À l’époque, les intellectuels voyaient l’ayatollah Khomeyni dans un rêve amoureux. Il rentrera en Iran le 1er février 1979 dans un avion spécial d’Air France avec 150 journalistes à bord et les hommes qui formeront son futur gouvernement. Un journaliste remarquera qu’il n’y a aucune femme dans l’avion. Déjà.
Tribune
J’ai vu, en ce mois de juin 2025, dans des manifestations de gauche, apparaître aux côtés des habituels drapeaux palestiniens les drapeaux à trois bandes horizontales – vert, blanc, rouge – de la république islamique d’Iran, drapeau national depuis la révolution de 1979. Donc il y a des gens de gauche qui ont protesté contre les frappes américano-israéliennes visant le nucléaire iranien en brandissant des drapeaux du régime des mollahs. Je me suis d’abord dit : comment est-ce possible ?
Certes, Jean-Luc Mélenchon, grand timonier de l’extrême gauche française, a toujours eu un faible pour les dictateurs avec des discours soi-disant révolutionnaires comme Hugo Chávez au Venezuela. Ou Poutine aujourd’hui. Mais Mélenchon n’était pas seul, la semaine dernière, à oublier, dans ses déclarations publiques, de dénoncer aussi ce qu’est la dictature sanguinaire des ayatollahs depuis 46 ans. On a entendu Marine Tondelier, Clémentine Autain, et même le chef des socialistes officiels, Olivier Faure, s’inquiéter de cette guerre « qui va provoquer le chaos » mais pas de la chape de plomb religieuse qui enferme toujours le peuple dans la république islamique. Le pic a été atteint par le communiste Ian Brossat maintenant sénateur français, qui a banalisé ce régime en comparant, sans rire, la situation des femmes en Iran avec celles des femmes juives orthodoxes – qui, elles, ne risquent pourtant pas d’être lapidées pour adultère ou tuées pour un voile de travers.
Et puis je me suis souvenu que ce reflux nauséabond n’était pas nouveau, que la gauche avait déjà eu un coup de cœur pour les ayatollahs il y a près d’un demi-siècle, tombée sous le charme d’un homme qui ne jouait pas d’une séduction torride : l’ayatollah Khomeyni alors en exil à côté de Paris, dans la charmante banlieue de Neauphle-le-Château. La France de Giscard l’avait accueilli, nourri et protégé, et les intellectuels français célèbres, de gauche et laïcs, lui avaient rendu visite pour écouter religieusement ce leader religieux. Michel Foucault et Jean-Paul Sartre en tête. Foucault, l’auteur de l’Histoire de la sexualité (1976-1984) et de l’Histoire de la folie (1961) n’avait pas bien lu ses propres livres quand il voyait dans la future révolution islamique iranienne « une nouvelle spiritualité politique » qui est « la forme la plus moderne de la révolte et la plus folle ». Moderne ? Il appelait Khomeyni « le saint homme exilé à Paris ». Balayant le mot de « fanatisme » avancé par certains commentateurs lucides. Sartre, lui, parlait avec enthousiasme d’un « régime anticolonialiste et anti-impérialiste ».
À l’époque, les intellectuels voyaient l’ayatollah Khomeyni dans un rêve amoureux. Il rentrera en Iran le 1er février 1979 dans un avion spécial d’Air France avec 150 journalistes à bord et les hommes qui formeront son futur gouvernement. Un journaliste remarquera qu’il n’y a aucune femme dans l’avion. Déjà.
Aveuglement de la gauche
Comme toujours, Simone de Beauvoir voit plus loin et plus juste que ses compagnons de l’intelligentsia masculine. L’Iran des ayatollahs deviendra une tyrannie à l’intérieur, et un État criminel à l’extérieur qui pilotera des organisations terroristes pour attaquer le monde occidental. Et ce seront les Iraniennes, justement, qui lanceront en 2022 la grande révolte contre la dictature sanguinaire des mollahs aux cris de « Femmes, Vie, Liberté ». L’aveuglément de la gauche dès qu’on prononce les mots sacrés d’anticolonialisme, impérialisme, peuple, révolution est une vieille histoire. Pourtant Khomeyni n’avançait pas masqué.
Je traduis de l’anglais ces conférences et j’en fais un article que je publie dans Libération. Le lendemain, je subis une volée de critiques de la part de mes collègues de Libération pour avoir publié ces conférences pourtant publiques. Comme si les mots n’avaient pas d’importance on m’explique que « ça ne veut rien dire… C’est hors contexte… De faux extraits ? … De toute façon ce n’est pas ce que fera Khomeyni s’il arrive au pouvoir en Iran… » On a vu.