Pourquoi le Hamas demeure dominant à Gaza

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Près de deux ans après le déclenchement de la guerre lancée par Israël pour démanteler le Hamas à la suite des attaques du 7 octobre, le mouvement islamiste conserve les leviers essentiels du pouvoir dans la bande de Gaza. Malgré la destruction d’infrastructures, l’élimination de cadres de premier plan et un blocus persistant, il continue de gouverner des zones, de mener des opérations et de verser — au moins partiellement — des rémunérations à ses membres. Cette endurance n’a rien d’accidentel : elle tient à un ancrage sociopolitique ancien, à une adaptation militaire pragmatique et à des circuits financiers reconfigurés pour fonctionner dans l’extrême pénurie.

Pour le Dr Michael Milshtein, directeur du Forum d’études palestiniennes au Centre Moshe Dayan, le Hamas dépasse le simple cadre d’une milice ou d’un parti. Depuis deux décennies, il a patiemment maillé la société gazaouie par l’éducation, les œuvres caritatives, les mosquées, les clubs de jeunes et les associations de femmes. Cet écosystème social a nourri une base de soutien qui perdure, y compris après des pertes évaluées entre 25 000 et 27 000 membres, majoritairement issus de la branche armée. « Résilience » et « redondance » structurent son ADN organisationnel : pour chaque cadre tombé, un réseau de remplaçants et de sympathisants se met en place.

Ce diagnostic recoupe celui d’Ihsan Ataya, haut responsable du Jihad islamique palestinien, qui insiste sur la combinaison d’un engagement idéologique et d’une mécanique interne disciplinée. Selon lui, le Hamas a maintenu un ordre minimal, même sous bombardements et pénuries, en s’appuyant sur un appareil de sécurité resserré et des procédures opératoires strictes.

Sur le plan militaire, la mue est nette. Exit les bataillons visibles des précédents cycles de confrontation : depuis la mi-2024, le Hamas privilégie une doctrine d’usure, avec des cellules réduites — trois à sept combattants — spécialisées dans l’embuscade urbaine, le piégeage d’axes et des frappes opportunistes. Cette micro-structuration vise à survivre à la supériorité aérienne et aux incursions terrestres israéliennes, tout en conservant une capacité de nuisance diffuse. Les commandants de terrain, bien que traqués, continuent d’orienter des actions coordonnées, signe qu’un minimum de communication tactique subsiste. La permanence du réseau souterrain — tunnels de liaison, caches, dépôts — reste le socle de cette agilité : il permet mouvements, acheminement d’armes et circulation de cadres malgré les frappes.

La dimension financière a, elle aussi, été réinventée. Les salaires en espèces ont chuté ; une partie des « paies » est désormais distribuée en nature : colis alimentaires, eau, fournitures. Des témoignages rapportent des mécanismes de substitution : taxation de commerçants, revente de produits de base (dont les cigarettes) à prix élevés, et détournements d’aide humanitaire. Une enquête de la BBC a avancé que le Hamas aurait stocké plus de 700 millions de dollars en liquide avant le 7 octobre, fonds encore écoulés discrètement — des rencontres brèves, parfois autour d’un thé, pour remettre des enveloppes couvrant environ 20 % des salaires d’avant-guerre, soit près de 1 000 shekels toutes les dix semaines. L’objectif n’est pas de garantir un niveau de vie, mais de maintenir la loyauté et la fonctionnalité des réseaux.
Malgré le resserrement israélien, notamment sur l’axe Philadelphie à la frontière égyptienne, les flux ne sont pas totalement taris. Drones, filières de contrebande via des réseaux bédouins, canaux détournés autour de Rafah : les pratiques évoluent pour contourner les barrières. La coordination entre la direction intérieure et le bureau politique en exil, parfois présentée comme fracturée, apparaît en réalité plus étroite qu’il n’y paraît, notamment pour le financement et les arbitrages stratégiques. Des figures comme Zaher Jabarin (Istanbul) et Mohammad Darwish (Doha) sont souvent citées pour leur rôle dans la collecte de fonds auprès de soutiens étatiques, dont la Turquie, le Qatar et l’Iran, et dans leur acheminement vers Gaza.

Cette architecture — maillage social, guérilla de proximité, trésorerie de survie — alimente une stratégie à long terme : l’érosion du camp adverse. L’objectif déclaré est d’augmenter le coût militaire, économique et politique pour Israël jusqu’au point où la poursuite de la guerre deviendrait insoutenable. En l’absence d’horizon politique crédible et de percées dans les discussions de cessez-le-feu, cette « guerre d’usure » est perçue par les dirigeants du mouvement comme l’unique voie viable pour conserver leviers et visibilité.

Reste un paradoxe : le Hamas est affaibli, mais debout. Sa force ne réside pas tant dans des victoires spectaculaires que dans sa capacité à absorber les chocs, à remplacer ses pertes, à rester inséré dans le quotidien des habitants — par des services, une idéologie mobilisatrice et une logistique souterraine. Tant que ces trois piliers tiendront, il demeurera un acteur incontournable à Gaza, capable de gouverner des portions du territoire, de combattre par à-coups et d’entretenir ses réseaux, malgré des contraintes que beaucoup jugeraient ingouvernables.

Jforum.fr

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