Voici quelques années, à la fin d’un cours, un jeune homme vint trouver le rav Yosséfi, un célèbre conférencier de Bené Braq, et lui demanda :
« Rav, accepteriez-vous de m’accompagner à l’extérieur pour parler avec un ami et essayer de le ramener dans le droit chemin ? »
Bien entendu, le rav donna son accord et suivit son interlocuteur jusqu’à une voiture de sport dernier cri, stationnée non loin, le volume du poste-radio poussé aussi fort que celui d’une discothèque. Nullement impressionné par le vacarme, le rav prit place à côté du chauffeur qui baissa le son de la musique et lui dit avec un sourire ironique :
« Mon copain veut que je revienne dans le droit chemin… Eh bien, je suis prêt à le faire, si vous me prouvez que D’ existe… !
– Tu connais Moché rabbénou ? demanda le rav, le plus naturellement du monde.
– Oui…, répondit le jeune, un peu étonné par la question.
– Sais-tu qu’il a grandi dans le palais de pharaon, adopté par sa fille ?
– Oui, je sais.
– As-tu entendu que, même quand il était un jeune prince en Egypte, il n’a pas oublié son peuple, ses frères hébreux asservis. Qu’il quittait le palais pour aller les voir et tenter de les aider…
– Oui, oui, je sais tout ça…, répondit le jeune qui commençait à s’impatienter.
– Et te souviens-tu du fait que Moché vit un jour un contremaître égyptien frapper un Juif, et qu’il le tua, pour sauver son frère ?
– Ouais, ouais, je me souviens.
– Alors, tu sais aussi que Moché fut pris, qu’il passa par un jugement rapide, et fut condamné à mort. Le bourreau arriva avec son épée, la leva et abaissa sa main. Alors il arriva un miracle: le cou de Moché devint de marbre, l’épée rebondit, et provoqua la mort du bourreau ! A la suite de quoi, Moché prit la fuite… C’est fantastique, non ? »
Le jeune jeta un regard moqueur sur le rav, et lui dit :
« Rav, à dire vrai, je ne pense pas que vous croyiez vraiment à cette histoire… Pensez-vous qu’elle a réellement eu lieu ? »
Le rav s’écria : « Bien sûr que c’est vrai ! C’est la pure vérité ! D’ a fait un miracle en faveur de Moché, un miracle extraordinaire… Penses-y ! »
Puis ils en restèrent là et se quittèrent. Le jeune était déçu : la réputation du rav l’avait devancé et il s’était attendu à de grandes explications philosophiques. Certainement pas à un discours aussi décevant… !
Deux ans plus tard, le rav Yosséfi terminait un exposé, lorsqu’il vit s’approcher le jeune homme qui lui avait demandé d’intervenir pour son ami…
« Bonjour, rav. Vous vous souvenez de moi ?
– Evidemment que je m’en souviens !
– Me croirez-vous si je vous dis que je viens vous demander conseil pour acheter un talith et des tefilines pour le jeune à qui vous avez parlé ?! Il est en train de faire Techouva !… » Le rav fut étonné : il avait pensé que leur rencontre n’avait pas eu grand effet…
« Que s’est-il passé ? » demanda-t-il.
Alors le jeune se mit à lui raconter la plus extraordinaire des histoires…
Voici deux ans, son ami avait pris la décision de partir au Japon pour tenter sa chance. Il voulait gagner beaucoup d’argent et revenir ensuite dans le pays. Il devint intermédiaire entre deux groupes de malfaiteurs, des Yakuzas, membres redoutables de la mafia japonaise, qui vivent selon des lois très strictes et fort différentes de celles du reste de la population…. Son rôle était de transférer de grandes sommes d’argent d’un groupe à l’autre. Une fois, il se vit confier une somme réellement énorme, et il lui vint une pensée extravagante : il était au Japon pour faire de l’argent, or il avait là, sous la main, une somme tellement grande que même en 20 ans de « travail », il ne parviendrait jamais à acquérir pareil trésor. Peut-être… Plutôt que de la transmettre à ces criminels, peut-être était-ce le moment de quitter le pays ?
A peine eut-il fait quelques pas dans une direction différente de celle qu’il devait suivre, que des individus l’attrapèrent, lui couvrirent les yeux, lui attachèrent les mains et le jetèrent dans une voiture …
Inutile de dire à quel point le jeune homme était terrifié. Il fut amené dans un souterrain, et fut jeté pieds et poings liés sur le sol… Il entendit les japonais exprimer leur colère pour avoir failli perdre cette somme immense mise entre les mains de cet israélien. Un échange de propos virulents entre les dirigeants du groupe lui fit comprendre qu’il n’avait aucune chance de s’en sortir : il allait être exécuté !
Il fut pris de tremblements incontrôlables lorsqu’il entendit une lame – certainement celle d’une épée, comme celles qu’ils affectionnaient pour leurs tâches les plus sordides – racler le sol, juste à côté de lui. Il pouvait déjà imaginer l’un des tueurs lever l’arme au-dessus de sa tête et s’apprêter à l’abattre pour mettre fin à sa vie… Il pensa à sa famille, à ses amis, à la mort atroce qui l’attendait sans qu’il ne puisse rien faire pour se défendre. Il se rappela subitement de sa rencontre avec le rav de Bené Braq et de l’histoire de Moché…
« Maintenant, moi aussi, je me trouve avec la tête sous la lame du bourreau, se dit-il. Oh D’, si Tu existes, c’est le moment de le prouver… De grâce, si Tu es présent, sauve-moi comme Tu as sauvé Moché ! Je Te promets de changer ma conduite, de croire en Toi… »
A ce moment précis, la porte de la pièce s’ouvrit avec fracas, et une femme s’écria : « Arrêtez, arrêtez, ne le tuez pas ! Il a sauvé mon fils voici cinq ans, je vous en conjure, ne le tuez pas ! »
Cette révélation surprenante sema le trouble : la notion d’entre-aide et de gratitude au sein d’un même clan est en effet une chose fondamentale chez les Yakuzas. Après un court conciliabule, les criminels décidèrent de gracier le jeune juif, non sans le prévenir que s’il ne quittait pas le Japon immédiatement, sa fin serait irrémédiable.
Le jeune homme ne se le fit pas dire deux fois et retourna le jour-même en Israël. La première chose qu’il fit en arrivant fut de retrouver son ami, pour lui raconter le miracle extraordinaire qui lui était arrivé. Il voulait que son camarade lui procure un talith et des tefilines au plus tôt.
« Ce n’est pas un seul miracle auquel j’ai eu droit, lui révéla-t-il, il y en a eu plusieurs : je ne sais absolument pas qui était cette femme, je n’ai jamais sauvé son fils, et cela ne faisait pas cinq ans que j’étais au Japon, mais seulement deux… »
Le jeune revint à la pratique, et depuis lors, continue d’avancer dans le chemin de la Tora.
Ce qui n’est pas moins étrange dans cette histoire, c’est l’attitude du rav Yosséfi : tous ceux qui le connaissent savent parfaitement qu’il est un homme avec « les pieds sur terre », loin de toute mystique… L’histoire qu’il a racontée à ce jeune, celle de Moché rabbénou, semblait bien anodine et ne risquait apparemment pas de le ramener à la pratique. Pourtant, il fut révélé qu’elle détenait une part de prophétie et qu’elle fut à même d’éclairer ce jeune dans un moment ultime… Nul doute que cette histoire témoigne également de la grandeur du rav qui a été si bien inspiré !
Par Mordekhai Azoulay
Kountrass numéro 174