Alors que les flammes dévorent les montagnes de Jérusalem, beaucoup en Israël en sont convaincus : « Il n’y a pas de crise climatique, tout cela, ce sont les incendies allumés par des Arabes. » Mais s’agit-il vraiment uniquement d’actes de terrorisme ? Ou bien est-ce le symptôme d’une nouvelle réalité beaucoup plus inflammable ?
Be’hadré ‘Harédim
Les montagnes de Jérusalem sont en feu, et le débat public s’embrase lui aussi. Tandis que des dizaines d’équipes de pompiers luttent contre les flammes au sol et par les airs, les réseaux sociaux s’activent. Hier soir, un commentaire typique sur un site internet affirmait : « S’il y a Mohammed, il y a incendies. » D’autres ont rejeté tout lien avec le climat, affirmant : « Arrêtez avec vos histoires de réchauffement, ce sont clairement des incendies criminels. »
Mais les experts ne partagent pas cette vision binaire. Pour eux, ce n’est pas « l’un ou l’autre », mais bien les deux.
Même si un incendiaire est à l’origine du feu, les conditions climatiques actuelles sont telles que la moindre étincelle devient une gigantesque conflagration. Quand presque chaque étincelle allume une montagne, ce n’est plus une simple affaire criminelle — c’est un pays inflammable.
« Nous ne sommes plus dans une situation normale. Ceci est la nouvelle normalité », explique le professeur Avi Bar-Massada, écologue à l’université de Haïfa. Selon lui, ces incendies ne sont que le début d’une vague qui va s’intensifier cet été. « Puisqu’Israël veut avoir des forêts, il faut aussi comprendre qu’il y aura des incendies. Ce qui importe, ce n’est pas seulement qui allume le feu, mais comment on s’y prépare. »
Le service météorologique israélien avait déjà publié il y a deux jours une carte de l’« indice d’incendie », où de nombreuses zones figuraient en violet — le niveau de danger le plus élevé. Cet indice combine sécheresse, température et vents. Pour les pompiers, cette journée était non pas une surprise mais prédite à l’avance.
Le Dr Baruch Ziv de l’université ouverte d’Israël confirme : « La plupart des incendies sont d’origine humaine, mais l’ampleur du désastre dépend de la météo. Avec du vent sec, de la chaleur et des herbes desséchées, une simple étincelle suffit. »
Cette situation n’est pas unique à Israël. Dans toute la région méditerranéenne, on observe une hausse dramatique de la fréquence et de l’intensité des incendies. Les hivers raccourcissent, la végétation sèche plus vite, créant une couche naturelle de combustible. Un phénomène complexe est celui des « spots » — quand le vent projette des étincelles ou des pommes de pin enflammées à plusieurs centaines de mètres, déclenchant de nouveaux foyers secondaires.
2023 et 2024 ont été classées parmi les années les plus chaudes jamais enregistrées, et 2025 semble en bonne voie pour les rejoindre. Ce n’est plus un scénario théorique — c’est notre quotidien.
Ce schéma se répète ailleurs aussi. En janvier dernier, à Los Angeles, au cœur d’un hiver supposé pluvieux, des incendies géants ont éclaté. Les scientifiques ont alors établi que 2024 avait franchi pour la première fois le seuil d’1,5 °C de réchauffement mondial, fixé comme limite d’alerte par l’Accord de Paris.
Là-bas comme ici, un hiver pluvieux a entraîné la croissance d’une forte végétation, rapidement desséchée. La chaleur extrême et les vents violents ont transformé tout feu local en incendie majeur.
La conclusion des experts de la NASA a été claire : le monde est entré dans une nouvelle ère climatique, où incendies, vagues de chaleur, inondations et tempêtes sont devenus la norme.
« Les records continueront de tomber tant qu’on ne maîtrisera pas les émissions de carbone », a averti Gavin Schmidt, directeur de l’Institut Goddard de la NASA.
Selon les spécialistes, la préparation ne peut pas reposer uniquement sur les pompiers. Il faut des infrastructures adaptées, de la prévention, des zones tampons, et surtout — accepter que nous vivons déjà dans une nouvelle réalité.
Alors oui, il est possible qu’un incendiaire ait agi ici.
Mais sans les conditions climatiques extrêmes, le feu n’aurait pas pris une telle ampleur.
La vraie question n’est pas seulement qui a allumé l’incendie, mais comment Israël est devenue une poudrière à ciel ouvert.
Car dans un pays aussi sec, même sans « Mohammed », le feu trouvera son chemin.