Guerre psychologique…

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Pr. Eitan Guilboa (spécialiste des États-Unis et des communications), JISS

Les faits

Au Moyen-Orient, la guerre psychologique foisonne de déclarations, d’images, de films et de manœuvres hostiles sur le terrain. Les acteurs sont Israël, l’Iran, le Hezbollah, les États-Unis et bien d’autres. Tous ces acteurs multiplient des mises en garde contre des erreurs militaires, susceptibles de dégénérer en une guerre régionale, dont personne ne semble vouloir, du moins pas en ce moment. Des déclarations et des images incendiaires pourraient conduire à un début d’hostilités avec échanges de missiles, qui actuellement, pourraient créer des conditions de combat inopportunes pour Israël.

Malgré des mises en garde d’Israël, un terroriste du Hezbollah a mené, il y a quelques semaines, une attaque à Megiddo (30 km sud-est de Haïfa). Par la suite, le Hezbollah a légitimé le tir de 34 roquettes, par le Hamas libanais, sur le nord d’Israël. Toujours le Hezbollah, a organisé un spectacle militaire risible, dans lequel les terroristes s’infiltrent en Israël, occupent des agglomérations de Galilée et prennent des otages. Le chef du renseignement militaire israélien, le major-général Aharon Haliwa, a répondu à ce ridicule « exercice » de propagande en disant, que le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, était « sur le point de commettre une erreur, qui plongera la région dans la guerre ». Le chef d’état-major de Tsahal, Herzi Halevy, a ajouté :

 

« L’Iran a fait plus de progrès que jamais dans l’enrichissement de l’uranium. Sans entrer dans les détails, il y a des développements négatifs, qui pourraient conduire à une action et nous en avons les capacités ».

Nasrallah, à son tour, a répondu au chef d’état-major de Tsahal et au chef du renseignement militaire :

« Celui qui devrait craindre une guerre majeure est Israël. Je dis au chef d’état-major israélien : faites attention à ne pas faire d’évaluation erronée. Ni à Gaza, ni en Cisjordanie ni en Syrie, ni au Liban, ni en Iran, car votre erreur conduira à une conflagration régionale, puis à une guerre globale, qui vous conduira au bord de l’abîme et à votre anéantissement ».

Escalade des déclarations

En réponse au spectacle extravagant du Hezbollah, Tsahal a mené son propre exercice, le « poing qui broie ». Au cours de l’exercice, le ministre de la Défense Yoav Galant a déclaré :

« Si le Hezbollah commet une erreur et lance une guerre contre Israël, nous frapperons puissamment et ramènerons le Liban à l’âge de pierre. »

L’Iran a mené un important exercice militaire naval dans les eaux du golfe du Mexique. À cette occasion, Israël a découvert que ce pays convertissait des navires marchands en bases flottantes de drones et de missiles. Concernant une éventuelle attaque contre l’Iran, un haut responsable de la sécurité à Téhéran a déclaré dans une interview à Al Jazeera :

« Israël connaît une crise interne sans précédent, mais il essaie de paraître fort ; nous ne sommes pas des bellicistes, mais le monde doit savoir que si Israël attaque, nous n’aurons pas de lignes rouges dans notre réplique. »

À l’appui de cela, l’Iran a révélé des photos de la quatrième génération du missile balistique Khorramshahr, qui a une portée de 2 000 km (il couvre toute la surface d’Israël), une ogive de 1 500 kg et un système de guidage et de contrôle en vol, qui rend son interception difficile. Récemment, l’Iran a dévoilé un autre nouveau missile, qui, selon lui, est hypersonique et peut se déplacer à 14 fois la vitesse du son, soit environ 15 000 kilomètres à l’heure, et a une portée de vol de 1 400 kilomètres. Les Iraniens prétendent qu’il peut échapper aux systèmes de défense aérienne d’Israël et des États-Unis. Pour le moment, la portée de ce missile ne lui permet pas d’atteindre Israël, mais les Iraniens sont en passe de recevoir de la Russie des chasseurs Sukhoi-35, qui serviraient de plateforme de lancement, éliminant ainsi sa limite de portée actuelle.

Yoav Gallant, le ministre israélien de la défense a déclaré :

« J’entends nos ennemis se vanter de divers développements d’armes. Quelle que soit l’arme présentée, nous avons une réponse, dans les airs, en mer et sur terre, aussi bien en attaque qu’en défense. »

Les États-Unis participent aussi à cette guerre psychologique. Ils multiplient des avertissements et présentations des armements. Les États-Unis souhaitent parvenir à un accord nucléaire temporaire et partiel avec Téhéran. Cette campagne dans les médias est destinée à présenter une alternative possible à un refus iranien. Il y a eu aussi une « fuite » indiquant que les États-Unis avaient offert à Israël la coordination de l’action contre l’Iran. Le message s’adressait à la fois à Israël et à l’Iran. L’administration du président Joe Biden craint une action surprise d’Israël et laisse entendre qu’Israël ne fera rien sans une coordination avec Washington. Cela rappelle quelque peu la situation entre les deux pays entre 2009 et 2012, lorsque Benjamin Netanyahou et Ehud Barak avaient planifié une attaque contre les installations nucléaires iraniennes et que l’administration du président Barack Obama avait tout fait pour que cela n’arrive pas.

Capacités opérationnelles

En ce qui concerne le programme nucléaire iranien, des images satellite ont révélé la construction d’une nouvelle installation nucléaire à Natanz, à une profondeur de 80 à 100 mètres. Les États-Unis possèdent une bombe anti-bunker, GBU 57, armée de 14 tonnes d’explosifs, censée pénétrer à une profondeur de 60 mètres. L’armée américaine a publié une photo d’une nouvelle bombe qui serait capable d’atteindre des profondeurs dépassant les 60 mètres. Une version précédente de GBU 57, à savoir GBU 43, armée de 11 tonnes d’explosifs n’avait été utilisée qu’une seule fois. Il s’agissait d’un bombardement des bases d’Al-Qaïda en Afghanistan en 2017. Tzakhi Hanegbi, chef du Conseil national de sécurité d’Israël, a commenté l’installation des équipements iraniens sous terre :

« Nous savons que les Iraniens enterrent leurs installations depuis de nombreuses années, afin de maintenir leur immunité. Bien sûr, cela limite la capacité d’atteinte de ces installations, mais il n’y a aucun endroit qui ne puisse être atteint. »

La diplomatie

Les présidents américains ont déclaré que si la diplomatie échouait, « toutes les options étaient sur la table », ce qui implique qu’elles incluent une attaque militaire, mais personne n’a cru ces déclarations, et en particulier les Iraniens. Les États-Unis se sont abstenus de répondre militairement aux attaques contre leurs bases en Syrie et en Irak et contre des cibles de leurs alliés, y compris une attaque en septembre 2019 contre les installations de production de pétrole dans les champs d’Abqaiq et de Khuris d’Aramco en Arabie saoudite.

Cette attaque a provoqué une baisse temporaire de 50 % de la production pétrolière de l’Arabie saoudite. Même aujourd’hui, malgré la coopération militaire entre l’Iran et la Russie, et la répression brutale des manifestations contre le foulard islamique, les États-Unis préfèrent la diplomatie et les négociations. On a récemment appris que la Maison-Blanche avait proposé un accord temporaire et partiel avec l’Iran, basé sur le gel du programme nucléaire contre un allègement des sanctions. En échange d’un nouvel accord nucléaire, que l’administration Biden a proposé et qui devrait être « plus inclusif, plus serré et à plus long terme », les États-Unis sont prêts à se contenter de « moins de nucléaire pour moins de sanctions ». Pour l’instant, l’Iran n’a toujours pas répondu à cette proposition.

Le message final des États-Unis à Téhéran est qu’il y a encore de la place pour de nouvelles négociations et un nouvel accord nucléaire. Au cas contraire, l’administration envisagera d’autres mesures. Concernant l’Iran, Netanyahou a déclaré à la commission des affaires étrangères et de la défense :

« Plus de 90 % de nos problèmes de sécurité proviennent de l’Iran et de ses proxies. Notre position est claire : aucun accord avec l’Iran n’empêchera Israël de faire tout son possible pour se défendre. »

En d’autres termes, même en cas d’accord américain avec les Iraniens, Israël conservera sa liberté de prendre des mesures militaires contre les installations nucléaires iraniennes. Les ennemis d’Israël estiment que la crise à propos de la Cour suprême, la déconnexion apparente des États-Unis, l’éloignement des pays des Accords d’Abraham d’Israël et les mesures de réconciliation que ces pays ont entamés avec l’Iran, ont considérablement affaibli Israël. Par conséquent, les ennemis d’Israël seraient enclins à déclencher des attaques d’envergure sur plusieurs fronts.

Conclusions

Le but de la guerre psychologique est de préparer le terrain à une guerre réelle ou d’en dissuader. Les déclarations, les avertissements et les actions d’Israël visent à corriger l’impression d’affaiblissement social et sécuritaire d’Israël, que percevraient ses ennemis, en particulier l’Iran, et à rétablir la dissuasion contre eux. La tension avec les États-Unis, qui apparait évidente dans la réticence à inviter le Premier ministre Netanyahou à se rendre à la Maison Blanche, sape le rétablissement de la dissuasion. Israël n’a pas besoin de l’approbation des États-Unis pour entreprendre une action militaire contre l’Iran, mais il a besoin de son soutien. Étant donné que toute attaque contre les installations nucléaires de l’Iran provoquera des réponses massives de la part de l’Iran lui-même et de tous ses proxies. Le soutien américain sera indispensable, pour contrecarrer des décisions hostiles de la part de l’ONU et aussi pour compléter des munitions israéliennes. L’administration Biden craint qu’Israël ne veuille l’entraîner dans une attaque contre l’Iran. Des réticences que nourrit l’administration Biden envers Netanyahou, le début prochain de la campagne présidentielle aux États-Unis et la frilosité américaine vis-à-vis de l’Iran, tout cela rend difficile une coordination stratégique entre les deux pays. Netanyahou devrait faire un effort pour persuader l’administration Biden de prendre en compte les réserves d’Israël, dans sa politique américaine au Moyen-Orient.

Édouard Gris, MABATIM.INFO

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