Lettre ouverte à Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, par le Grand rabbin Weill

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Lettre ouverte à Monsieur Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, par Harold Avraham Weill, Grand-Rabbin de Strasbourg et du Bas-Rhin

Objet : De la parole comme arme – ou quand la rhétorique ministérielle recharge les fusils

Monsieur le Ministre,

Il est des phrases que l’on prononce comme l’on jette un pavé dans la mare, espérant quelques remous et quelques titres de presse ; mais certaines, par leur ignominie intrinsèque, se transforment en projectiles. Vos récents propos : « Qui sème la violence, récolte la violence », prononcés à propos d’Israël, ne relèvent pas d’un banal dérapage diplomatique : ils constituent une faute morale, historique et politique d’une gravité abyssale.

Permettez que je me présente : je m’appelle Harold Avraham Weill, je suis l’ancien rabbin de Toulouse. Le 19 mars 2012, je n’ai pas « lu » l’horreur dans un rapport ministériel ou dans la presse à scandale. Je l’ai entendue dans les cris étouffés, sentie dans les silences des vivants, vue dans les yeux ouverts des enfants assassinés. Ce jour-là, Mohamed Merah, terroriste islamiste nourri à la haine des Juifs, abattit de sang-froid Jonathan Sandler et ses deux fils, Gabriel et Arieh, ainsi que Myriam Monsonego, âgée de sept ans, tous les quatre de mémoire bénie. Devant l’école Ozar Hatorah. Devant des témoins. Devant le monde. Et pour justifier son geste, il invoqua, avec une effrayante familiarité, le même sophisme glaçant que celui que vous venez de proférer, la même réthorique nauséabonde : « Israël tue des enfants, je tue des enfants »…

Qu’une telle infamie ressurgisse sous la plume ou dans la bouche d’un ministre de la République française en 2025 ne relève pas de la maladresse, mais du renoncement, au sens tragique du terme. Renoncement à la clarté morale, renoncement à la rigueur intellectuelle, renoncement au devoir de protection de tous les citoyens français, dont les Juifs, depuis l’affaire Dreyfus jusqu’à nos jours, savent trop bien combien le sol peut devenir instable sous leurs pieds.

Monsieur le Ministre, en parant de causalité morale ce qui relève de la haine pure, vous ne vous contentez pas de blesser la mémoire : vous tendez l’arme à ceux qui guettent une caution pour appuyer sur la détente. Et croyez-moi, ils sont bien plus nombreux que vous ne l’imaginez. Vous ne placez pas une cible sur le dos des Juifs de France, vous ouvrez la mitraille. Votre phrase est une rafale, votre langage une complicité.

Qu’un État comme Israël, assiégé, lacéré par les roquettes, endeuillé par le pogrom du 7 octobre, puisse encore susciter des critiques, cela relève du débat légitime. Mais que l’on établisse une symétrie morale entre ceux qui massacrent des enfants et ceux qui les pleurent, entre des tueurs fanatisés et un peuple retranché dans la survie, cela n’est plus de l’aveuglement : c’est de l’indignité.

À ceux qui veulent la guerre, vous offrez la grammaire. À ceux qui veulent la mort, vous offrez le lexique. Ils n’en demandaient pas tant.

Je vous conjure de retirer ces paroles, non par tact politique, mais par décence humaine. Et si vous ne le faites pas, alors sachez qu’il restera toujours des voix, rabbiniques, laïques, citoyennes, pour rappeler que la parole, en démocratie, peut tuer. Et que face à l’histoire, nul ministre ne saurait plaider l’ignorance.

Recevez, Monsieur le Ministre, l’expression de ma profonde indignation et de mon impérieux devoir de mémoire.

Harold Avraham Weill, Grand-rabbin de Strasbourg et du Bas-Rhin, ancien rabbin de Toulouse

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