Sous quelque angle militaire que ce soit, Israël est sorti grand vainqueur de cette guerre de 12 jours interrompue par Trump. Une fois de plus, Israël se retrouve avec des jetons sans valeur échangeable. L’Iran le présente comme le perdant et, ô surprise, certains soi-disant experts aux États-Unis et en Europe se rangent à ce point de vue. Photo : le Guide suprême iranien, Ali Khamenei, proclame la victoire sur IRINN TV le 26 juin 2025 : « Je tiens à féliciter le peuple. Je voudrais d’abord le féliciter pour sa victoire sur le faux régime sioniste. Malgré toutes ses clameurs et ses prétentions, le régime sioniste a été quasiment anéanti et écrasé sous les coups de la République islamique. » (Source de l’image : MEMRI)
L’adage veut que l’Histoire soit écrite par le vainqueur. En effet, soit le vaincu a été tué, soit ses blessures l’empêchent d’écrire ou de se lier d’amitié avec le vainqueur.
Mais l’adage exige aussi qu’une guerre se termine avec un incontestable vainqueur. Ce qui pose un autre problème : quel vainqueur peut s’auto-proclamer vainqueur et ceindre son front de lauriers si l’adversaire ne reconnaît pas sa défaite ?
Tel est le dilemme auquel les Israéliens sont confrontés alors qu’ils se sont battus pour que leur pays ne soit pas rayé de la carte.
Cette fois encore, les États-Unis ont placé une distance incommensurable entre la coupe du vainqueur et les lèvres israéliennes.
Croyant bien faire, ils ont imposé un dénouement en queue de poisson oubliant que la fonction d’une guerre est de remplacer un statu quo instable par un autre statu quo, accepté par tous, ou le vainqueur et le vaincu apparaissent clairement. Ils affirment que la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Mais encore une fois, ceux qui croient bien faire ont une énième fois fait de la guerre une diplomatie qui confond la corde et le serpent.
Ces acteurs extérieurs qui croient faire le bien tirent généralement un bénéfice de leur intervention. Ils remportant des élections ou se voient décerner le très comique prix Nobel de la paix.
Depuis 1947, de nombreuses nouvelles nations sont apparues sur la carte, et des dizaines de guerres ont été gagnées et perdues, créant de nouveaux statu quo et assurant de longues périodes de paix et de stabilité. Chaque fois, la guerre – considérée par Aristote comme la plus noble des entreprises humaines – a déterminé un vainqueur. Telle est la fonction de la guerre : trancher un nœud gordien afin que les choses reprennent un cours normal.
Ceux qui veulent bien faire et tous les autres vendeurs de cessez-le-feu ont transformé la guerre en couteau que l’on tourne et retourne, interminablement, dans la plaie.
Dans certains cas, le cessez-le-feu est l’ennemi de la paix.
Le cessez-le-feu ordonné par le président américain Donald Trump appartient à cette catégorie. Il a bloqué temporairement une guerre entre Israël et l’Iran qui a commencé il y a près d’un demi-siècle, quand l’ayatollah Ruhollah Khomeini, fondateur de la République islamique, a fait de « l’élimination de l’entité sioniste » sa priorité numéro un.
Sous quelque angle militaire que ce soit, Israël a remporté cette guerre de 12 jours. Mais Trump a empêché qu’elle devienne une victoire majeure. Les Israéliens ont pris le contrôle total du ciel iranien en 48 heures, ce qui a permis aux bombardiers américains B-2 de détruire les principales installations nucléaires iraniennes en quelques heures et sans rencontrer la moindre résistance.
Les Israéliens ont également décapité la hiérarchie militaire iranienne, dominée par le Corps des gardiens de la révolution islamique. Le quartier général de la Force Qods, qui a orchestré les opérations de l’Iran en Irak, au Liban, en Syrie, à Gaza et au Yémen pendant des décennies a également été anéanti.
Selon les estimations iraniennes, Israël a détruit ou gravement endommagé plus de 600 sites militaires et nucléaires de la République islamique, infligeant des dommages supérieurs à 1 800 milliards de dollars. Dans une version classique de la conduite des opérations militaires, les Israéliens ont pu attaquer des cibles dans 20 des 31 provinces iraniennes sans perdre un avion ou un pilote.
Selon Fatemeh Mohajerani, porte-parole du président iranien Massoud Pezeshkian, les attaques israéliennes ont fait plus de 600 morts, dont 54 femmes et enfants. Vingt-trois des tués étaient des généraux une ou deux étoiles, tandis que 300 autres étaient des militaires, dont des sous-officiers. Quarante-six scientifiques et responsables nucléaires iraniens ont été tués. 4 746 blessés iraniens ont été recensés. Côté israélien, plus de 30 personnes ont été tuées dans les attaques iraniennes, dont un seul conscrit de 18 ans. Le nombre de blessés israéliens s’élève à 3 238.
Normalement, Israël devrait apparaître comme le grand vainqueur de cette guerre de 12 jours. Mais comme chaque fois, Israël s’est fait refiler des jetons non échangeables, sans parler du fait que l’Iran et certains soi-disant experts aux États-Unis et en Europe, le présentent comme le vaincu.
Les choses sont encore plus compliquées par le fait que Trump a posé en vainqueur qui a « éradiqué à jamais le programme nucléaire iranien » et qui a imposé un cessez-le-feu dans les 24 heures qui ont suivi les frappes aériennes américaines.
L’Iran a tenté de surenchérir sur Trump en revendiquant sa propre victoire. « Nous avons brisé les cornes du taureau américain et lui avons frotté le nez dans la poussière », a déclaré Muhamad-Reza Aref, assistant du président à Téhéran.
La propagande de Téhéran insiste sur le fait que la guerre a duré 12 jours. « Les Arabes, menés par l’Égypte, se sont effondrés après seulement six jours de guerre contre les sionistes en 1967 », indique un éditorial du site d’information Tasnim du CGRI. « La République islamique elle, a résisté à l’attaque des sionistes et à leur soutien américain pendant 12 jours, les forçant à implorer un cessez-le-feu. »
Les médias officiels de Téhéran citent le New York Times, CNN et d’autres chaînes américaines et européennes qui ont semé le doute sur la victoire de Trump, et plus encore sur celle d’Israël.
Les médias ont poussé en avant d’importantes personnalités occidentales – John Mearsheimer, David Attenborough, Noam Chomsky et Jeffrey Sachs – qui ont soutenu la revendication de victoire de l’Iran.
Au point que quelques idéologues khomeynistes ont exigé la préparation d’un nouveau cycle de guerre.
« Nous avons vaincu le Grand Satan et son agent sioniste », déclare le général une étoile Ibrahim Jabbari. « Mais nous ne devons pas en rester là. Nous devons maintenir la pression sur Netanyahou jusqu’à ce qu’il soit étouffé. »
Une fois de plus dans l’histoire du Moyen-Orient, un cessez-le-feu précipité, motivé par des calculs politiques à court terme, est sur le point de prolonger une guerre qui dure depuis des décennies, chaque phase étant plus meurtrière que la précédente.
Amir Taheri a été rédacteur en chef exécutif du quotidien Kayhan en Iran de 1972 à 1979. Il a travaillé ou écrit pour d’innombrables publications, publié onze livres et il tient une chronique sur Asharq Al-Awsat depuis 1987.