Un photographe de Gaza nie mettre ses photos en scène ou être affilié au Hamas

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Un groupe d’enquête israélien met aussi en doute les informations publiées dans un tabloïd allemand accusant le photographe Anas Zayed Fteiha de « propagande pour le Hamas »

Illustration : Des journalistes filment devant des bâtiments détruits dans le camp de réfugiés palestiniens de Jabalia, dans le nord de la bande de Gaza, le 9 octobre 2024. (Crédit : Omar Al-Qattaa / AFP)

Un photographe de Gaza accusé de faire de la propagande pour le Hamas a nié avoir mis en scène sa photo et affirme ne pas être affilié au groupe terroriste palestinien.

Anas Zayed Fteiha est au cœur d’une polémique depuis mardi, date à laquelle le tabloïd allemand Bild a publié un article l’accusant d’utiliser délibérément des images mises en scène ou trompeuses pour amplifier le récit des souffrances causées par Israël, particulièrement la famine, et citant des contenus provenant de ses comptes personnels sur les réseaux sociaux pour attester de son parti pris anti-Israël. Le journal allemand Süddeutsche Zeitung a également remis en question l’authenticité des clichés pris à Gaza.

Deux agences de presse ont alors fait savoir qu’elles cesseraient d’utiliser ses travaux. Les militants pro-Israël et les responsables israéliens ont pour leur part saisi cette occasion pour affirmer que les accusations de famine orchestrée par Israël dans la bande de Gaza sont une invention du Hamas. « Nous exhortons le monde à ne pas se laisser berner par les mensonges du Hamas »,  a déclaré mercredi le président Isaac Herzog, citant ces allégations, lors d’une conférence de presse.
Les partisans d’Israël ont notamment diffusé un cliché sur lequel on voit Fteiha accroupi avec son appareil photo devant un groupe d’enfants brandissant des casseroles vides, apparemment pour recevoir de l’aide, mais sans qu’aucune nourriture ne soit visible dans le cadre.
Mais jeudi, Fteiha a défendu sa photo sur Instagram, affirmant qu’il n’avait pas mis en scène cette image et qualifiant de « ridicule » l’accusation selon laquelle il serait affilié au Hamas.

Ces justifications sont intervenues au lendemain de la publication par Fake Reporter, une organisation israélienne qui enquête sur la désinformation en ligne, d’une série d’articles (en hébreu) sur Xcasting mettant en doute l’exactitude des publications qui citaient favorablement le rapport de Bild.

« La photo qu’ils ont publiée pour me dénigrer est tout à fait authentique », a écrit Fteiha en arabe. « Elle a été prise pendant le tournage d’un documentaire sur la famine à Gaza, alors que des enfants se bousculaient pour obtenir de la nourriture ou de l’eau. Tout ce qui figure sur cette photo est réel. Rien n’a été mis en scène. J’ai fait mon travail de journaliste avec honnêteté et intégrité, je n’ai pas mis de photo en scène et je n’ai rien demandé à personne. »

Et d’ajouter : « Je suis journaliste photo pour l’agence turque Anadolu. Je n’appartiens à aucun autre parti et je ne travaille que pour faire connaître la vérité. »

Ce message de Fteiha est le dernier épisode d’un débat durant depuis des années sur la fiabilité des photos provenant de Gaza. La situation est d’autant plus complexe qu’Israël interdit aux journalistes étrangers et israéliens d’accéder librement à la bande depuis le début de la guerre déclenchée par l’invasion et le pogrom perpétrés par le Hamas le 7 octobre 2023 dans le sud d’Israël – à l’exception de rares visites encadrées par l’armée israélienne. Ce sont donc les photographes locaux qui sont la principale source d’images de cette enclave déchirée par la guerre.

Ce débat a atteint son paroxysme ces dernières semaines. Des photos d’enfants gazaouis très amaigris ont fait la une des journaux et ont été largement relayées sur Internet, dans un contexte de tollé mondial face à la crise humanitaire en cours dans la bande de Gaza. Ces photos ont été utilisées pour illustrer ce que les organisations humanitaires décrivent comme une famine grandissante dans l’enclave.

Israël a nié les allégations de famine généralisée, et affirmé s’efforcer de permettre l’acheminement d’une quantité suffisante d’aide à Gaza. Mais face à la forte pression internationale, le gouvernement a récemment augmenté le flux des approvisionnements, après avoir totalement interdit l’aide pendant 11 semaines, entre mars et mai. Les responsables gouvernementaux ont d’autre part mis en avant plusieurs photos qui, selon eux, manquent de contexte essentiel et donnent une image déformée de la situation dans le but de discréditer Israël.

Les articles publiés dans le Süddeutsche Zeitung et le Bild semblaient corroborer cette thèse. Le Süddeutsche Zeitung citait des sources médiatiques et Gerhard Paul – un expert en photographie qui étudie les images provenant d’Israël et de Gaza depuis 25 ans – pour affirmer que la propagande du Hamas et les reportages biaisés influençaient largement la couverture photographique provenant de Gaza.

Le journaliste Christopher Resch, de Reporters sans frontières, a déclaré au journal que « peu d’informations échappent au Hamas » parmi celles que les reporters sont autorisés à partager depuis le terrain. Il a toutefois ajouté que les photographes peuvent donner certaines instructions aux sujets pour cadrer une image, mais uniquement « tant que cela reflète globalement la réalité ».

En plus de mettre l’accent sur la photo de Fteiha, Bild a inclus des captures d’écran des réseaux sociaux du photographe, notamment une photo de lui au-dessus des mots « Free Palestine » (Palestine libre) et une autre accompagnée de la légende « F*** Israel ».

« Méfiez-vous des fausses informations », a publié mardi le compte officiel d’Israël sur le réseau social X, au-dessus d’une capture d’écran de l’article de Bild et de la photo de Fteiha, ajoutant que les articles de ces journaux révèlent comment « le Hamas se sert […] de contenus mis en scène ou soigneusement sélectionnés pour manipuler l’opinion mondiale ».

« Le Hamas contrôle la quasi-totalité des médias à Gaza. Ces photographes ne font donc pas de reportage, ils produisent de la propagande », a indiqué le message.

En réponse à ces allégations, l’agence de presse allemande et l’Agence France-Presse ont fait savoir au Bild qu’elles ne travailleraient plus avec Fteiha. Elles ont souligné qu’elles vérifiaient minutieusement les antécédents et la réputation de leurs photographes. L’agence Reuters a pour sa part commenté que ses photos « respectaient les normes d’exactitude, d’indépendance et d’impartialité ».

Toutefois, mercredi soir, Fake Reporter a contesté l’article du Bild, arguant que la question en jeu constituait un « débat sensible qui attise les passions, mais qui doit également s’appuyer sur des faits ».

Le groupe a souligné qu’une image attribuée à Fteiha par des partisans d’Israël, qui figurait en couverture du magazine Time, avait en réalité été prise par un autre photographe (ainsi qu’en témoigne la publication X ci-dessous.) Il a également déclaré que l’affirmation selon laquelle les enfants sur la photo ne se trouvaient pas sur un site d’aide humanitaire était « inexacte ».

« D’après nos vérifications, il existe, concernant ce même même endroit, une abondance de documents attestant de la distribution et de la préparation de nourriture », a écrit le groupe, appuyant ces propos par des photos et des vidéos prises sur les lieux, le même jour et à d’autres dates, montrant des distributions de nourriture.

Fake Reporter s’est interrogé sur le fait de savoir si cette photo constituait un « mensonge éhonté », commentant : « À ce jour, il n’existe aucune preuve de ces faits. C’est même tout le contraire. Différents documents pris sous différents angles montrent qu’il s’agit bien d’un véritable point de distribution alimentaire, où de la nourriture a été régulièrement fournie au cours des dernières semaines, ainsi que ce jour-là. »

C’est au moins la deuxième fois que Bild se retrouve au centre d’un débat sur la couverture médiatique de la guerre à Gaza. Deux collaborateurs du Premier ministre Benjamin Netanyahu avaient en effet été accusés d’avoir dérobé un document hautement confidentiel détaillant les priorités et les tactiques du Hamas dans les négociations sur les otages dans la base de données du renseignement militaire de l’armée israélienne, puis de l’avoir divulgué au Bild.

L’agence turque Anadolu, qui a relayé les clichés de Fteiha, a également critiqué l’article du Bild dans un post sur le réseau social X, mais en axant son message sur l’éthique du tabloïd et sans mentionner Fteiha directement.

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