Sur les traces de l’argent français du Hamas

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Des groupes pro-palestiniens installés dans l’Hexagone sont soupçonnés par le Trésor américain d’apporter un soutien financier au groupe islamiste.

Sur la façade d’un immeuble imposant de La Courneuve, deux mains serrées qui forment un cœur, rouge sur fond vert, la couleur de l’islam. Le logo d’Humani’Terre, une association pour l’aide aux Palestiniens de Gaza. Sur le site Internet, un message d’alerte informe que les projets et les collectes de fonds sont suspendus et s’émeut « de multiples obstacles bancaires et administratifs », conséquences d’« événements récents ». Traduire : la guerre à Gaza.

Mais ce mercredi 21 février, l’association a beau mettre en avant sa « transparence », l’hôtesse d’accueil à qui l’on s’adresse pour demander à rencontrer les dirigeants nous suggère de revenir le lendemain, « quand ils seront là ». Le lendemain, une autre hôtesse grimace, gênée. Le parking s’est vidé depuis la veille, et elle nous tend un Post-it avec une adresse mail et le nom du responsable : Boubaker El-Hadj Amor, imam de la Grande Mosquée de Poitiers et pilier des Musulmans de France, le groupe affilié aux Frères musulmans – qui ne se revendique que de son « courant de pensée ». Pas de chance. Nos messages nous reviennent avec la mention « adresse inconnue ». Au téléphone, la même voix se dira désolée, mais elle ne peut nous passer la personne en charge du site Internet, qui « s’est absentée » et ne nous rappellera pas. Bienvenue dans « Le château » de Kafka version casbah.
En 2003, quand Humani’Terre s’appelait Comité de bienfaisance et de secours aux Palestiniens (CBSP), le département du Trésor américain l’a accusé de dissimuler sous une « couverture humanitaire » un « financement du Hamas ». Selon les États-Unis, le CBSP fonctionnait en réseau avec trois associations installées en Europe, dont la plus connue, la Al-Aqsa Foundation en Allemagne. En 2003, le Hamas est qualifié d’« organisation terroriste » par l’Europe mais, en France, le CBSP échappe à cette désignation.
L’ONG brasse des millions avec le seul objectif d’aider les plus démunis et les orphelins de Gaza. « Tout le monde était dessus, se rappelle un ancien pilier de la DST, l’ancêtre de la DGSI, la Sécurité intérieure. Ils roulaient sur la ligne jaune, mais ne la franchissaient pas. » Ni la DGSE ni la DST ni Tracfin, le gendarme de la lutte contre le financement du terrorisme, ne trouvent matière à accuser l’association d’être une vitrine du Hamas. Elle échappe aux poursuites et fait condamner ceux qui véhiculent les allégations du Trésor américain.
« En théorie, ni les Israéliens ni les Américains ne font autorité en France, c’est essentiellement au niveau européen que cela se décide, explique l’avocat Olivier Attias, spécialiste des sanctions internationales au cabinet August Debouzy. Mais une désignation de l’Ofac (l’office de contrôle des actifs financiers étrangers aux États-Unis) est quand même toujours synonyme de grosses complications. »

Les banques françaises se montrent de plus en plus réticentes à accepter des clients ciblés par l’Ofac

Ce sont les banques qui vont éprouver l’association. D’abord le Crédit lyonnais lui claque la porte après avoir émis un signalement à l’agence Tracfin. Le Comité de bienfaisance et de secours aux Palestiniens se rabat sur la Banque postale, laquelle refuse à son tour des ordres de virement. Différend que l’association porte devant les tribunaux. Le CBSP, qui n’a toujours « rien à voir avec le Hamas », est alors défendu par Me Liliane Glock… l’avocate du Hamas !

À Nancy puis à Paris, l’affaire est finalement tranchée au profit de la banque. Son droit à considérer que les informations fournies pour effectuer des virements au Liban, en Jordanie et en Palestine par le biais de la Jordan Islamic Bank n’étaient pas assez étayées est reconnu. Les banques françaises se montrent alors de plus en plus réticentes à accepter des clients ciblés par l’Ofac. Pour l’avoir fait, BNP Paribas se voit infliger, en 2014, l’amende record de 9 milliards de dollars. « Si, pendant longtemps, les Européens ne tenaient pas vraiment compte des décisions de l’Ofac, la condamnation de BNP Paribas a tout changé, expose Olivier Attias. Depuis, aucune grande banque française n’accepte de traiter avec une société placée sous sanctions aux États-Unis. »

Déboires financiers

Après ses déboires avec la Banque postale, Humani’Terre – le nom a changé en 2018 – se tourne vers le Crédit coopératif. Elle en aurait été exclue en 2022, avec 35 millions d’euros sur les bras. Et l’impossibilité de les mettre au chaud sur un compte. Embarrassant…

Malgré nos efforts, les responsables de l’ONG n’ont pas voulu confirmer ni infirmer ces informations. Ni réagir sur le fait que, mi-février, un « scooter mobilité » – fauteuil roulant à trois roues, utile aux personnes handicapées ou blessées de Gaza – ait été retrouvé dans un des tunnels stratégiques du Hamas. « Il était dans la salle de commandement la plus sophistiquée de ce tunnel. Il a dû être utilisé pour transporter du matériel », commente Gilad Shalmor, le journaliste de Channel 12 qui a filmé l’engin poussiéreux, encore flanqué de son autocollant Humani’Terre. Nouvelle aussitôt relayée sur les réseaux, si bien que le « Jerusalem Post » s’est ému qu’une association condamnée par les Américains ait pignon sur rue en France, où elle « bénéficie de subventions publiques ».

Un réseau de soutien aux prisonniers palestiniens

Le National Bureau for Counter Terror Financing (NBCTF), un service du ministère israélien de la Défense, a publié la liste d’une vingtaine de groupes associatifs accusés de lever des fonds pour le Hamas. Trois seulement mènent des activités en France. Aux côtés ­d’Humani’Terre, on trouve Muslim Hands qui ne fait l’objet d’aucune sanction, ni en Europe ni aux États-Unis. Très implantée au Royaume-Uni, elle y a récolté plus de 33 millions de livres sterling de dons en 2022.

Sa filiale française revendique des actions dans une quarantaine de pays. Un troisième groupe, désigné par les Israéliens, s’appelle Samidoun. Se définissant comme un réseau de soutien aux prisonniers palestiniens, cette organisation s’appuie sur une vingtaine de partenaires dans le monde, dont le Collectif Palestine vaincra.

Samidoun sauvée par le gong du Conseil d’État

En 2022, ce groupe installé à Toulouse a échappé de peu à une dissolution. Un décret publié le 9 mars par le ministère de ­l’Intérieur l’accusait d’« incitation à la haine » et de « cautionne[r] les agissements d’organisations reconnues comme terroristes ». Saisi en urgence, le juge des référés du Conseil d’État a immédiatement suspendu cette décision et condamné l’État à lui payer 3 000 euros.

Le 7 octobre dernier, l’association sauvée par le gong du Conseil d’État s’est réjouie publiquement des attentats perpétrés par le Hamas, les saluant dans un communiqué comme « une démonstration de force des capacités de la résistance ». Pas un mot sur les victimes : tous Israéliens, donc tous coupables. Le texte, qu’on trouve toujours sur son site, reprend les éléments de langage du réseau Samidoun qui, le jour de l’attentat, annonçait l’objectif de l’opération : « le rejet décisif de l’ensemble du processus d’Oslo ».

« Apologie du terrorisme »

Trois jours plus tard, le chancelier Olaf Scholz annonce la dissolution de Samidoun en Allemagne. Le « réseau » est ensuite interdit d’exercer sur le territoire américain. Le département du Trésor serait en train d’étudier son cas et pourrait annoncer des sanctions. Une désignation de l’Ofac serait donc dans les tuyaux. En France, la situation reste en revanche très confuse.

En novembre dernier, le ministre de l’Intérieur a annoncé avoir saisi la justice pour « apologie du terrorisme ». Il semble toutefois aujourd’hui tributaire du Conseil d’État qui, depuis la décision de suspendre la dissolution en avril 2022, ne s’est toujours pas prononcé sur le fond de l’affaire.

Rumeur de dissolution

À Beauvau, en novembre dernier, on espérait une audience rapide, mais elle n’a pas eu lieu. Une question adressée au Parlement européen pour placer Samidoun sur la liste des « organisations interdites » recevait alors une fin de non-­recevoir de Josep Borrell. Le haut représentant des Affaires étrangères de l’Union européenne réclamait « des informations précises ». Une rumeur relayée par le site StreetPress annonçait en janvier dernier la dissolution de Samidoun Paris Banlieue, l’autre partenaire français de Samidoun, mais elle n’a pas eu lieu.

Samedi 9 mars, ses militants défilaient dans le calme à Paris pendant que le Collectif Palestine vaincra était à Toulouse dans le cortège du Comité de soutien à la Palestine, un rassemblement d’organisations étudiantes créé à l’université du Mirail le 19 octobre dernier.

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