Le dernier Juif du Pakistan

Natif de Karachi, Faisal alias Fishel  Benkhald, officiellement enregistré en tant que musulman à cause de la religion de son père, cherche à changer ce statut pour embrasser la foi de sa mère - une apostasie théoriquement punissable de mort

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Son vrai nom est Faisal Benkhald, bien qu’il ait récemment adopté le prénom Yiddish « Fishel ». Il est né à Karachi en 1987, le quatrième de cinq enfants nés d’une mère juive et d’un père musulman. Bien qu’enregistré à la naissance en tant que musulman, il se considère comme Juif et se bat pour la reconnaissance de sa religion par l’Etat – une apostasie d’après la loi pakistanaise inspirée de la charia.

En ce qui concerne les autorités pakistanaises, Fishel est encore Faisal et il est musulman. C’est ce qui est écrit sur sa documents. Mais il ne serait pas le seul Pakistanais juif à avoir une carte d’identité musulmane : les Juifs du Pakistan ont depuis longtemps appris à se faire discrets. Certains, comme les parents de Fishel, ont enregistré leurs enfants en tant que musulmans pour ne pas se faire remarquer, et tous ont tenté de se cacher.

Sauf Fishel.

Ses premiers souvenirs d’enfance incluent l’odeur de la challah que sa mère cuisait chaque vendredi après-midi. Avant le crépuscule, il la regardait réciter les bénédictions sur les bougies du Chabbath.

« Quand elle posait ses mains sur ses yeux, il y avait une telle sérénité, comme si elle n’avait aucun souci au monde, récitant la bénédiction en accueillant le jour saint. Son regard et son sourire à cet instant sont gravés dans ma mémoire, j’ai toujours prié avec elle. »

Il dit que sa mère ne lui préparerait que de la nourriture cachère à la maison. Elle est née de parents religieux qui avait immigré au Pakistan depuis l’Iran voisin. Il connaît ses grands-parents maternels uniquement à travers les histoires que sa mère lui a racontées dans son enfance.

Fishel est tout ce qui reste d’une communauté juive qui était petite mais prospère. Estimée à environ 2 500 personnes au début du 20ème siècle, les Juifs pakistanais étaient principalement des migrants venus d’Irak. À la suite de la guerre d’indépendance d’Israël en 1948, la synagogue centrale à Karachi (démolie en 1988) est devenue un point focal des manifestations contre Israël. La majorité des Juifs ont fui le Pakistan pour l’Inde ou Israël à cette époque.

La famille de Fishel passait autant de temps à l’étranger que possible pour échapper à l’atmosphère étouffante du Pakistan. Son père était un ingénieur que son travail autorisait à passer de longues périodes en Afrique du Nord. Fishel est orphelin depuis l’âge de 13 ans.

Après le décès de ses parents, Fishel a été envoyé vivre chez un oncle, période dont il répugne à parler. Il n’a plus de contact avec deux de ses frères et les deux autres ont la ferme intention d’ignorer leur judéité.

Fishel est une anomalie pour avoir choisi de revendiquer l’héritage de sa mère.

«Je ne pouvais plus me taire sur mes racines juives»

« Après Roch haChanah en septembre 2009, je me sentais malade d’entendre la propagande antisémite constante et les théories du complot juif répandues par le gouvernement et les médias pakistanais. Ils attribuent constamment tout ce qui va mal à une conspiration imaginaire juive / israélienne. Mon côté politique l’a finalement emporté sur ma peur. Je me suis senti moins hésitant à revendiquer ma religion plus publiquement que ce que j’aurais fait auparavant. Je ne pouvais plus me taire sur mes racines juives « , explique Fishel.

Devenu adulte, Fishel a choisi la même voie que son père et est devenu ingénieur, prenant également des postes à court terme à l’étranger. L’antisémitisme est la raison pour laquelle il passe autant de temps qu’il le peut loin de son Pakistan natal. Mais il est sur le point de terminer un contrat en Tunisie, et se prépare maintenant à rentrer au Pakistan.

Fishel n’a pas l’intention de révéler sa religion à ses voisins et collègues à son retour, mais il rentre cependant avec une mission. Il a l’intention faire changer dans la National Database and Registration Authority (NADRA) son statut religieux officiel de musulman à juif.

Si la NADRA lui permet de le faire (ce qu’il pense être improbable), il commettra le crime d’apostasie, théoriquement sanctionné par la mort au Pakistan.

« C’est dangereux, mais j’irais au moins une fois pour enregistrer ma demande de changer le statut de ma religion de l’islam au judaïsme afin que la réponse puisse être documentée », explique Fishel.

Dans sa quête pour en savoir plus sur son identité juive, Fishel a contacté l’Institute for Jewish Ideas and Ideals à New York. Il est depuis guidé par le fondateur et le directeur de l’institut, le rabbin Mark Angel. Fishel espère qu’ensemble qu’ils pourront en découvrir plus sur son héritage.

Angel a expliqué quelles données pourraient l’aider à prouver qu’il est halachiquement juif: « Si sa mère avait des frères et sœurs qui continuaient dans leur judaïsme ou si la mère / grand-mère de sa mère était enterrée dans un cimetière juif. Je ne pense pas que ce soient des choses faciles à découvrir, mais je crois qu’il fait de son mieux « .

C’est peut-être pour cela que Fishel a l’intention de réaliser son rêve de nettoyer l’ancien cimetière Beni Israël à Karachi. Si l’une des tombes appartient à un parent, il aura beaucoup plus de chances de persuader les autorités halachiques de ses racines juives.

Fishel insiste cependant sur le fait que le but est plus large que sa propre recherche familiale.

« Mon rêve pour un avenir proche au Pakistan est d’obtenir une certaine empathie des musulmans pakistanais pour le nettoyage des tombes juives. Plus tard, j’essaierai d’obtenir un soutien et une aide dans le processus légal pour ouvrir une petite synagogue au Pakistan. Lorsque j’aurai obtenu ce petit morceau de papier dans ma main affirmant que légalement nous sommes autorisés à avoir une synagogue, mon rêve deviendra réalité », explique Fishel.

Même de sa position temporaire en Tunisie, Fishel n’a pas ralenti dans la poursuite de cet objectif. Il a fait appel au Conseil national de la paix et pour l’harmonie interconfessionnelle du Pakistan pour obtenir la permission d’entrer dans le cimetière, mais jusqu’à présent, sans réponse.

Fishel s’est déjà introduit dans le cimetière plusieurs fois pour documenter l’état des tombes. À son retour, il prévoit d’intensifier sa campagne pour que le gouvernement pakistanais lui autorise l’accès dont il a besoin pour nettoyer le cimetière de Beni Israël sans être dérangé.

Ce cimetière juif abandonné est situé dans le cimetière Mewa Shah de Karachi. Selon Fishel, il est tombé dans un état de délabrement complet et est devenu comme un repaire de toxicomanes et de criminels.

Dans le cadre de sa quête pour restaurer les tombes juives à Karachi, Fishel s’est lancé sur Twitter, où il utilise le handle @Jew_Pakistani. C’est là qu’il recherche de l’aide à la fois au Pakistan et dans l’ensemble du monde juif.

Malheureusement, il est devenu un aimant pour les propagandistes talibans et passe beaucoup de temps à défendre la cause du judaïsme contre les extrémistes islamiques.

Fishel sait qu’il part de rien et cherche toute l’aide possible pour atteindre ses objectifs. Il a réussi à obtenir quelques livres juifs, mais pas assez pour étudier, et il en cherche plus. Sa soif de connaissances sur le judaïsme l’a amené à chercher des informations en ligne. Il est maintenant en mesure de célébrer Pessa’h, Yom Kippour, Roch Hachana et Chabbath, dit-il, grâce aux enregistrements qu’il a trouvés sur le Web.

Fishel espère rendre le Pakistan plus tolérant à l’égard des Juifs et il veut promouvoir l’interaction pakistanaise avec Israël. Bien que, à première vue, ces objectifs semblent insurmontables, un optimisme prudent est cependant permis selon le Dr Faisal Devji, expert sur le Pakistan à l’Université d’Oxford.

«Bizarrement, pour une société antisémite, les manuels scolaires pakistanais comparent régulièrement le pays à Israël, les deux seuls pays du monde fondés au nom de la religion plutôt que de la monarchie, de la langue, de l’appartenance ethnique, etc. Etrangement, il est donc possible de défendre une position pro- Israël, et il y a eu un certain nombre de suggestions publiques pour reconnaître Israël « , explique Devji.

Peut-être un jour Fishel pourra-t-il faire un voyage en Israël, mais pour le faire, il devra surmonter l’obstacle de son passeport pakistanais, où figure la mention: « Ce passeport est valable pour tous les pays du monde sauf Israël ».

 

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