Par Albert NACCACHE
Les accords d’Abraham – du nom du patriarche des trois religions monothéistes -, sont deux traités de paix entre Israël et les Émirats arabes unis d’une part et entre Israël et Bahreïn d’autre part. Ils sont signés le 15 septembre 2020 à la Maison-Blanche à Washington. Ils ont été suivis en octobre 2020 par l’annonce d’un accord de normalisation des relations diplomatiques entre Israël et le Soudan puis en décembre par l’annonce d’un accord de normalisation entre Israël et le Maroc.
Un an plus tard, cet accord s’est transformé en solide partenariat stratégique se traduisant par de nouveaux liens politiques économiques et humains avec de nombreux pays arabes. Pourtant ces accords furent mal accueillis. «Pendant deux semaines, les journalistes qui avaient parlé du rapprochement EAU – Israël avaient évité le mot « paix » et insisté sur le fait que l’Autorité palestinienne et le Hamas y étaient opposés. J’ai cherché en vain des articles dans les grands médias français. La paix EAU-Israël, connais pas ! J’ai alors regardé CNN et Fox. À nouveau, rien. Mohamed Bin Zayed des EAU est inconnu des journalistes et qu’il soit à la tête de la seconde économie arabe importe peu. Netanyahou, lui, par définition, est un méchant. Que dire de Trump ? Obama a reçu le Prix Nobel de la Paix pour n’avoir fait aucune paix. Trump se permet de provoquer le rapprochement entre un État arabe et Israël. Comme il est difficile de blâmer le Président pour un progrès vers la paix, la solution est de traiter ce progrès par le silence» par Julien Bauer, Professeur de Science Politique, UQAM.
Naplouse, 15 septembre 2020. — Manifestation contre les décisions des Émirats arabes unis et de Bahreïn de normaliser leurs relations avec Israël. «L’histoire ne glorifiera que ceux qui sont fidèles à la Palestine et à sa cause», dit le texte de la banderole. La normalisation est «un crime» pour les Palestiniens, «une dangereuse supercherie pour l’AFPS, une «trahison» pour Cyrille Louis du Figaro et pour Sara Daniel du NouvelObs tandis que Nour-Eddine Boukrouh d’Oumma.com intitule son article «Accord israélo-émirati : Abraham et Judas».
Notre photo : Des manifestants rassemblés à Gaza devant un bâtiment de l’Unesco le 15 septembre 2020 pour dénoncer les accords de normalisation.
Le nouveau paradigme
La dynamique des Accords d’Abraham révèle leur dimension historique. La menace régionale partagée de l’Iran était, et reste, le motif principal des accords d’Abraham qui représentent un développement stratégique important au niveau régional : Israël a maintenant des alliés militaires locaux face à l’Iran. Les pays du monde arabe sunnite étant menacés par le régime des mollahs au même titre qu’Israël. Avec la construction d’un front de défense anti-iranien, ils permettront aux Émirats et à Bahreïn de bénéficier des technologies israéliennes et de renforcer leur défense face à l’Iran. De plus, Israël, l’Arabie saoudite, Bahreïn et les Émirats arabes unis négocient depuis plusieurs mois la création d’une alliance sécuritaire sur le modèle de l’OTAN face à leur ennemi commun : l’Iran.
– Un nouveau monde arabe
Le vieux monde arabe» a cessé d’exister et à la place nous avons deux camps hostiles voire ennemis. Il y a le camp autour de l’Iran : l’Irak, la Syrie, le Liban, le Yémen, le Qatar et Gaza, avec le soutien extérieur de la Turquie, de la Russie et de la Chine. L’autre camp autour de l’Arabie saoudite : les Émirats arabes unis, Bahreïn, l’Égypte, la Jordanie, le Maroc, le Soudan et Israël ; les États-Unis le soutenant de l’extérieur.
– Israël assoit un peu plus sa légitimité dans l’ordre régional du Proche-Orient. Plusieurs États de la région (Égypte, Jordanie, Oman) ont approuvé la déclaration conjointe. Cet accord a réchauffé la paix «froide» avec l’Égypte.
– les Accords d’Abraham réconcilient Juifs et Arabes qui réapprennent à vivre ensemble. Les synergies développées reposent sur de forts liens humains qui ne cessent de se renforcer ces derniers mois. Tourisme, restaurants casher et échanges étudiants… Ainsi Dubaï ouvre le 24 juin 2021 la première exposition sur l’Holocauste dans le monde arabe.
Pour les universitaires de l’Atlantic Council, de l’Emirates Policy Center et de l’Institute for National Security Studies, trois moteurs puissants renforcent les relations interpersonnelles : le dialogue religieux, les sports, l’enseignement supérieur et la recherche. Les éléments d’affinité culturelle entre les pays, sont une dimension qui est beaucoup moins susceptible de transformation brutale et ils peuvent servir de moyens de stabilisation des relations bilatérales face à des défis imprévus, des changements dans la dynamique régionale ou des changements de leadership.
– Les accords sont fondés sur un principe simple : la paix contre la paix, le respect contre le respect, l’économie contre l’économie.
– Les accords ont brisé le paradigme selon lequel il faudrait d’abord résoudre le conflit israélo-palestinien avant d’avancer vers une paix israélo-arabe.
– Pour la 1ère fois depuis 1948, la Ligue arabe, convoquée le 10 septembre 2020 à la demande des Palestiniens, refuse de condamner l’accord de Paix
Selon Ahmed Aboul Gheit secrétaire de la Ligue arabe : «Les pays arabes ne peuvent pas et ne veulent pas condamner la normalisation des relations avec Israël, car un certain changement dans leur vision du monde est apparu». Et très important, la dernière guerre entre Israéliens et Palestiniens de la bande de Gaza n’a eu aucune répercussion sur la dynamique de l’accord.
EAU
Les accords d’Abraham conduisent aussi à des investissements et des échanges commerciaux entre Israël et ses nouveaux partenaires qui se chiffreront en milliards de dollars. «Le processus de normalisation entre les Émirats et Israël avance à toute vitesse, et il est unique en son genre», assure Husseïn Ibish, chercheur à l’Arab Gulf States Institute de Washington. Les programmes concrets se sont multipliés dans de nombreux domaines : tourisme, aviation, technologies, finance, football, médias.
En juin 2021 Yair Lapid a signé des accords-cadres de coopération économique entre les deux pays avec son homologue des Émirats arabes unis, des accords qui renforcent les accords économiques précédents et qui faciliteront la poursuite de la coopération.
La trentaine de vols hebdomadaires entre Tel-Aviv et Dubaï suscitent une véritable ruée vers la principauté, plaque tournante du tourisme et du commerce planétaire. Environ 200.000 Israéliens se sont rendus aux Émirats depuis l’accord et 40 sociétés israéliennes se sont installées dans les zones franches de la fédération.
Maroc
Le Maroc et Israël ont signé, en juillet 2021 à Rabat, trois accords de coopération dans les domaines politique, aérien et culturel. Les universités israéliennes et marocaines unissent leurs forces pour une collaboration sur le développement durable. Le projet commun, l’un des premiers annoncés entre les deux pays, portera sur l’agriculture, l’eau, l’énergie et la restauration écologique ; pourrait avoir un impact majeur sur les populations au niveau local et régional, selon le directeur de l’Université Mohammed VI Polytechnique. Création de la Chambre de commerce et d’industrie Maroco-israélienne. Annoncée début 2021, cette nouvelle chambre voit le jour après l’obtention de toutes les autorisations requises.
Le ministre des Affaires étrangères Yaïr Lapid et le ministre marocain des Affaires étrangères Nasser Bourita ont signé trois accords-cadres à Rabat, le 11 août 2021, et ont convenu d’ouvrir des ambassades.
Depuis le 25 juillet 2021, date de l’inauguration des deux premiers vols directs entre Israël et le Maroc, plus de 1.200 touristes israéliens sont passés par Marrakech. Pour passer à la vitesse supérieure, les acteurs touristiques cherchent à «cachériser» la destination Maroc. Le Maroc accueille déjà chaque année plus de 50.000 Israéliens.