaient-ils pas d’agir sans retard ?

Par ©André Charguéraud

 

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[1] LAZARE Lucien, La résistance juive en France, Stock, Paris, 1987, p. 223. Un chiffre proche de celui donné par KLARSFELD Serge, La Shoah en France, vol. 3. Le calendrier de la persécution des Juifs de France. Septembre 1942- août 1944, Fayard, Paris, 2001, p. 1915. Déportés de moins de 17 ans : 10 147 enfants.

[2] ZLATIN Sabine, Mémoires de la « Dame d’Izieu », Gallimard, Paris, 1992. p. III de l’avant-propos.

[3] Le cas des enfants juifs qui se trouvaient dans les foyers dirigés par l’UGIF dans l’ancienne zone nord, principalement à Paris est différent. La Gestapo non seulement en connaissait l’existence mais y envoyait les « enfants bloqués ». Terme barbare pour désigner des enfants restés seul après la « disparition » de leurs parents. J’ai traité le sujet dans un article paru en septembre 2011. Vous le trouverez en seconde pièce jointe.

[4] IBID, p. 31.

[5] IBID. p. 38.

[6] COHEN Richard. The Burden of Conscience. French Jewry’s Response to the Holocaust, Indiana University Press, Bloomington, 1987, p.141. Il s’agit des centres de l’OSE de la zone Sud, la seule zone où l’OSE opère avec sa propre organisation sous la couverture de l’UGIF-Sud.

[7] ZALTIN, op. cit. p. 43.

[8] IBID. p. 41 et 45.

[9] Quelques voisins malveillants ont pu aussi dénoncer aux Allemands la présence des enfants juifs d’Izieu.

[10] BISCARAT Pierre-Jérôme, Dans la tourmente de la Shoah, les enfants d’Izieu, Michel Lafon, Paris, 2008, p. 78 et 233 ss.

[11] KLARSFELD Serge, La Shoah en France. vol. 4, Le mémorial des enfants juifs déportés de France, Fayard, Paris, 2001, p. 111.

[12] BISCARAT, op. cit.  p. 174.

[13] ZLATIN, op. cit. p. 50.

[14] CAUSSE Rolande, Les enfants d’Izieu, Seuil, Paris, 1993, p. 98.

[15] KLARSFELD, op. cit. p. 106.

[16] BISCARAT, op. cit. p. 176 ss.

[17] ZLATIN, op. cit. p. 49. Principalement à Montpellier où elle a un « bureau clandestin ». Elle visite des enfants dans des familles d’accueil, des personnes âgées et des malades à l’hôpital.

[18] IBID. p. 55.

[19] IBID. p. 52.

[20] La question a été posée à la directrice du Musée-Mémorial des enfants d’Izieu qui estime malgré des recherches intensives ne pas avoir de réponse.
En savoir plus sur http://jforum.fr/les-44-enfants-de-la-maison-dizieu-pouvaient-ils-etre-sauves.html#6Yk7YsFiR89k4JKP.99

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