Dans la tête d’un lecteur du journal Ha’aretz : Gaza, “génocide” ou “extermination” ?

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Par Pierre Lurçat

La lecture du journal Ha’aretz est un “plaisir” masochiste. Je m’y adonne parfois, en fin de semaine, pour tenter de comprendre ce que pensent les anciennes élites israéliennes et les manifestants “kaplanistes”, qui considèrent que l’ennemi d’Israël n’est pas le Hamas, ni l’Iran, mais son Premier ministre Benjamin Netanyahou. Il n’est pas facile d’entrer dans la tête d’un lecteur de Ha’aretz. Ce n’est pas facile, mais c’est un exercice nécessaire. Premier volet.

J’ai raconté ailleurs[1] l’histoire de ce quotidien, autrefois sioniste, qui est devenu le fer de lance de la “cinquième colonne” progressiste à l’intérieur d’Israël et la lecture favorite des ennemis d’Israël (dans sa version anglaise). Une des forces du journal Ha’aretz est la richesse de ses suppléments. Le numéro de fin de semaine (paraissant le vendredi, qui est le jour où tous les quotidiens font paraître leurs suppléments du Chabbath) ne comporte pas moins de cinq suppléments : le “Moussaf Ha’aretz”, sorte de magazine abordant des sujets variés, le supplément artistique “Galeria”, le MarkerWeek qui est le supplément économique, le supplément littéraire et le supplément “Culture et littérature”.

Mais avant d’aborder la littérature vue par Ha’aretz, feuilletons le quotidien du vendredi 16 mai 2025. En bas de page de la “Une”, un article signé Nir Hasson et The Guardian (quotidien britannique réputé pour être particulièrement anti-israélien) porte en titre : “L’hôpital de Gaza mis hors de service par des attaques israéliennes était le seul à traiter des malades du cancer”. Sous-titre ; “Le ministère de la Santé dans la bande de Gaza : plus de 120 personnes tuées dans l’attaque hier”. Dans Ha’aretz, comme dans quasiment l’ensemble de la presse occidentale, on prend pour argent comptant les chiffres du Hamas…

Il faut aller en page 10 pour lire l’article entier, et comprendre que “l’hôpital européen” de Gaza visé par Tsahal abritait le haut-commandement du Hamas et que l’attaque israélienne a permis de tuer le chef du mouvement terroriste, Mohammed Sinwar. Ce petit “détail” relégué en page intérieure aura donc échappé à de nombreux lecteurs du quotidien, qui retiendront (tout comme les lecteurs du Monde ou du Guardian) que l’attaque israélienne visait le seul hôpital de Gaza traitant les malades du cancer…

L’éditorial de Ha’aretz en page 2 porte un titre énigmatique, sous forme de jeu de mot (un peu à la “Libé”) : “Kari s’empare de la télécommande” (avec une allitération en hébreu intraduisible en français). L’éditorialiste explique que “le gouvernement a fait de la guerre contre la presse libre un élément central de son entreprise pour ébranler les fondements de la démocratie”. Sans entrer dans les détails du projet de réforme gouvernementale, on se contentera de s’interroger sur les valeurs de “liberté de la presse” que prétend défendre Ha’aretz. Mais je laisse mes lecteurs juger d’eux-mêmes.

En page “Opinions”, deux articles ont retenu mon attention. Le premier, signé Ilana Hamerman, s’intitule “J’écris pour ne pas mourir”. Il s’agit d’une citation de l’écrivain gazoui Yousri Al-Aoul, qui “s’efforce de tenir un journal depuis le début de la guerre d’extermination menée par Israël à Gaza”. Vous avez bien lu : extermination (hachmada). Je n’ai pas lu la suite de l’article, il y a une limite au masochisme. Si le quotidien de l’intelligentsia israélienne parle de “guerre d’extermination” à propos de la riposte israélienne à Gaza, alors que faut-il attendre des Mélenchon et Rima Hassan en France ?

En bas de la même page, le directeur de la branche israélienne d’Amnesty, Yariv Moher, signe une tribune dans laquelle il explique s’être trompé lorsqu’il avait protesté contre le qualificatif de “génocide” pour décrire ce qui se passe à Gaza, s’opposant au rapport sur le sujet d’Amnesty International. “J’ai dit que ce n’était pas un génocide. Je n’en suis plus certain maintenant” est le titre de son article… Allez, je crois que mes lecteurs commencent à être pris de nausée, je m’arrête là pour aujourd’hui ! (à suivre…)

P. Lurçat

NB Sur un sujet qui concerne directement le monde juif francophone, Ha’aretz a récemment prétendu que Delphine Horvilleur faisait « l’objet d’une campagne de menaces après avoir critiqué le gouvernement israélien… » (sic). J’invite ceux de mes lecteurs qui ne l’ont pas encore fait à signer la pétition-lettre ouverte que j’ai adressée à Delphine Horvilleur, ici : https://chng.it/nKbYJ9zmFm

[1] Dans mon livre La trahison des clercs d’Israël, La maison d’édition 2016.

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