Ce conflit est lointain, il peut paraître abstrait. On aurait tort de penser qu’il ne nous concerne pas.
La guerre a repris entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Officiellement, le problème est la sécession de la république d’Artsakh (le Nagorny Karabagh), cette province peuplée d’Arméniens que Staline avait rattachée à l’Azerbaïdjan. Historiquement, Artsakh est mentionné par les auteurs antiques, Strabon, Pline l’ancien, Plutarque, etc. comme faisant partie de l’Arménie ancienne. L’Artsakh est à l’Arménie ce que Jérusalem est à Israël.
L’Azerbaïdjan accuse l’Arménie de l’avoir agressé. L’Azerbaïdjan est un pays de dix millions d’habitants, riche en pétrole ; un état laïque où l’Islam est la religion dominante. La grande majorité des Azéris est chiite. Ce pays est soutenu par la Turquie sunnite. Tous deux se définissent mutuellement comme « une seule nation, deux États ».
L’Arménie est un pays chrétien de trois millions d’habitants, sans ressources naturelles. Son PIB n’était en 2018 que de 12,43 milliards de dollars. Celui de l’Azerbaïdjan de 46,94 milliards. Le déséquilibre est flagrant. L’accusation d’agression de l’Azerbaïdjan fait inévitablement penser au prétexte des Turcs pour justifier le génocide arménien de 1915.
Un lourd contentieux oppose ces deux pays. L’Azerbaïdjan accuse les Arméniens bolcheviks d’avoir, en mars 1918, exterminé en masse 100.000 Azéris musulmans dont des femmes et des enfants. Le 10 avril dernier, l’académie des sciences d’Azerbaïdjan tenait à Bakou une conférence au nom évocateur : « Le soi-disant génocide arménien : fiction et réalité (le Point) ».
Le vécu arménien du Haut-Karabagh fait de déportations, massacres, pogroms, ainsi que l’encerclement du territoire par les Azéris a provoqué chez les Arméniens d’Artsakh la volonté de défendre leur identité et leur territoire.
Les victimes du conflit actuel se comptent par milliers, civils et militaires. Tout le monde se connaît dans ce petit pays. Chaque mort est un deuil national, un enfant de la famille. Mon ami à Erevan me fait part de la foule des volontaires qui affluent du monde entier, y compris d’Israël.
L’Arménie est un obstacle pour la Turquie.
Le président turc Erdogan a déclaré :
« Les amis, sachez que, pendant six siècles, nous avons dominé trois continents et sept mers. Nous les dominerons de nouveau… Les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles sont nos casques. Les mosquées sont nos casernes, les croyants nos soldats[1] ».
La position géographique de l’Arménie empêche la jonction de la Turquie, de l’Azerbaïdjan et des républiques turcophones du Caucase, le Kazakhstan, le Kirghizistan et l’Ouzbékistan. La chute de l’Arménie représente une étape importante dans la reconstruction de l’Empire ottoman, ambition suprême du président « national-islamiste » Erdogan. Ses autres axes de déploiement vont vers la Méditerranée à travers la Libye et vers le Moyen-Orient par la Syrie.
Le président turc Recep Tayyip Erdoğan a déclaré le 2 octobre 2020, que Jérusalem appartenait à la Turquie, en référence au fait que la ville avait été sous le contrôle de l’Empire ottoman[2]. « Dans cette ville que nous avons dû quitter en larmes pendant la Première Guerre mondiale, il est encore possible de croiser des traces de la résistance ottomane. Donc Jérusalem est notre ville, une ville qui vient de nous ». Son projet est d’étendre le conflit vers Israël.
Les armements
La Russie est le premier fournisseur de l’Azerbaïdjan en armement. Celui-ci est aussi dans les trois premiers clients d’Israël, 8e pays exportateur d’armes au monde. La veille et le lendemain de la fête de Kippour, deux avions azéris, chargés d’armes ont décollé d’Israël pour Bakou[3]. Des drones suicides de fabrication israélienne sont utilisés par les forces azéries. En 2017, leur exportation vers l’Azerbaïdjan avait été gelée, mais elle a repris. L’Arménie pour protester a rappelé son ambassadeur « le fait qu’Israël vende des armes à l’Azerbaïdjan n’est pas acceptable pour nous ».
L’Azerbaïdjan, bien que sous embargo de l’Union Européenne, se place dans le peloton de tête des clients de la France, 3e vendeur d’armes au monde, sans que cela ne fasse de vague, dans le silence du monde et de l’Union Européenne.
L’Azerbaïdjan importe également des armes du Canada et de Turquie, celle-ci agit pour évincer Israël. L’armée de l’air turque a pris le commandement de l’aviation azérie.
Le ravitaillement en armes de l’Arménie vient presque exclusivement de Russie. La Géorgie ayant fermé aux Russes son espace aérien, le transport doit passer par l’Iran.
Géopolitique du pire
Les principaux alliés de l’Azerbaïdjan sont la Turquie, pays frère, la Russie, la Géorgie, l’Iran, la France et Israël, allié stratégique qui paradoxalement se retrouve dans le même camp que ses ennemis. Bakou serait une base arrière du Mossad et de l’armée de l’air israélienne pour surveiller et menacer l’Iran[4].
L’Arménie a pour alliés la Russie, la Géorgie, l’Iran, la France et, depuis peu, elle s’est rapprochée d’Israël.
Dans cet imbroglio complexe tout le monde semble jouer le double, le triple jeu, voire plus.
Reconnaissance du Génocide
La proximité entre Juifs et Arméniens, une communauté de destin, de mode de vie rapproche les deux peuples. Mais malgré les pressions intérieures, le gouvernement israélien a toujours refusé de reconnaître le génocide arménien. Il l’a toujours justifié par la préservation de ses amitiés et de ses intérêts avec la Turquie et l’Azerbaïdjan qui fournit 40 % des besoins en pétrole d’Israël.
Aujourd’hui la donne a changé. Le rapprochement d’Israël avec les pays du Golfe lui permettra d’élargir ses fournisseurs de pétrole et ses bases contre l’Iran. La tension persistante avec la Turquie justifierait de cesser les égards que l’on prend avec ce pays.
Israël au sud et l’Arménie au nord sont les deux barrières qui s’opposent à l’islamisme radical conquérant, à la reconstruction de l’Empire ottoman. Ils sont tous deux en butte aux mêmes calomnies, leurs terres ancestrales sont, l’une et l’autre, qualifiées de « Territoires occupés ».
Ne serait-il pas temps de revoir nos alliances et notre politique avant de voir les armes que l’on aura vendues à nos ennemis se retourner contre nous ?
Klod Frydman, MABATIM.INFO
[1] D’après les vers de Ziya Gökalp, poète turc, prétendument tirés d’un discours politique, en réalité du dialogue d’une pièce de théâtre.
[2] « Jérusalem est notre ville », déclare le président turc Erdoğan.
Le président turc a déclaré devant les députés, à Ankara, que le peuple palestinien vivait dans la capitale « depuis des millénaires ». La manipulation de l’Histoire est grossière et laisse envisager les prochaines guerres de la Turquie (Times of Israel).
[3] L’Arménie rappelle son Ambassadeur en Israël afin de protester contre la livraison continue d’armes israéliennes à l’Azerbaïdjan dont par deux avions aujourd’hui (Armenews).
[4] Intelligence Online – Guerre secrète à Bakou entre Israël et l’Iran.