L’affaire du piratage du téléphone de Naftali Bennett cristallise en réalité un processus déjà engagé depuis longtemps : une crise profonde de confiance autour d’un homme qui, aux yeux d’une grande partie du camp national‑sioniste, a trahi sa base, ses engagements et l’esprit même de la droite israélienne.
Un silence troublant, sur cette affaire dans les médias de l’Etat profond
Professeur Michael Ayache
Le scandale n’est pas seulement technologique ou juridique, il est symbolique. Un ancien Premier ministre, ancien ministre de la Défense, homme de high‑tech et prédicateur de « cybersécurité », dont les échanges privés, son carnet d’adresses et des fragments de conversations se retrouvent exposés par un groupe pro‑iranien, incarne exactement le contraire de l’image de solidité et de maîtrise que la droite attend d’un dirigeant en temps de guerre.
Il faut le dire sans détour : si de tels documents, un tel PDF de contacts, de tels extraits de conversations avaient été associés au téléphone de Benjamin Netanyahu, d’un ministre du Likoud ou d’Itamar Ben Gvir, le pays aurait été placé en état de quasi‑sismique médiatique. On aurait vu des éditions spéciales en continu, des titres apocalyptiques, des panels d’« experts » se succéder pour parler « d’effondrement moral », de « danger sécuritaire » et de « corruption du pouvoir ». Dans le cas Bennett, l’épisode est bien traité, mais à volume réduit : des sujets de plateau sur la « protection de vos comptes » et la « crainte de fuite de numéros d’agents », sans ce déchaînement habituel réservé aux figures honnis de la droite classique. Cette différence de traitement n’est pas un détail ; elle confirme à la base nationale que Bennett reste, pour une partie des médias, un « actif » politique, un ancien briseur de camp national, qu’on ménage même dans la disgrâce.
Pourtant, même cette relative douceur médiatique ne le sauve pas du fond du problème : le piratage renvoie directement à la question de sa crédibilité. Bennett s’est construit une image de « responsable sérieux », ancré dans la sécurité, le high‑tech, la rationalité. Or que voit l’opinion ? Des listes de contacts sensibles qui se baladent, des échanges privés qui filtrent, des insultes et jugements méprisants sur des partenaires politiques, et surtout un récit qui change : d’abord le démenti, ensuite l’aveu partiel, puis le discours brouillé sur ce qui est « vrai » et ce qui est « monté ». Pour un public déjà meurtri par son choix de renverser le camp national pour s’adosser à la gauche et à un parti islamiste, ce nouvel épisode ne fait qu’ancrer l’idée que Bennett n’est ni cohérent ni fiable, ni dans ses alliances ni dans sa parole.
Sur le fond, cette affaire touche un point stratégique : la vulnérabilité. Dans un Israël confronté à l’Iran, au Hezbollah, au terrorisme, la droite sioniste exige de ses dirigeants deux choses minimales : protéger les secrets et tenir le front. Quand un ancien Premier ministre qui se targue de comprendre l’ennemi iranien et la guerre technologique se retrouve victime d’une opération de piratage ciblée, l’argument qui lui avait servi contre d’autres se retourne contre lui : si tu n’es pas capable de sécuriser ton environnement numérique, comment prétends‑tu garantir la sécurité d’un pays entier ? Même si le citoyen moyen ne décidera pas son vote « uniquement » sur cette base, l’affaire installe un point faible évident, exploitable par tout rival, israélien ou étranger.
À cela s’ajoute le contenu symbolique des fuites : les conversations où apparaissent des propos méprisants sur d’autres responsables, les coulisses peu glorieuses des manœuvres politiques, la dissonance flagrante entre la langue du « off » et celle de la caméra. Le public israélien n’est pas naïf, il sait que la politique a ses dessous. Mais dans le cas de Bennett, ces dessous prennent une couleur particulière : celle d’un dirigeant qui a déjà brisé la confiance de son camp en montant un gouvernement à rebours de son mandat électoral, et dont les messages fuités ne révèlent pas un héroïsme caché, mais davantage de cynisme, de calcul, de mépris pour certains alliés. Cela nourrit un ressenti qui existait déjà : ce n’est pas un « frère d’armes » de la droite, c’est un politicien qui a utilisé la droite comme tremplin.
Le plus grave, pour lui, est que cette affaire ne disparaîtra pas. Nous ne sommes pas face à un petit scandale de ‘Hanoucca qui s’allume, brûle une semaine et s’éteint. Les documents existent, circulent, seront disséqués et réutilisés. À chaque interview, chaque campagne, chaque tentative de retour en politique, la question reviendra : qu’y avait‑il dans ce téléphone, que disent ces messages de ton caractère, de tes alliances, de ta capacité à résister aux pressions ? Même si aucune « bombe » pénale ne sort, le simple nuage de soupçon, la possibilité de chantage théorique, suffisent à handicaper lourdement un candidat dans un système aussi compétitif et polarisé que la politique israélienne.
Bennett tentera sans doute de retourner la situation en se présentant comme une victime : d’une opération iranienne d’un côté, et d’une vendetta politique du camp Netanyahu de l’autre. Ce récit trouvera peut‑être un écho dans le bloc « seulement pas Bibi », pour qui tout adversaire de Netanyahu est, par définition, un allié circonstanciel. Mais dans le camp patriote , celui qui porte la mémoire de la coalition avec la gauche et les islamistes, le goût amer de la trahison et désormais l’image d’un dirigeant piraté, exposé, vulnérable, rendent un retour de confiance presque impossible. L’affaire du téléphone ne crée pas la crise de confiance autour de Bennett ; elle la cristallise, la met en image, la rend visible à tous. Et dans un Israël qui cherche des dirigeants solides, enracinés, loyaux à leur camp et à leur peuple, cet épisode confirme une conclusion de plus en plus partagée : Naftali Bennett appartient au passé, pas au futur de la droite sioniste.





























