Quand la neutralité est immorale : Israël, le Hamas et le problème de l’équivalence morale

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Par André Villeneuve – Gatestone

Il est de notoriété publique que Tsahal a recours à des tracts, à des SMS et même à des appels téléphoniques pour informer les civils palestiniens qu’ils doivent évacuer les zones qui vont faire l’objet de frappes militaires. Tsahal fait tout son possible pour minimiser les pertes civiles, pendant que le Hamas et d’autres groupes terroristes palestiniens font tout leur possible pour les maximiser – non seulement en assassinant sans discernement des Israéliens, mais aussi en se dissimulant au sein de leur propre population civile et en les utilisant comme boucliers humains. Photo : un Palestinien montre un tract largué par l’armée israélienne sur Gaza-city, le 5 novembre 2023. (Photo de Bashar Taleb/AFP via Getty Images)

7 octobre 2023 : ce jour restera marqué du sceau de l’infamie. Il est le Pearl Harbor d’Israël, son 11 septembre. Le tranquille matin de Chabbath de Sim’hath Tora, qui termine Souccoth, la fête juive des Cabanes, a soudain tourné au bain de sang. Sous couvert d’un tir nourri de roquettes, des milliers de terroristes du Hamas ont attaqué les communautés du sud d’Israël se livrant à un authentique carnage et à une dévastation sans nom, tendant des embuscades aux bases militaires et aux automobilistes, assassinant quelque 364 participants d’un festival de musique, massacrant des familles dans leurs lits, violant des femmes, exécutant des enfants et des survivants de la Shoah, brûlant vifs des civils et kidnappant 244 Israéliens vers Gaza. Avec au moins 1 200 personnes assassinées, ce jour s’est avéré être le plus meurtrier pour les Juifs depuis la Shoah. L’attaque du Hamas a été si barbare que le monde – pour un instant au moins – est brutalement ​​​​sorti de son apathie et est demeuré hébété devant l’horreur.

L’indignation fut cependant de courte durée. A peine la riposte militaire d’Israël a-t-elle pris son essor que des manifestations propalestiniennes ont éclaté à travers le monde, la plupart se transformant en authentiques marches de haine anti-israélienne et anti-juive. En dépit des nombreux témoignages oculaires de survivants, certains ont nié l’existence même du massacre du 7 octobre.

Les réactions catholiques au massacre d’abord, puis à la guerre ont été mitigées, allant d’une courageuse clarté morale à une ambiguïté discutable sans parler de l’ahurissant silence de quelques-uns. Certains ont soutenu le droit d’Israël à se défendre, mais d’autres ont opté pour une attitude neutre, estimant qu’il était charitable et même « chrétien » de ne pas prendre parti et de condamner les pertes en vies humaines des deux côtés. Cette posture d’équivalence morale a pour conséquence de répartir équitablement le blâme entre les belligérants et de leur attribuer une égale responsabilité morale pour les conséquences des actes qu’ils peuvent commettre. Intellectuellement, la voie est facile. Mais est-elle moralement juste ?

Les Patriarches et chefs des Églises de Jérusalem optent systématiquement pour l’équivalence morale. Leurs réactions à la crise, et les réponses de l’ambassade israélienne auprès du Saint-Siège, illustrent les problèmes liés à cette position.

Le matin du 7 octobre, alors que le massacre du Hamas n’était pas encore achevé, le Patriarcat latin de Jérusalem s’est empressé de rédiger un véritable concentré d’équivalence morale. Au lieu de condamner sans équivoque le massacre, le Patriarcat a, dans un communiqué, affirmé que le « cycle de violence qui a tué de nombreux Palestiniens et Israéliens au cours des derniers mois a explosé ce matin ». La déclaration restait dans le flou en évoquant une « explosion soudaine de violence », et mettait sur le même plan « l’opération lancée depuis Gaza et la réaction de l’armée israélienne » – comme si les deux parties étaient également fautives. Les « nombreuses victimes et tragédies » qui mettent en deuil « les familles palestiniennes et israéliennes » vont « créer davantage de haine et de division » poursuivait le communiqué et « détruiront toujours davantage la moindre perspective de stabilité ».

Le même après-midi, l’ambassade d’Israël auprès du Saint-Siège a publié une première déclaration qui sonnait comme une réponse au Patriarcat, bien qu’elle ne lui soit pas directement adressée. L’ambassade a, considérant l’ampleur du massacre perpétré par le Hamas, fermement « déploré les ambiguïtés linguistiques et l’usage de termes suggérant une fausse symétrie ». La réponse d’Israël au « crime de guerre hideux » du Hamas était une légitime défense, et « établir des parallèles là où il n’y en a pas n’est pas du pragmatisme diplomatique, c’est juste un mensonge ».

Les Patriarches et chefs des Églises de Jérusalem ne se sont pas laissé décourager. Le lendemain, ils ont publié une « Déclaration sur la paix et la justice dans un contexte de violence ». Cette deuxième déclaration, tout aussi ambiguë au plan moral, ne disait rien des meurtres du Hamas et déplorait en termes plus que vagues que la Terre Sainte soit « actuellement embourbée dans la violence et la souffrance en raison d’un conflit politique prolongé et de l’absence lamentable de justice et de respect des droits de l’homme ».

Bien entendu, les Patriarches et chefs d’Églises ont « condamné sans équivoque le ciblage des civils », mais ils ont surtout suggéré à Israël de ne pas s’appesantir sur ses milliers de morts, blessés, violés et kidnappés et de privilégier plutôt « la fin des violences et autres activités militaires qui portent préjudice aux civils palestiniens et israéliens. » Autrement dit, Israël se voyait recommander d’encaisser le poids des attaques barbares et de laisser littéralement le Hamas s’en tirer à bon compte en interrompant immédiatement sa réponse militaire. Peu importe que le Hamas ait envahi unilatéralement et brutalement Israël, commettant des crimes sans précédent contre une population civile sans méfiance.

Le 9 octobre, l’ambassade d’Israël auprès du Saint-Siège a, à nouveau, jugé « immoral de recourir à une ambiguïté linguistique » compte tenu de l’ampleur du massacre, et qu’il était clair désormais que des familles entières avaient été « exécutées de sang-froid » par le Hamas et le Jihad islamique. De nombreuses personnes dans le monde ont eu l’intégrité de condamner « ce crime horrible, en nommant ses auteurs et en reconnaissant à Israël le droit fondamental de riposter à ces atrocités », mais les Patriarches et chefs d’Églises se sont montrés incapables d’une telle clarté morale. L’ambassade israélienne a jugé « extrêmement décevante et frustrante » une déclaration construite sur une « ambiguïté linguistique immorale » qui brouille les lignes « entre les agresseurs et les victimes ». L’ambassade a jugé « particulièrement incroyable qu’un document aussi stérile ait été signé par des représentants du culte ».

Le 11 octobre, le pape François a reconnu un peu plus franchement que « les personnes attaquées sont en droit de se défendre », mais il a ajouté qu’il demeurait « très préoccupé par le siège total de Gaza où vivent de nombreuses victimes innocentes. »

Le 12 octobre, les Patriarches et chefs d’Églises ont consolidé leur position d’équivalence morale. Dans une « Déclaration sur l’escalade de la crise humanitaire à Gaza », ils ont déploré que leur « Terre Sainte bien-aimée » ait « radicalement changé » en raison d’un « nouveau cycle de violence avec une attaque injustifiable contre tous les civils ». Curieusement, ces chefs religieux ont surtout déploré « la mort et la destruction à Gaza » et la « catastrophe humanitaire désastreuse » dans laquelle a été plongée la population gazaouie « privée d’électricité, d’eau, de carburant, de nourriture et de médicaments ». Une fois de plus, les dirigeants de l’Église ont appelé à la fin des combats.

L’ambassadeur israélien auprès du Saint-Siège, Raphael Schutz, s’est déclaré « troublé » et a longuement passé en revue les événements.

« Ce qui s’est réellement passé » a-t-il rappelé, « c’est que le « cercle de violence » (expression typique de fausse symétrie) a commencé par une attaque criminelle non provoquée du Hamas et du Jihad islamique (les Patriarches se sont abstenus de mentionner leurs noms) qui ont assassiné plus de 1 200 Israéliens et des représentants de 35 autres nationalités, pour la plupart des civils. Ils ont également violé des femmes, brûlé des bébés, décapité des gens et pris des otages. Simultanément, ils ont lancé des attaques de missiles et de roquettes à grande portée contre des centres de population civile en Israël – des villes, des villages, des kibboutzim. »

L’ambassadeur a ajouté que « l’action d’Israël est de l’autodéfense et que cette autodéfense vise le Hamas et le Jihad islamique. Israël ne cible pas intentionnellement les civils ».

Il est notoire que Tsahal recoure à des tracts, des SMS et même à des appels téléphoniques pour demander aux civils palestiniens d’évacuer les zones qui vont faire l’objet de frappes militaires. Tsahal fait tout son possible pour minimiser les pertes civiles, alors que le Hamas et d’autres groupes terroristes palestiniens font tout au contraire pour les maximiser – non seulement en assassinant sans discernement des Israéliens, mais en se cachant au sein de cette population civile transformée en bouclier humain. Le nombre disproportionné de victimes palestiniennes découle directement des pratiques du Hamas. Dans cette optique, a poursuivi l’ambassadeur israélien, la déclaration des Patriarches ne peut être considérée que comme « injuste, partiale et partisane ».

Quant à « la mort et la destruction à Gaza », les Patriarches semblaient oublier que « Gaza est la base à partir de laquelle l’attaque génocidaire contre Israël a été conçue, planifiée et exécutée ». Qui est responsable de « la mort et de la destruction » ? Pourquoi les Patriarches sont-ils si préoccupés par « le bien-être de ce nid du mal et de la terreur », s’est demandé l’ambassadeur et si peu par les communautés israéliennes dévastées ?

De plus, les derniers sondages révèlent qu’au sein de l’opinion publique palestinienne, une majorité soutient la « lutte armée » (terrorisme) du Hamas contre Israël et la formation de groupes armés qui se donnent pour but d’assassiner des Israéliens, une triste réalité qui jette le doute sur l’innocence des « Palestiniens ordinaires » à Gaza.

Concernant la situation humanitaire, l’Ambassadeur a répondu :

« Les niveaux de nourriture et d’eau sont surveillés quotidiennement et sont supérieurs au seuil définissant une « crise humanitaire ». Il y a également suffisamment de carburant et d’électricité entre les mains du Hamas, mais ils préfèrent les utiliser pour leurs activités terroristes criminelles contre Israël plutôt que de pourvoir aux besoins de la population qu’ils ont assujettie ».

Il s’avère qu’il y a encore beaucoup d’eau, de nourriture, de carburant et de médicaments à Gaza.

Enfin, l’ambassadeur israélien a noté que les Patriarches ont pointé du doigt un seul camp : Israël, en formulant des exigences déraisonnables envers « la partie qui a été vicieusement attaquée ». Le Hamas n’est jamais mentionné au point qu’on a le sentiment que les Palestiniens n’ont rien fait de mal. Il a conclu : « Quelle honte, surtout quand cela vient de représentants du culte ».

Les arguments de Schutz sont malheureusement, tombés une fois de plus dans l’oreille d’un sourd. Le 24 octobre, le Patriarche latin de Jérusalem, le cardinal Pierbattista Pizzaballa, a publié une « Lettre à tout le diocèse ». Le cardinal a – c’est tout à son honneur – brièvement déclaré (sans toutefois nommer les auteurs) que « ce qui s’est produit le 7 octobre dans le sud d’Israël n’est en aucun cas permis, et nous ne pouvons que le condamner. Rien ne justifie une telle atrocité ».

Mais très vite, Pizzaballa s’est empressé de condamner les pertes en vies humaines et les souffrances que « ce nouveau cycle de violence allait apporter à Gaza ». Les « bombardements intensifs et continus » sur Gaza « causeront davantage de morts et de destructions et ne feront qu’augmenter la haine et le ressentiment » a-t-il expliqué. Pour le patriarche, « des décennies d’occupation et leurs tragiques conséquences doivent prendre fin ; ce n’est qu’en donnant une perspective nationale claire et sûre au peuple palestinien qu’un processus de paix sérieux pourra commencer ».

Et voilà ! Pour le patriarche, la racine de la guerre actuelle n’est pas le massacre aveugle par le Hamas de centaines de familles, dont des femmes, des enfants et des personnes âgées, mais « l’occupation ».

Si l’on met de côté l’injustice flagrante de ces déclarations, on ne peut que s’interroger : quelle solution exactement les Patriarches et chefs d’Églises ont-ils en tête ? A l’évidence, leurs déclarations soulèvent plusieurs questions.

Primo, si « l’occupation » est le problème, qui occupe Gaza depuis 18 ans ?

Israël a évacué unilatéralement tous les colons juifs de la bande de Gaza en 2005, remettant le territoire – intégralement et sans condition – aux Palestiniens dans l’espoir qu’en se gouvernant eux-mêmes, ils pourraient enfin avoir envie de vivre en paix avec leurs voisins. Plusieurs millionnaires américains ont même dépensé 14 millions de dollars pour acheter 3 000 serres dont ils ont fait cadeau aux Gazaouis pour leur donner un bon départ dans la construction d’un « Singapour sur Méditerranée ». En quelques jours, les serres furent pillées et détruites.

Malheureusement pour eux et pour tout le monde, les Palestiniens, ont donné une majorité parlementaire au Hamas lors des élections législatives de 2006. Après une guerre civile sanglante avec le Fatah, son rival palestinien, en juin 2007, le Hamas a pris le contrôle de la totalité de la bande de Gaza. Depuis, les civils israéliens du sud d’Israël, – mais aussi les Palestiniens de Gaza -, vivent dans la terreurUne vidéo récente montre une Gazaouie disant : « Ces salopards du Hamas… », avant qu’un homme ne lui mette rapidement la main sur la bouche. Pendant ce temps, Israël, qui a à peu près la taille du New Jersey (22 000 km2), est la cible année après année de dizaines de milliers d’attaques meurtrières à la roquette lancées depuis la bande de Gaza. S’il y a un problème « d’occupation » à Gaza, l’occupant est le Hamas et non Israël.

Secundo, que devrait faire Israël ? Doit-il faire l’impasse sur ses 1 200 morts, ses 4 800 blessés, et ses plus de 240 kidnappés, accepter un cessez-le-feu immédiat et reprendre ses activités comme d’habitude, c’est-à-dire se préparer aux prochaines attaques du Hamas ? Doit-il s’asseoir à la table des négociations et discuter avec un ennemi djihadiste qui a juré de l’anéantir ? Ou devrait-il ouvrir la frontière de Gaza, donner aux Palestiniens la liberté d’entrer en Israël et les laisser aller et venir à leur guise afin qu’ils puissent mettre en œuvre leur projet affiché de répéter les attaques du 7 octobre ?

Tertio, pourquoi les Patriarches et les chefs d’Églises se focalisent-ils sur « l’occupation » tout en ignorant systématiquement l’incitation terrifiante à la violence au sein d’une société palestinienne où les enfants apprennent dès leur plus jeune âge à haïr et à tuer les Juifs, et où les terroristes qui agissent ainsi sont glorifiés et salués comme des « martyrs » ?

Les Patriarches et chefs d’Églises pourraient expliquer qu’ils ne peuvent condamner ouvertement le Hamas et les autres groupes djihadistes palestiniens sans mettre en danger les chrétiens palestiniens qui vivent parmi eux. Bien vu ! Mais cela n’excuse pas la falsification du récit au moyen d’une équivalence morale douteuse, ni le fait de placer Israël en position de coupable. Les déclarations de ces dirigeants ont du poids. Ils influencent les autres.

Les Patriarches et chefs d’Églises n’ont pas fait preuve d’un grand leadership et ont échoué à apporter un peu de clarté morale dans leur réponse au terrorisme du Hamas – pas seulement aujourd’hui, mais aussi pendant toutes ces années ou les roquettes ont visé sans relâche les civils israéliens. Une attitude neutre peut sembler opportune aujourd’hui, mais ces dirigeants propagent de faux récits et induisent en erreur tous ceux qui croient en eux.

Les dirigeants chrétiens en Israël et dans d’autres pays doivent soigneusement peser leurs déclarations en raison de la situation précaire des chrétiens palestiniens. Mais les dirigeants chrétiens d’autres pays n’ont pas une telle excuse. Quand ceux-ci adoptent une posture d’équivalence morale à l’égard du conflit Israël-Hamas, ils ne font pas seulement preuve de paresse intellectuelle ; ils sont immoraux. Même si les pertes palestiniennes sont tragiques, elles sont la conséquence inévitable de leur choix politique d’élire et de maintenir au pouvoir un groupe terroriste génocidaire qui a juré de mener une guerre perpétuelle avec Israël.

Tous, nous ferions bien de nous souvenir des paroles d’Elie Wiesel, survivant de l’Holocauste :

« Il faut toujours prendre parti. La neutralité aide l’oppresseur, jamais la victime. Le silence encourage le bourreau, jamais le tourmenté. »

Dans cette guerre, les chrétiens – et nous tous – avons la responsabilité morale de soutenir la lutte d’une nation civilisée contre la barbarie. Israël doit éradiquer un groupe terroriste, le Hamas, tout comme nous avons affronté l’Etat islamique. Ensuite, nous devons tous contenir le véritable cerveau derrière ces groupes, le régime génocidaire iranien. Malheureusement, il n’existe pas d’autre solution viable si l’on souhaite préserver l’Occident.

André Villeneuve est professeur agrégé d’Ancien Testament et de langues bibliques au Grand Séminaire du Sacré-Cœur de Détroit, Michigan. Il est l’auteur de « Le Mariage divin de l’Éden à la fin des jours » (2021), et le fondateur et directeur de Catholiques pour Israël.

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