Quand « Le Monde » change de cap

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La chronique de Michèle MAZEL – Temps et Contretemps

«Pour une majorité d’États arabes, la guerre avec Israël, motivée par l’affaire palestinienne, c’est terminé». Cette surprenante conclusion, c’est au Monde qu’elle est due. Dans un éditorial du 11 mars, le journaliste Alain Frachon (notre photo) développe une thèse à l’opposé de la ligne habituelle du quotidien. Pour ce faire il cite deux spécialistes du Moyen Orient ; le chroniqueur Guy Sitbon qui déclarait au moment de la signature des Accords d’Abraham en septembre 2020 : «Personne ne l’annonce, mais la guerre est finie» et Gilles Kepel qui écrivait à la même époque que ces accords «enterrent le conflit israélo-arabe comme facteur structurant le Moyen-Orient».

Pour Alain Frachon, c’est le résultat de plusieurs facteurs : «Fin de la guerre froide ; échec du nationalisme arabe ; moindre importance du pétrole moyen-oriental ; coupable complaisance américaine et européenne pour la colonisation israélienne ; division du mouvement national palestinien ; explosion du radicalisme djihadiste». Ce qui est proprement stupéfiant dans cette analyse, c’est qu’Israël n’y est montré du doigt que de la façon la plus indirecte, le blâme étant dirigé contre l’Occident qui n’aurait pas cherché à freiner ses activités.

Un argument valable pour l’Amérique mais nettement moins pour l’Union européenne, toujours prête à condamner Israël et qu’on pourrait accuser à plus juste titre de faire preuve d’une coupable complaisance à l’égard du Hamas, qui ne cache pas sa volonté de détruire son voisin juif, et de l’Autorité palestinienne qui assure une rente à vie aux terroristes qui assassinent des civils israéliens.

Toutefois c’est à un autre facteur que Frachon va consacrer l’essentiel de son argumentation : «L’expansionnisme iranien dans le monde arabe». Un expansionnisme que l’éditorialiste du Monde décrit comme «durable et prédateur exercé par un pays aux desseins nucléaires pour le moins ambigus, est aujourd’hui vécu… comme une menace quasi existentielle pour les régimes en place». Bref, «l’impérialisme perse a déclassé la question palestinienne et a fait naître l’alliance israélo-arabe».

Rien de nouveau ? Des constations de bon sens ? Peut-être. Mais venant d’un journal qui consacre des dizaines d’articles à la question palestinienne pour un seul sur le danger iranien ; qui s’étend plus longuement sur les violations réelles ou imaginaires des droits de l’homme perpétrées par l’État hébreu que sur la barbarie des Ayatollahs, la condition de la femme, les exécutions sommaires et le cynique trafic d’otages en Iran, c’est à la limite de l’incompréhensible.  Comme si le quotidien se réveillait d’une longue période d’hibernation et découvrait soudain une réalité inattendue.

Assistons-nous à une prise de conscience tardive du fait que dans la partie d’échecs qui se joue aujourd’hui au Moyen-Orient, ce n’est pas d’Israël que vient le danger ? Ce qui se dessine aussi en filigrane, c’est le déclin de l’influence des pays de l’Union européenne dans la région. Ils avaient fait de la défense aveugle des positions palestiniennes la clé de voûte de leur diplomatie, allant jusqu’à exprimer des réserves sur le processus de normalisation entre Israël et les pays du Golfe ; ils sont maintenant à la recherche d’une nouvelle stratégie. Sera-t-elle plus équilibrée ? On voudrait l’espérer. Peut-on aussi se prendre à espérer à une plus grande objectivité de la part du Monde ? Sans doute pas.

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