Israël semble être en train de perdre la guerre de l’image à Gaza. Même des pays démocratiques comme la France, le Royaume Uni et le Canada l’accusent d’être responsable d’une famine à Gaza. Si de tels alliés abandonnent l’Etat juif, c’est en grande partie parce que la haine du Juif est devenue une véritable force politique.
La haine d’Israël est une vielle histoire, née avant même le Hamas. Cela s’appelle l’antisémitisme.
Il y a quelque chose d’incompréhensible, sinon de foncièrement malhonnête, dans l’hostilité persistante – et croissante – qu’une partie du monde occidental nourrit à l’égard d’Israël. Ce rejet n’est pas né de l’actualité récente, mais plonge ses racines dans un cocktail idéologique où se mêlent l’antisémitisme recyclé, les haines postcoloniales, le populisme islamo-gauchiste, le clientélisme électoral et une forme de snobisme moralisateur dont l’Europe a le secret. La diabolisation d’Israël est une œuvre composite. Il faut en démonter les mécanismes.
1/L’antisémitisme recyclé en antisionisme
Le cœur du mal est là : le Juif honni d’hier est devenu l’État haï d’aujourd’hui. L’antisémitisme étant désormais répréhensible (jusqu’à récemment en tout cas), la haine a trouvé un costume plus présentable : l’antisionisme. On ne hait plus les Juifs, on hait le Juif collectif. Cette transmutation rhétorique, qui permet toutes les outrances, est d’autant plus efficace qu’elle donne bonne conscience à ceux qui s’y adonnent. Soudain, l’illégalité devient vertu : on peut haïr sans honte, puisque c’est « pour la Palestine ». On est dans le camp du Bien, dans le monde du risque zéro puisque qui pourrait vous reprocher votre empathie pour les Palestiniens ?
2/L’effet miroir de la détestation américaine
Il y a aussi la vieille haine anti-impérialiste, version tiers-mondiste ou alter-européenne. Israël paie ici sa proximité stratégique, militaire et technologique avec les États-Unis. Haïr Israël, c’est s’en prendre à « l’Empire », c’est se donner des airs de rebelle adepte de la passion anti-américaine. Peu importe qu’Israël soit une création travailliste (Ben Gourion) fondée sur des Kibboutz (sorte de phalanstères fouriéristes), une démocratie parlementaire, multilingue, diversifiée, qui protège les minorités mieux que la plupart de ses voisins (notamment les Druzes et les Bédouins) : Israël incarne l’Occident honni, et à ce titre, doit être abattu dans l’imaginaire idéologique de l’ultra-gauche.
3/L’obsession décoloniale
Le décolonialisme joue un rôle central dans cette haine obsessionnelle. Dans cette vision manichéenne, Israël serait le dernier bastion de la colonisation occidentale. Que le pays soit né d’une résolution onusienne, qu’il ait retiré ses colons de Gaza en 2005, qu’il ait rendu le Sinaï à l’Egypte, que l’hébreu, au contraire du français, de l’anglais et de l’arabe ne soit parlé nulle part ailleurs qu’en Israël, que les Arabes israéliens y aient le droit de vote et un accès à toutes les institutions n’y change rien. Le prisme victimaire l’emporte sur les faits et le conflit devient une métaphore planétaire.
4/La dictature wokiste du ressenti
L’idéologie wokiste, elle, privilégie le ressenti à la réalité. Ainsi, quand 20 pays, dont la Belgique et la France, appellent à un cessez-le-feu, on s’indigne du « refus israélien » relayé par l’AFP, alors même que le Hamas n’a jamais accepté la proposition initiale. Cette inversion accusatoire est permanente. Les sbires de l’État islamique sont des terroristes ; les miliciens du Hamas sont des résistants (des « militants » pour l’Associated Press). Le Hamas est un « Mouvement palestinien » comme s’il s’agissait d’un syndicat. Le drame des otages, des femmes violées, des enfants massacrés, est effacé derrière les images de ruines à Gaza. Les Israéliens sont devenus des super-Blancs, symbole du patriarcat. D’ailleurs, la société israélienne qui produit des « vrais hommes » via le service militaire n’est-elle pas machiste ?
5/Le clientélisme électoral
En Europe, la réalité du vote musulman dans les grandes villes (Bruxelles, Anvers, Paris, Rotterdam, Bradford…) interdit à nombre de responsables politiques de prendre ouvertement la défense d’Israël (un homme politique bruxellois me l’a avoué). Le simple fait de rappeler que le Hamas est une organisation islamiste totalitaire devient un acte de bravoure. Les partis préfèrent flatter leur base électorale, quitte à s’aligner sur des slogans propalestiniens qui flirtent avec la propagande du Hamas. Le courage politique est absent ; le calcul cynique, omniprésent. Démocratie (un homme, une voix) et démographie (population musulmane en expansion) s’allient pour rendre la présence juive en Europe de plus en plus précaire.
6/Le rejet de l’État-nation
La gauche postnationale abhorre l’idée d’un État fort, enraciné, fier de son identité. Or Israël est tout cela à la fois. Un Etat-nation juif est le summum de l’horreur pour la déconstruction sans-frontière. Les Juifs, autrefois accusés d’être sans terre et sans patrie (vils cosmopolites), sont aujourd’hui détestés pour avoir bâti un État, le défendre, l’armer, l’aimer. Le nationalisme juif, fût-il démocratique, est une insulte à l’universalisme abstrait issu de la déconstruction. Israël déplaît parce qu’il ne s’excuse pas d’exister.
7/Une jalousie mal dissimulée
Israël suscite aussi, disons-le franchement, une forme de jalousie. Ce petit État de moins de 10 millions d’habitants est devenu une puissance technologique majeure, un acteur central dans l’innovation, la cybersécurité, la médecine, l’agriculture, l’intelligence artificielle. Israël vend des armes ? Preuve de sa dangerosité. Israël produit des prix Nobel ? Symbole de sa domination. Même l’absence relative d’énergies renouvelables y devient une marque d’infamie chez certains écologistes radicaux, ainsi de Greta Thunberg levant les voiles vers Gaza avec Rima Hassan.
8/L’université, matrice de la détestation
Depuis 1967, les campus occidentaux sont devenus d’année en année les laboratoires de la haine d’Israël. On y enseigne que l’État hébreu pratique un « apartheid », voire un « génocide » – beaucoup d’étudiants de l’Université Libre de Bruxelles en sont absolument persuadés, comme j’ai pu m’en rendre compte lors d’une soirée de débat organisée par le Centre Jean Gol en présence de Georges-Louis Bouchez et Louis Sarkozy. Un obscur politicien du parti Mouvement réformateur (MR) compare Tsahal à la Wehrmacht en constatant la présence de soldats israéliens au festival de musique belge, Tommorowland. On fait de Gaza un camp de concentration. La « judéification » des Palestiniens est complète : ils sont désormais les victimes absolues, les nouveaux martyrs, oubliant tous les autres, des Ouïgours aux Druzes, Kurdes, Arméniens, Nigérians ou Soudanais menacés de famine…
9/Le renversement moral
Tout cela aboutit à un renversement éthique dramatique. Israël, agressé, endeuillé, menacé de destruction par une organisation islamiste djihadiste, bombardé par le Hezbollah et les Houthis, bombardé par l’Iran qui, sans le dôme de fer, aurait fait des centaines de milliers de morts en Israël, est devenu l’agresseur. Ceux qui massacrent, violent, prennent des enfants en otage sont absous au nom de leur identité palestinienne. Les Israéliens récoltent ce qu’ils ont semé ! Ceux qui se défendent sont condamnés parce qu’ils sont israéliens. Le Hamas, pourtant copié-collé idéologique de Daech, devient un interlocuteur légitime pour certains élus européens, les ONG et l’ONU. On ne parle plus de terrorisme, mais de « résistance ».
Au final, si Israël est une Etat génocidaire et affameur, il n’a pas le droit d’exister puisqu’il était une promesse du « plus jamais ça » (plus jamais la Shoah). Si les Israéliens sont plus ou moins des nazis, l’Europe nazie et collaborationniste est absoute. Et notre culpabilité recuite vis-à-vis du génocide juif peut enfin être balayée. Dans le monde arabo-musulman, la « greffe sioniste » est une hérésie en terre d’Islam et doit disparaître. Pour ce faire, le Hamas et les proxys iraniens ont l’éternité devant eux : le 7 octobre n’étant, comme les dirigeants du Hamas l’ont rappelé, qu’un apéritif.
C’est pourquoi, nonobstant une empathie légitime pour les souffrances des Gazaouis, tous les démocrates devraient soutenir Israël, non pas aveuglément, mais lucidement. Parce qu’il est un rempart contre le fascisme islamiste. Parce qu’il défend les valeurs démocratiques dans une région qui les connaît si peu. Parce qu’il enterre ses morts et libère ses otages, quand l’autre camp fête ses martyrs et enchaîne les civils. Parce qu’Israël ne cherche pas à conquérir, mais à survivre.