En France, on a deux saisons : la grève des transports et la polémique sur un sondage. Cette fois, c’est l’Ifop qui a tiré le mauvais numéro avec son enquête sur « le rapport à l’islam et à l’islamisme des musulmans de France », commandée par la revue Écran de veille. Mille cinq musulmans interrogés… et quelques millions d’indignés auto-déclarés sur les réseaux sociaux.
Le tableau dressé par l’étude est complexe : religiosité en hausse chez les jeunes, pratique plus intense que chez leurs aînés, adhésion non négligeable à des courants rigoristes. De quoi nourrir un débat sérieux sur la place de la religion, l’intégration, l’école, le séparatisme. Mais au lieu d’ouvrir un dossier, on a ouvert… la chasse au sondeur.
Côté La France insoumise, on a dégainé plus vite que son ombre. Un député voit dans l’enquête un « trucage » téléguidé par une mystérieuse « puissance étrangère », un autre y décèle un complot au service de l’extrême droite. On attend encore la saison 2 : le sondage contrôlé par les reptiliens, avec bande-son complotiste. On aurait presque oublié de lire le questionnaire, puisqu’il est tellement plus simple d’insulter l’Ifop en le rebaptisant « OPIF ».
Les journalistes d’Écran de veille, eux, ont appris qu’en 2025, commander un sondage, c’est un peu comme lancer une start-up : il faut prévoir le budget sécurité. Noms jetés en pâture sur X, adresse publiée, menaces de mort, protection policière pour une pigiste… Tout ça pour avoir posé des questions par téléphone. À ce stade, ce ne sont plus des critiques méthodologiques, c’est un remake low-cost de « La Haine » version clavier.
L’Ifop, de son côté, rappelle que la plupart des questions avaient déjà été posées… y compris à l’époque où un grand quotidien de centre-gauche s’en servait pour réfléchir à l’intégration, sans que personne ne hurle au complot étranger. Plus savoureux encore : le même échantillon de musulmans a servi, il y a peu, à un observatoire des discriminations commandé par la Grande Mosquée de Paris. Quand les chiffres montrent des musulmans victimes de racisme, le panel est « précieux » ; quand ils montrent aussi une poussée de rigorisme, il devient soudain « toxique ».
On peut, et on doit, discuter des limites de ce sondage : taille de l’échantillon jeune, vocabulaire employé, risques d’interprétations abusives. Mais ce n’est pas en envoyant des hordes de militants virtuels sur des journalistes ou en hurlant à la « puissance étrangère » que l’on fera progresser ni la science, ni le débat public.
Au fond, toute cette affaire ressemble à une grande scène de théâtre politique : chacun joue son rôle – les pourfendeurs de l’« islamophobie », les chasseurs d’« islamisme », les experts en micro-détails méthodologiques – et le sondage devient un prétexte de plus pour rejouer les mêmes querelles. Pendant ce temps, les chiffres, eux, restent là. On peut casser le thermomètre si ça soulage, mais la fièvre – qu’elle s’appelle radicalisation, discriminations ou défi de la cohésion nationale – ne disparaîtra pas pour autant.



























