Questions, Le Figaro
Comme nous en avons déjà parlé dans une autre réponse, l’essayiste Pascal Bruckner est intervenu au micro de France Inter lundi 23 avril, à l’occasion, de la sortie de l’ouvrage collectif le Nouvel Antisémitisme (Albin Michel).
Il affirme notamment que «60 000 citoyens juifs français ont quitté la France parce qu’ils ne se sentaient pas en sécurité, notamment après les évènements de l’hypercacher».
En France, il n’existe pas de statistique officielle sur le nombre de Juifs qui décident de quitter le pays pour s’installer à l’étranger (ou dans une autre ville française, comme nous l’avions expliqué).
Ces chiffres proviennent des travaux de Marc Knobel, historien et directeur des études au Crif, comme nous l’a indiqué Pascal Bruckner. Laurent Joffrin, directeur de Libération y avait aussi fait référence, en mars 2018, dans son édito «Pour les Juifs». Ces départs représentent «proportion considérable» en rapport au nombre de Français juifs -10%- avait-il notamment souligné.
«Entre 2000 et 2017, 55 049 Juifs ont fait leur alyah», a indiqué l’historien, soit plus qu’entre 1970 et 1999, période pendant laquelle 48 097 Juifs sont partis. Ici, Marc Knobel s’appuie sur les données de l’Agence juive, chargée d’accompagner les candidats à l’Alyah (Olim).
Une corrélation avec les actes antisémites et le conflit israélo-palestinien
«Sachant qu’il faut normalement un an, voire plus, pour préparer son Aliyah, surtout s’il s’agit d’une famille, on peut affirmer que la tendance commence a prendre son essor en 2011-2012, et se reflète dans les chiffres a partir de 2013», commente-t-il.
«Une vague sans précédent» que Marc Knobel explique cette augmentation par un «très fort sentiment d’insécurité, de malaise et de doute», notamment corrélé au nombre d’actes antisémites.
Même si leur recensement effectué par le ministère de l’Intérieur est imparfait, comme nous l’avions expliqué dans une réponse précédente, il peut être comparé à la courbe de départ.
Marc Knobel est rejoint sur ce point par l’analyse de Jérôme Fourquet, Directeur du département Opinions de l’IFOP, et Sylvain Manternach, géographe dans l’ouvrage «L’an prochain à Jérusalem». D’après les données d’un sondage réalisé pour l’occasion, 47% des départs s’expliqueraient par le sentiment d’insécurité -soit la majorité.
Autre point d’accord entre les spécialistes : le nombre d’actes antisémites évolue au rythme de l’actualité du conflit israélo-palestinien.
«L’analyse de l’évolution du nombre d’actes antisémites rendue possible par la publication des chiffres du SPCJ permet également de faire ressortir, et de manière très nette, une corrélation entre des phases de forte progression des actes antisémites en France et les événements ayant trait au conflit israélo-palestinien. C’est manifeste pour l’année 2000, où le début de la deuxième intifada en Israël et dans les territoires occupés s’accompagne d’un développement fulgurant de l’antisémitisme en France», écrivent Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach.
Ainsi, entre 1999 et 2000, le nombre d’acte passe de 82 à 744. En 2004, un pic est atteint avec 974 actes recensés, or en 2005,-date de la fin de la deuxième intifada- 3006 départs son enregistrés contre 2415 l’année précédente.
En 2009, 832 actes ont été enregistrés contre 474 en 2008. L’année suivante, le nombre d’Olims passe 1 894 à 2 063.
Entre 2012 et 2015, le nombre d’actes antisémites passe de 614 avec 808 (avec une baisse à 423 en 2013). A cette hausse s’ajoutent les deux attaques terroristes visant spécifiquement des personnes juives, à Toulouse (en 2012) et à la porte de Vincennes (en 2015). Durant cette période, le nombre de départs augmente sans relâche et passe de 1 917 à 7 892.
La baisse récente du nombre d’actes en 2017 ne rassure pas pour autant Marc Knobel qui souligne l’aspect «en dent de scie» de la courbe.
«Personne ne dispose de chiffres précis pour ce qui est des départs de Juifs de France vers le Royaume-Uni, les Etats Unis ou le Canada, parce que (bien évidemment) ils ne sont pas comptés. Cependant, les indicateurs là aussi sont forts», précise Marc Knobel. Pour établir son estimation, l’historien s’appuie notamment sur un article de presse locale de Miami qui estime en 2007 que le nombre de Juifs français installé dans la ville se situe entre 2000 et 4000 personnes.
Par ailleurs, lors d’un voyage à Montréal, Marc Knobel a rencontré la communauté juive française expatriée, ce qui lui a permis de compléter cette estimation et atteindre le chiffre de 60 000 personnes.
Interrogé sur le même sujet, Jérôme Fourquet, directeur du département Opinions de l’IFOP auteur de l’ouvrage «L’an prochain à Jérusalem», estime de son côté que «les départs vers Israël ne représentent que la moitié, voire à peine la moitié des expatriations des Juifs français».
Rappelons toutefois que les raisons de départ des Juifs à l’étranger sont «multiples». A l’image du reste des Français, elles peuvent aussi être liées à des opportunités professionnelles, un rapprochement familial ou encore l’envie de «vivre ailleurs», souligne Marc Knobel. De fait en 10 ans, 420 000 Français sont partis s’installer à l’étranger, comme le rapporte l’Obs.
A ce sujet, l’ouvrage «L’an prochain à Jérusalem» rapporte que la propension au départ est plus forte chez les Juifs. Si «10 % des Français envisagent sérieusement de s’installer à l’étranger», «le nombre est deux fois plus élevé» dans la communauté juive, «puisqu’il atteint 21%».
Emma Donada. »